Début juillet 2019, les cheminées de l’une des plus grandes raffineries d’Europe se sont remises à fumer. Total a mis en route sa production d’« agro-carburants ». Fin de l’extraction de matières fossiles et
prise en compte des enjeux climatiquesqui pèsent sur l’humanité ?… Ou projet de « bioraffinerie » dans laquelle les travailleur-euses, les riverain-es et l’écosystème sont les grands perdants?
En 2015, Total annonce, sur fond de plan social (le site comptait alors 400
salarié-es contre 250 aujourd’hui), son intention d’investir 275 millions
d’euros dans sa reconversion à l’agroindustrie, évaluant alors sa production
annuelle à 450000 tonnes, dont 300000 provenant de l’huile de palme. Le bras de fer commence alors avec les militant-es écologistes, malgré les efforts de l’entreprise en matière de communication.
Quand Total dit que l’huile de palme émet moins de gaz à effet de serre, les écologistes répondent que la culture des palmiers aggrave le bilan carbone de ce carburant.
Quand Total promet d’utiliser 50000 tonnes de colza français, les écologistes rappellent que la finalité de la paysannerie n’est pas de faire avancer les voitures. Quand Total promet des garanties sociales et environnementales
avec les pays producteurs, les écologistes montrent l’impossibilité de
contrôler la déforestation, l’intraçabilité des exploitations forestières et l’inefficacité des labels.
Difficile de repeindre en vert une usine qui produira l’équivalent d’un milliard de pots de Nutella par an en huile de palme. Cette reconversion de l’industrie pétrochimique aux agro-carburants, à une époque où l’opinion publique se range du côté des orangs-outangs, ne se fait pas aussi facilement que le voudraient les industriels.
L’Europe promet de réduire et limiter les importations d’huile de palme. La
Commission européenne a reconnu le risque élevé couru par la planète à travers ces choix de production et certaines directives permettent aux États de fixer des plafonds bas d’usage de ces carburants.
Le Président français annonce de son côté vouloir fermer le robinet de
l’huile de palme. Enfin, un décret d’application de la disposition de la Loi de
finances pour 2019 exclut de la liste des produits pouvant bénéficier d’avantages fiscaux ceux à base d’huile de palme.
Cette disposition a de quoi inquiéter Total qui, pour conserver sa
« niche fiscale », dépose un recours auprès du Conseil d’État. D’un côté ses avocats estiment que cette décision du gouvernement est incompatible
avec la constitution française, de l’autre ses lobbyistes travaillent d’arrachepied à convaincre les élu-es de maintenir les avantages fiscaux.
En octobre 2019, lorsque le Conseil constitutionnel déboute Total de sa requête, on pourrait croire que le projet d’agroindustrie est terminé avant même d’avoir commencé. Mais pendant que Total investit 275 millions d’euros à La Mède, il met avec ses partenaires 16 milliards d’euros
d’investissements dans un forage de pétrole en Angola et annonce cette année creuser 25 puits de pétrole partout sur la planète. L’avenir pour Total, c’est de raffiner du pétrole brut sur les lieux d’extraction, dans des régions du globe où les normes environnementales et sociales sont maigres ou inexistantes. Et quand on sait cela, on relit l’histoire de la « bioraffinerie »
de La Mède sous un autre angle. Le dénouement n’est peut-être pas si défavorable à Total. Peut-être même que le vrai projet de Total, dès le début, c’était de transformer sa raffinerie du Sud de la France en dépôt pétrolier, menaçant des centaines d’emplois directs ou indirects.
Un maquillage « bio » pour faire passer la pilule sociale et pour délocaliser sa
production tout en criant « c’est la faute aux écolos, c’est la faute à l’Europe »?
La morale de cette histoire sera peut-être que Total ment… totalement! ●
FRÉDÉRIC GRIMAUD
SNUIPP-FSU MARTIGUES