Grève des cheminots et cheminotes, marée populaire du 26 mai,
journées nationales d’action interprofessionnelles, etc., tous ces
moments forts du premier semestre ont été l’occasion de remettre à
l’ordre du jour les débats sur « syndicalisme et politique ». Mais
tout d’abord, ne faut-il pas se poser une question essentielle : où
ce débat est-il vraiment mené ? Il est récurrent dans une partie des
cercles militants, mais qu’en est-il dans les collectifs syndicaux de
base ? C’est pourtant là que ça se passe, si on veut (re)construire
un syndicalisme émancipateur s’appuyant sur la masse des travailleurs
et travailleuses [[ Au risque d’utiliser des termes que le patronat
et la bourgeoisie ont réussi à ringardiser, mais qui n’en sont pas
moins justes pour autant, sans doute faudrait-il écrire « classe
ouvrière », dans la mesure où on entend là par « travailleurs et
travailleuses », l’ensemble du salariat, des secteurs public ou privé,
les chômeuses et chômeurs, les personnes en retraite, les jeunes en
formation, et aussi les personnes exploitées à travers le pseudo
statut d’auto-entrepreneur…]]. Cette réflexion est valable pour bien d’autres
sujets, tout aussi importants : l’unité/ unification syndicale, la
prise en compte de toutes les discriminations et les moyens à mettre
en œuvre pour les combattre, les moyens d’action…
Quelles priorités
Au printemps, des organisations politiques (y compris une partie de
celles qui ont collaboré aux gouvernements à l’origine d’autres
reculs sociaux) ont affirmé leur soutien aux cheminots et chemi-
notes. Ce ne fut pas sans intérêt pour renverser un peu le flux
médiatique contre la grève. Mais plus que de déclarations
médiatiques, c’est de militants et militantes organisant les grèves,
sur le terrain, dont il y a besoin ! Et c’est la limite criante de
nombre de celles et ceux qui considèrent que l’organisation politique
(en réalité, « leur » organisation politique) est le débouché
politique aux luttes sociales : ils et elles comptent sur d’autres
pour construire ces luttes sociales ! Le vrai débouché politique, ce
sont les luttes elles-mêmes : qui y a participé sait à quel point,
surtout durant des mouvements longs durant lesquels les grévistes se
retrouvent chaque jour, les utopies, les alternatives, les changements
radicaux gagnent en crédibilité aux yeux de toutes et tous !
Autre exemple : le samedi 26 mai, une soixantaine d’organisations
associatives, syndicales et politiques appelaient à une journée de
manifestations dans tout le pays. Celles-ci, comme lors des journées
d’action syndicales, sont utiles parce que ce sont des moments
d’expression de mécontentements et de convergences. Mais elles ne
peuvent se substituer à l’action directe des travailleurs et des
travailleuses dans les entreprises et les services, et notamment à la
grève. Il ne s’agit pas de rejeter une forme d’action, mais il y a une
question de priorités militantes : que faut-il construire, défendre,
renforcer, aujourd’hui ? Des appels à manifester sans assise gréviste
ou des outils pour l’organisation des classes populaires et leur
action directe ?
Ces « marées » ont aussi confirmé des désaccords fondamentaux sur la
conception des mouvements sociaux et du rapport à la
politique. Certaines forces n’ont pas rompu avec le modèle du
syndicalisme et de l’associatif courroies de transmission du parti
politique, ce dernier, le cas échéant sous une forme de Front voire
d’une nébuleuse encore plus large, étant considéré comme le seul à «
faire de la politique ». Au contraire, nous réaffirmons que
l’autonomie du mouvement social est une nécessité vitale. Et il ne
faut pas que ce dernier se dispense de porter un projet de société
alternatif, débarrassé du capitalisme, comme du racisme et du
patriarcat.
Organiser notre classe sociale de manière autonome
Le syndicalisme est politique. Il rassemble celles et ceux qui déci-
dent de s’organiser ensemble sur la seule base de l’appartenance à la
même classe sociale. Ensemble, ils et elles agissent alors pour
défendre leurs revendications immédiates et travailler à une
transformation radicale de la société. L’oppression liée au système
capitaliste, oppression économique issue des rapports de produc-
tion et du droit de propriété, est commune à toutes celles et tous
ceux « d’en bas ». C’est là que se joue l’affrontement de classes : si
ça, ce n’est pas politique ! Ça n’empêche pas, bien au contraire, de
considérer qu’il y a d’autres formes d’oppressions, qu’il ne s’agit
d’ailleurs pas de hiérarchiser, ni entre elles, ni vis-à-vis de
l’oppression économique. Les luttes contre les oppressions et pour
l’égalité, la liberté, etc., font aussi de la politique.
La répartition des rôles qui veut que le parti s’occupe de politique
et le syndicalisme du social est une impasse. Alors que les
syndicats sont, ou du moins devraient être, l’outil d’organisation
autonome de la classe ouvrière, cette impasse les cantonne dans une
fonction mineure, leur nie la capacité d’agir pour changer la société.
À l’inverse, elle pousse les organisations politiques à considérer que
cette tâche est leur exclusivité et donc qu’elle est déconnectée des
mouvements sociaux.
Redéfinir l’espace syndical
Un grand nombre d’associations jouent un rôle considérable dans le
mouvement social. Quasiment toutes se sont construites parce que le
syndicalisme a abandonné des champs de lutte ou les a ignorés et, de
fait, elles font « du syndicalisme » tel que défini ici :
associations de chômeurs et chômeuses, pour le droit au logement, de
défense des sans-papiers, coordination de travailleurs et
travailleuses précaires, etc. D’autres interviennent sur des sujets
qui sont pleinement dans le champ syndical : elles sont féministes,
antiracistes, écologistes, antifascistes, antisexistes, etc. Se pose
aussi la question du lien avec les travailleurs et travailleuses
de la terre. Il y a aussi les mouvements anticolonialistes,
revendiquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes,
antimilitaristes, pacifistes, etc. Tout cela concerne les intérêts et
l’avenir de notre classe sociale et c’est de ce point de vue qu’il
faut les traiter.
Si nous mettons en avant les mouvements sociaux, c’est parce que ce
sont eux qui organisent les luttes, l’action directe des travailleurs
et des travailleuses. Parmi ces mouvements, le syndicalisme a une
particularité essentielle : comme dit précédemment, il rassemble sur
la seule base de l’appartenance à la même classe sociale. C’est
fondamental. Un syndicalisme de lutte bien sûr, mais aussi un
syndicalisme qui ose des ruptures avec l’existant pour mieux
avancer. La question de l’unité, voire de l’unification, est
importante. Il s’agit aussi de redéfinir les contours de
l’organisation syndicale, pour que celle-ci prenne en compte les
diversités ici décrites.
Déboucher … mais sur quoi ?
C’est bien sûr le fameux « débouché politique aux luttes » qui est au
cœur du débat. La plupart de celles et ceux qui s’y réfèrent ne
parlent en fait que de débouché électoral dans le cadre
institutionnel établi. En tout état de cause, ce n’est abordé que sous
la forme de la prise du pouvoir d’Etat, en déléguant celle-ci aux
partis. Dans la perspective d’une société autogestionnaire, cela
mérite un autre examen. Et puisque nous avons réussi à faire ce texte
sans citer la Charte d’Amiens, permettons-nous un retour en arrière
plus lointain encore : à la création de la Première internationale,
les différentes formes de groupements du mouvement ouvrier étaient
partie prenante, à égalité, de la dynamique émancipatrice… Un
passé utile à redécouvrir, pour inventer l’avenir ?
CHRISTIAN MAHIEUX (SUD-Rail et Solidaires Val-de-Marne).
THÉO ROUMIER (Sud Éducation et Solidaires Loiret)