Alors que les gouvernements assènent à leurs populations des mesures
d’austérité calamiteuses, qu’ils poursuivent des politiques fiscales injustes,
le fonctionnement actuel de la Banque centrale européenne (BCE), soumise à la Finance,
continue de faire enfler les dettes. Que faire ?
On voit mieux aujourd’hui ce qu’il faudrait faire pour débloquer la situation : monétiser les déficits publics. En pratique, la Banque Centrale Européenne, ou les banques centrales de chaque pays, doivent pouvoir acheter les titres de la dette émis par les Etats pour financer le déficit, seul moyen pour eux de se passer des marchés financiers qui leur demandent des taux d’intérêt extravagants.
L’objection est connue : ce n’est pas possible, parce que les traités en vigueur l’interdisent. Il faudrait plutôt « rassurer » les marchés en leur montrant la volonté d’imposer une austérité forcenée. Mais c’est une impasse, comme le montre l’exemple grec. Depuis au moins deux ans, les gouvernements appliquent des politiques d’austérité destructrices et inefficaces. Au début de la crise, la dette grecque représentait 120 % du PIB, aujourd’hui 160 %. Si vraiment l’objectif était de faire baisser ce ratio, on voit qu’il ne pouvait être atteint par des mesures qui ont réduit les recettes budgétaires plus vite qu’elles n’ont coupé les dépenses.
La BCE refuse de financer les Etats mais a fourni aux banques 489 milliards d’euros (prêts à trois ans à un taux d’intérêt de 1 % soit un taux réel négatif compte tenu de l’inflation). Avec ces liquidités, elles pourront plus facilement financer les déficits publics, mais à des taux bien plus élevés (de 3 à 6 % pour la plupart des pays). Ce mécanisme fonctionne depuis le début de la crise et illustre l’absurdité de la situation. Il est clair que toute dette acquise dans ces conditions est illégitime puisque la BCE pourrait prêter directement aux Etats, comme le fait la banque centrale aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. La discussion technique sur le moyen de parvenir à ce résultat tout en feignant de respecter le Traité est au fond secondaire ; la vraie question est ailleurs : pourquoi une telle obstination à poursuivre une politique catastrophique ?
La réponse est complexe. Il y a la soumission des gouvernements à la finance et le refus de la moindre rupture. Mais aussi une volonté politique de plus en plus affichée de profiter de la crise pour administrer une thérapie de choc et réaliser les «réformes» que de sourdes résistances sociales avaient empêché de mener jusqu’au bout. On voit mal, par exemple, en quoi une plus grande flexibilité du marché du travail en Espagne, ou la baisse du salaire minimum que la «troïka» vient d’exiger de la Grèce, pourraient contribuer à résorber les déficits. La finance impose la défense de ses intérêts aux gouvernements, quand elle n’y place pas directement ses chargés d’affaires. Les multinationales font, quant à elles, un calcul périlleux : ce qu’elles perdront avec la récession en Europe, elles le rattraperaient sur les autres marchés grâce à un surcroît de compétitivité.
Sortir de l’euro ?
Face à cette fuite en avant, l’idée que la sortie de l’euro pourrait permettre de récupérer la souveraineté perdue est une illusion. Revenir à son ancienne monnaie ne permet en rien de desserrer l’emprise des marchés financiers. Au contraire, la dette auprès des non-résidents serait augmentée à proportion de la dévaluation, et la «nouvelle» monnaie serait exposée sans protection à la spéculation. La mesure immédiate, qu’il faut prendre unilatéralement en proposant son extension, est de financer le déficit autrement que par les émissions sur les marchés financiers. Elle ne résout pas tout. Deux autres plus radicales sont nécessaires. D’abord la socialisation des banques, parce que c’est le seul moyen d’apurer une bonne fois l’accumulation des dettes entremêlées que les citoyens n’ont aucune raison d’endosser. Ensuite un audit citoyen doit identifier la dette illégitime et définir les modalités de son annulation, combinée avec une réforme revenant sur les cadeaux fiscaux cumulés de puis de longues années.
La perspective générale doit être celle d’une refondation de l’Europe. Cela suppose de renoncer à la « préférence pour la finance » pour lui donner les moyens de sa cohésion, à travers l’élargissement du budget européen, l’harmonisation (vers le haut) de la fiscalité sur le capital et la mise en oeuvre d’investissements socialement utiles et écologiquement soutenables. ●
Michel Husson