Lors de sa venue à Lyon,
nous avons interviewé Fabio Ghelfi, responsable de la politique internationale pour
la CGIL de Lombardie.
◗ Ecole Emancipée : Comment a évolué la situation des travailleurs italiens ces derniers mois ?
Fabio Ghelfi : Les chiffres du chômage sont critiques puisqu’on avoisine les 9 %. Concernant les droits des travailleurs, le gouvernement Berlusconi a introduit un article dans la dernière loi de mesure économique, approuvée en été, qui indirectement touche le droit de réintégration en cas de licenciement sans « giusta causa ». Droit qui avait été établi par le statut des travailleurs, loi pilier du droit du travail italien. Il n’y a plus de croissance et on va même faire face à une phase de récession, ce qui signifie que tout ce qui avait permis d’amortir les 3 premières années de crise est mis à mal.
La non-politique économique du gouvernement Berlusconi a empêché la mise en place de mesures et malheureusement, maintenant, le gouvernement Monti cherche une sortie de crise avec des sacrifices demandés aux retraités et aux salariés. En première instance, il n’a pas pris de mesure très significative en terme de relance économique et alors qu’on attendait une loi sur la taxation des patrimoines, on obtient une mesure très partielle qui ne s’adresse qu’aux propriétés de luxe. Après la loi de réforme des retraites très inéquitable (il y a des travailleurs qui d’un jour à l’autre se trouvent devoir travailler 5 ou 6 ans de plus), une nouvelle réforme concernant le marché du travail est prévue et déjà, les premiers éléments sont négatifs : sans concertation, le gouvernement reprend à son compte la destruction des garanties face au licenciement injustifié. Il n’y a aucune réponse à la grave situation des jeunes sans espoir d’émancipation sociale et économique. Il faut des contrats d’embauche qui ne les jettent pas dans la précarité et une réforme du système de sécurité sociale qui empêche la précarité de la vie même. La précarisation des salariés est très forte : il existe des lois qui multiplient les types de contrat de travail (actuellement 46 formes possibles) et dans lesquels on trouve des formes variables de précarité. Elle est devenue transgénérationnelle. Son développement a des conséquences sur les conditions de travail et de vie des salariés et aussi des implications sur la valeur du travail.
◗ EE : Comment se portent les services publics ?
F. G. : Ils sont dans un état critique à cause du manque criant de ressources. Même dans les communautés où il reste de l’argent, le pacte de stabilité empêche son utilisation pour relancer l’économie. Les administrations ont en charge des services sociaux réduits du fait de l’absence de crédit et cela produit une crise de confiance des citoyens dans leurs institutions qui touche directement les administrateurs locaux, premiers représentants institutionnels au contact de la population.
◗ EE : Cet été, les organisations syndicales ont signé une entente avec la Confindustria. Peux-tu expliquer de quoi il s’agissait et quels étaient les objectifs de la CGIL en le signant ?
F.G. : L’idée en signant ce pacte était de trouver un accord entre partenaires sociaux pour mettre en place un fonctionnement et des règles de négociation et de représentativité qui puissent servir l’intérêt de tous. Tout cela avait été en panne ces dernières années faute d’accord entre les syndicats les plus représentatifs. Ce travail a été contredit presque immédiatement par le gouvernement Berlusconi qui, sortant de cette logique d’accords basés sur la négociation et le dialogue social, a imposé un article qui permet de déroger à la convention collective sur le point-clef du licenciement.
◗ EE : C’est contre cela qu’était basé l’appel à la grève de la CGIL pour le 6 septembre ?
F. G. : Oui même si cet appel englobait des raisons plus complexes. Comme toutes les mobilisations auxquelles nous avons appelé ces trois dernières années, il y avait des motifs spécifiques concernant des mesures prises par le gouvernement Berlusconi et également une dénonciation de l’incapacité de celui-ci à mettre en place une quelconque politique économique, niant qu’il y avait une crise jusqu’au moment où les marchés financiers ont attaqué le système italien. Les grèves de la CGIL portent aussi des propositions de politiques économiques qui visent à sortir de la crise, à mettre en place une véritable politique économique, à favoriser le développement et déterminer les bases sur lesquelles on doit relancer l’économie. C’est tout cela les raisons de notre mobilisation.
◗ EE : Quelles sont justement vos propositions pour sortir de la crise ?
F. G. : Réagir grâce à des politiques publiques de développement économique qui mettent en valeur des secteurs et des ressources qu’on n’utilise pas encore, se tourner vers des investissements qui améliorent la qualité de vie, vers l’énergie renouvelable et « l’économie verte » avec laquelle nous pourrions créer beaucoup d’emplois et des ressources énergétiques. Permettre aussi une meilleure redistribution des richesses à travers de nouvelles taxations du patrimoine. Il ne faut pas repousser les départs à la retraite mais repérer les ressources là où elles sont pour financer les pensions. Nous voulons que les catégories sociales jusque-là les plus épargnées payent des taxes qui permettront de faire ces investissements, de mener des réformes structurelles de l’Etat-providence et des aménagements du marché du travail permettant de le redynamiser. Nous avons aussi agi pour les droits des femmes et des migrants, la lutte contre la corruption et l’illégalité et pour dénoncer les situations critiques qui perdurent dans notre pays.
◗ EE : Comment analyses-tu le changement de gouvernement ?
F. G. : Il est arrivé car il n’y avait plus aucune possibilité de maintenir celui de Berlusconi mais aussi grâce au mouvement social et à l’action syndicale de la CGIL (les autres ne se sont pas mobilisés pendant ces trois années). On est tombé sur une « solution » de gouvernement « technique » mais dont l’orientation s’annonce malheureusement dans la continuité du précédent, ce qui est dû en partie aux équilibres dans le Parlement favorables au centre-droit.
Au-delà de cette impression qui pourrait paraître subjective de ma part, il annonce qu’il va faire des réformes structurelles, il est soutenu par une majorité transversale et on doit reconnaître qu’il est formé de personnes qualifiées. Mais il a lui aussi une vision politiquement orientée des réformes et c’est une vision qui ne regarde que d’un côté. Je dis cela car on avait annoncé des choix basés sur l’équité sociale, ce qu’on ne retrouve pas du tout. Si on remarque une planification de réformes structurelles on voit aussi qu’il manque toutes les mesures qui auraient pu rendre acceptables par tous, celles annoncées. Au contraire, on va vers un affaiblissement du pouvoir d’achat, une dégradation des conditions de vie des salariés et des retraités et des mesures de taxation du patrimoine qui restent complètement insuffisantes.
Il y a une manière d’agir différente et c’est déjà une bonne chose, mais du point de vue du contenu, ce n’est pas du tout satisfaisant. Cela nous inquiète beaucoup. Nous sommes opposés à l’austérité dans la mesure où nous ne pensons pas qu’une économie puisse être relancée sans une politique d’investissement qui produise un cercle vertueux.
En ce qui concerne les économies, nous voudrions des mesures qui s’attaquent aux privilèges et au train de vie des politiques et bien sûr au problème de la fraude fiscale car le cas italien est édifiant, avec un taux de fraude fiscale si élevé que cela nous prive de ressources énormes qui sont aujourd’hui plus que jamais nécessaires. Pour nous, il s’agit aussi d’une lutte morale et éthique car la fraude fiscale est un poids pour les citoyens honnêtes qui pèse en particulier sur les travailleurs salariés, qui eux, voient taxer lourdement chaque euro qu’ils gagnent en travaillant.
Dans cette phase critique, on ne peut ni se permettre de laisser de côté toute une partie des richesses parce qu’elles ne sont pas déclarées, ni manquer de courage en ne s’attaquant pas à certains privilèges. La plus mauvaise façon de faire pour ce gouvernement serait de commencer des discussions en mettant en cause les droits acquis, au nom de réformes « techniques ». Nous refusons ça fortement.
La CGIL restera engagée avec ses propositions, en contribuant avec ses analyses sociales et économiques et nous n’accepterons jamais la destruction des droits au nom d’un gouvernement technique. ●
Interview réalisée par Edwige Friso
Notes :
Dans le cadre des mesures d’austérité proclamées par le gouvernement italien le 12 août 2011 figure un décret qui reconnaît la possibilité
pour les accords signés au niveau des entreprises de déroger aux normes inscrites dans le droit du travail. A cela s’ajoute l’adoption par le Sénat italien, le 3 septembre 2011, d’un amendement au décret permettant
de déroger à la protection contre les « licenciements injustifiés »
prévue par la loi sur le travail.
La Confindustria est l’organisation patronale.
Les 3 organisations des salariés CGIL, CISL et UIL ont signé cet accord
qui a été perçu par les courants critiques comme une régression
pour les droits des travailleurs et les droits syndicaux et ce dans un contexte d’attaques majeures portées aux salariés.