Retraites : complément d’enquête

Le 25 novembre 2010, les discussions relatives au financement des retraites complémentaires des salariés du privé se sont ouvertes entre le patronat et les organisations dites représentatives. Ce cycle de discussion se déroulera jusqu’en mars 2011.

A l’issue de ces discussions, l’accord sur l’AGFF – association pour la gestion des fonds de financement de l’AGIRC et de l’ARRCO [[AGIRC : Association Générale des Institutions de Retraite des Cadres. Ce régime, obligatoire, fournit un complément de retraite aux cadres pour la partie de leur salaire située au-dessus du plafond sécurité sociale. ARRCO : Association pour le Régime de Retraite Complémentaire des salariés. Ce régime, obligatoire, fournit un complément de retraite aux salariés pour la partie située sous le plafond sécurité sociale. Depuis 2002, ces deux organismes sont regroupés dans un GIE (Groupement d’Intérêt Economique), l’AGFF.]] – a été reconduit pour 6 mois, jusqu’au 30 juin 2011. Sans cela et en conséquence de la loi sur les retraites, les salariés de moins de 65 ans liquidant leur retraite après le 1er janvier 2011 auraient subi un abattement pouvant atteindre 22 % sur leur retraite complémentaire. C’est dire l’enjeu pour les salariés du privé de ces discussions qui portent aussi sur l’incidence de la loi de novembre 2010 et sur quelques autres aspects tout aussi importants [[L’avenir de l’AGFF après juin 2011, les taux de cotisation, l’équilibre financier, le rendement des points, les avantages familiaux et conjugaux, l’action sociale, les frais de gestion, etc.]].

La retraite, c’est comme un iceberg…

Une partie visible, l’autre invisible. Et les deux fondent… Les retraites des salariés du privé se composent d’une part versée par le régime de base de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse correspondant à 50 % du Salaire Annuel Moyen et d’une part complémentaire obligatoire collectée par des caisses de droit privé gérées paritairement par les organisations patronales et syndicales, l’AGIRC pour les cadres et l’ARRCO pour les non-cadres.
Ces régimes complémentaires sont des régimes par répartition qui fonctionnent non par annuités comme le régime de base, mais par points. Les cotisations sont converties en points. C’est le nombre de points et la valeur de sortie de celui-ci au moment de la liquidation qui détermine la pension complémentaire. Laquelle est une part significative de la retraite globale.
Pour les retraités non-cadres, la complémentaire ARRCO constitue entre 30 et 40 % de la pension globale. Pour les cadres, les complémentaires ARRCO et AGIRC (puisqu’ils ont une double cotisation) constituent entre 60 et 70 % de la pension.
Des sommes colossales sont en jeu, ce qui pose la question du financement de ces régimes dans les mêmes termes que lors du conflit sur les retraites de cet automne. Le Medef évidemment campe sur son refus d’augmentation de cotisations et cherche d’aller vers une baisse.
La question de l’âge de départ à la retraite et du droit au taux plein a donné lieu aux mobilisations exceptionnelles de cet automne. Malgré cela, la contre-réforme s’est imposée. L’enjeu de ces négociations sur les régimes complémentaires est le même que sur les retraites. Le mécanisme de ces régimes par points sera mis en discussion en 2013, avec l’accord de la CFDT. Les débats porteront sur un régime de retraite sous forme de comptes notionnels.

Les régimes de retraite par points


Un salarié se constitue des droits à la retraite complémentaire sous forme de points tout au long de sa carrière, en versant des cotisations. Ces cotisations sont transformées en points de retraite sur la base d’un prix d’achat du point, prix d’achat qui évolue chaque année comme le salaire moyen.
Au moment de la retraite, le nombre total de points obtenus est multiplié par la valeur du point et détermine ainsi le montant annuel de la retraite complémentaire. Il y a là un premier gros problème : la valeur du point à la sortie, dite valeur de service est, elle, revalorisée chaque année en fonction de l’évolution des prix et non plus du salaire moyen. Or, le salaire moyen augmente plus vite que les prix. Selon l’INSEE, entre 2002 et 2007, l’augmentation du salaire moyen est supérieure de 0,6 point chaque année à celle des prix dans le secteur privé. Ainsi les points coûtent plus cher à l’achat mais rapportent moins à la retraite. On dit que la valeur de service est inférieure à la valeur d’achat. Concrètement, le rendement effectif des régimes diminue régulièrement. Ainsi, dans le régime ARRCO, 100 euros de cotisation en 2009 ouvrent un droit de 6,62 euros de retraite. La même somme en 1990 (son équivalent en francs), inflation déduite, ouvrait un droit de 9,6 euros. En 19 ans, le taux de remplacement a donc baissé de plus de 30 %, bien plus que dans les régimes de base.
Deuxième gros problème : la majoration de la cotisation prélevée sur le salaire sans que cela donne des points supplémentaires correspondant à cette majoration. Par exemple, le taux de cotisation ARRCO est de 6 % du salaire, qui seuls seront convertis en points. Mais la cotisation sur la fiche de paie est en réalité plus forte, elle est de 7,5 % du salaire brut.
Ces deux problèmes sont de ceux qui sont discutés dans les négociations.

Les solidarités remises en cause.

C’est le propre des régimes par points d’être purement contributifs, c’est à dire que les pensions servies reflètent le montant des cotisations versées tout au long d’une carrière.
Globalement nous avons vu que le niveau des retraites était corrélé à celui des salaires, que les inégalités salariales se retrouvaient dans le niveau des pensions. Toutefois, dans le système par annuité, des compensations existent qui permettent par exemple d’obtenir des trimestres sans que ceux-ci soient réellement effectués (dans le privé). Certes il existe dans les régimes par points l’attribution de points sans contrepartie de cotisation, pour les périodes non travaillées comme le chômage et la maladie ou les droits familiaux (enfants). Ces droits non contributifs atténuent la proportionnalité entre cotisations versées et pensions.
Mais le principe qui a le vent en poupe en ce moment est celui d’une pure contributivité des régimes par points, principe porté par le MEDEF, on comprend pourquoi, mais aussi par la CFDT et la CGC. Les mécanismes de solidarité non contributifs sont perçus comme illégitimes dans les régimes à points car ils en affaiblissent la contributivité. La solidarité est renvoyée à l’intervention de l’Etat par le biais de la fiscalité.
Comme par hasard, cette volonté de réduire les solidarités affectent les femmes en premier lieu. Un seul chiffre : la pension AGIRC moyenne des femmes représente seulement 40 % de celle des hommes, 57 % pour la pension ARRCO.
Le MEDEF, auréolé de sa victoire lors du dernier mouvement sur les retraites engage ces négociations avec un rapport de force favorable. On peut craindre que l’unité syndicale affichée tout au long de l’automne ne soit plus de mise tant les positions des principales organisations syndicales sont éloignées sur des points cruciaux. La CGC défendra ses cadres, la CFDT adoubera tout ce qui ira vers un système généralisé par points avec la logique qui l’accompagne. La CGT porte des revendications classiques sur les financements et les solidarités et les organisations dites non représentatives ne sont pas invitées. C’est pourtant le réveil du mouvement pour un printemps social qui est nécessaire. [(Des transferts non-redistributifs Les caisses AGIRC et ARRCO étaient excédentaires jusqu’en 2007. Depuis, l’une et l’autre ont vu leurs résultats se dégrader, effets de la crise et donc du chômage, obligent.
Pour ARRCO, l’excédent est passé de 2,15 milliards en 2008 à 900 millions en 2009. Pour AGIRC, le déficit de 757 millions en 2008 a grimpé à plus de 2 milliards en 2009…
Depuis 1996, la compensation entre les caisses prend la forme d’un transfert financier récurrent de l’ARRCO vers l’AGIRC. En 2009, ce transfert s’est chiffré à 970 millions d’euros, et il était de 898 millions en 2008. Les non-cadres, ouvriers et employés financent ainsi le régime complémentaire des cadres, voire des hauts cadres – lesquels, par ailleurs, ont les moyens de se payer un troisième étage par le biais d’une complémentaire privée.)]

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