À l’occasion du nouveau gouvernement – Valls2 – les départements viennent semble-t-il de sauver leur tête ! Cadeau obligé aux Radicaux de gauche. Pour combien de temps ?
Avec les multiples rebondissements, il peut sembler difficile de voir clair dans ce que l’on appelle, à tort, « l’acte 3 de la décentralisation ».
Et pourtant si l’on veut bien la mettre en regard du Pacte de responsabilité et de la réduction massive des dépenses publiques qu’il entraîne, alors la réorganisation territoriale, accompagnée d’un renforcement de l’État déconcentré, est limpide.
Derrière la simplification du « millefeuille », la modernisation de l’action publique sur les territoires (efficacité et lisibilité), c’est bien la réalisation de « substantielles économies », 11 milliards pour les collectivités territoriales, et l’amélioration de la compétitivité, de l’attractivité des régions et des métropoles aux plans européen et mondial qui guident les réformes du gouvernement.
Les 13 régions, les métropoles et les intercommunalités (plus de 20 000 habitants) seront les trois échelons essentiels de l’organisation territoriale du pays au détriment des communes et des départements.
La loi MAPAM [[Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014. ]] crée les métropoles. Paris, Lyon et Marseille disposeront d’un statut métropolitain particulier ; la Métropole de Lyon en lieu et place du département.
De plus, la loi impose 11 métropoles de droit commun à Bordeaux, Grenoble, Lille, Nantes, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg et Toulouse.
Brest et Montpellier pourront, si les élus le décident, disposer de ce même statut.
Les métropoles auront des compétences renforcées et pourront par convention exercer des compétences relevant du Département ou de la Région.
Le représentant de l’État dans le département peut déléguer par convention à la Métropole qui en fait la demande cinq compétences dans le domaine du logement dont l’attribution des aides à la pierre ou la gestion des dispositifs concourant à l’hébergement des personnes sans domicile ou éprouvant des difficultés à se loger en raison de leurs ressources (veille sociale, centres d’hébergement d’urgence, centres d’hébergement et de réinsertion sociale, pensions de familles, etc.).
Les projets de loi présentés le 18 juin en conseil des ministres et débattus depuis lors réduisent le nombre de régions (22 à 13) et affirment les intercommunalités comme « les structures de proximité pour une action locale efficace » (André Vallini).
Elles seront, comme les régions, agrandies et devront compter, au 1er janvier 2017 (sauf dérogations, notamment en montagne), 20 000 habitants au moins, soit quatre fois plus que le seuil en vigueur actuellement.
Les préfets auront de larges pouvoirs pour organiser de nouveaux regroupements de communes, y compris par la contrainte.
L’Assemblée des communautés de France (ADCF) a précisé que 1 507 communautés, soit près des trois quarts d’entre elles, n’atteignent pas ce seuil. Il en va de même pour réduire, y compris par la dissolution par arrêté, le nombre de syndicats mixtes (eau, assainissement, énergie rincipalement).
Les Régions ont entièrement la main sur le développement économique dans les territoires. Elles héritent de compétences très importantes aujourd’hui exercées par les départements : l’entretien des routes et des collèges, ainsi que les transports scolaires et interurbains et les ports départementaux.
La loi de finances donnera aux régions les moyens de ces nouvelles missions.
Les conseils généraux sont (étaient !) explicitement appelés par la réforme à disparaître « à l’horizon 2020 », sous réserve d’une révision de la Constitution, indispensable pour les supprimer.
Convertis au marché et à la politique de l’offre, ce président et ses gouvernements veulent adapter à marche forcée le pays, l’État, la nation à cette compétition mondiale – heureuse ! – qui exige de casser les solidarités, humaines et territoriales, de réduire les dépenses publiques, donc l’investissement pour ce qui concerne les collectivités territoriales qui réalisent plus de 70 % de l’investissement public.
**Compétences : small is good !
Alors que la clause de compétence générale, permettant d’agir dans quasiment tous les domaines, avait été rétablie par la loi Mapam, elle est à nouveau supprimée pour les régions et les départements.
La suppression de la clause par le gouvernement ne vise, naturellement, nullement à défendre et développer – encore moins à démocratiser – les services publics nationaux.
Cette suppression tend simplement à empêcher les collectivités de pallier les effets désastreux que la réduction des dotations d’État et la réduction des missions de services publics vont créer.
Les discours et textes gouvernementaux sont très clairs. Cette réorganisation territoriale s’accompagne d’une nouvelle réforme de l’État absolument radicale selon Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de la Réforme de l’État et de la Simplification, directement placé sous la tutelle de Valls.
En effet, même ces élites savent qu’une telle réorganisation va créer une « peur du décrochage »[[Interview de Barnard Cazeneuve à Acteurs publics : http://www.acteurspublics.com/2014/06/26/la-presence-de-l-etat-a-l-echelon-departemental-sera-renforcee]].
L’accès aux services publics, notamment en milieu rural, est censé devoir s’améliorer avec l’établissement dans chaque département d’un « schéma » en ce sens. Enfin, selon le communiqué officiel, « cette réforme territoriale va de pair avec l’affirmation dans les territoires d’un État déconcentré, légitime et cohérent ». « Une feuille de route sera fixée aux fonctionnaires » à ce sujet.
**Mais de quels « services publics » parle-t-on ?
Thierry Mandon, le 27 août, à l’Université du Medef a explicité sa nouvelle réforme de l’État. Il ne s’agit plus seulement de s’attaquer à la pertinence des politiques publiques, de mesurer leur efficience, non, il faut d’abord s’interroger : « est-ce qu’il n’y a pas un tri à faire dans les missions que l’État a aujourd’hui, est-ce qu’on ne doit pas réfléchir par ailleurs au bon niveau d’exercice de ces missions entre État central et État déconcentré, est-ce que finalement des choses ne doivent pas être transférées aux collectivités territoriales, aux acteurs privés, aux associations, peut-être même parfois à des groupes de citoyens ? » [[http://www.acteurspublics.com/aptv/2014/08/28/thierry-mandon-un-tri-a-faire-dans-les-missions-de-l-etat ]].
Voilà le fin mot de l’histoire.
**La formule « services au public » n’est pas anodine
« L’État et les collectivités territoriales poursuivent un objectif partagé d’amélioration de l’accessibilité des services au public, en milieu rural comme en milieu urbain, et pour toutes les catégories de public. »
Ainsi débute le chapitre II (art. 18 à 21) du projet de loi « Mobiliser les régions pour la croissance et l’emploi et promouvoir l’égalité des territoires ».
L’usage des termes « services au public », développé pendant la précédente législature, serait donc désormais inscrit dans le Code général des collectivités territoriales. S’il s’agissait pour le législateur de soutenir des actions d’intérêt général, sans aucune connotation, la formule « service aux populations » lui aurait permis une acception large de ces missions qui concourent à la « cohésion sociale ».
La propagation de la notion de service « au public » révèle la paupérisation des moyens de la puissance publique, avec, comme solution, le recours au secteur privé.
Affaiblissement du rôle et des prérogatives de l’État, réduction des dépenses, retour du pouvoir des préfets de départements et des sous-préfets, mutualisation dans les métropoles et intercommunalités… tout se met en place pour rendre la France – n’est-elle pas elle aussi une entreprise ? – compétitive dans la mondialisation. Les exclus apprécieront. ●
Jean-Michel Drevon