À l’heure où nous écrivons
ces lignes, le gouvernement
n’a toujours pas fait connaître aux organisations syndicales
le contenu de la future loi d’orientation et de programmation pour l’école.
Nous en connaissons les grandes lignes d’après le rapport
sur la concertation qui a eu lieu de juillet à fin septembre et qui n’a été, finalement, qu’une suite de « grand’ messes », peu cadrées et dans lesquelles la voix
de quelque expert autoproclamé pesait autant que celle
des représentants des personnels ou des usagers…
Le président, puis son ministre ont ensuite donné les orientations qu’ils comptaient retenir.
Elles ne figureront pas toutes dans la loi mais seront aussi déclinées dans d’autres textes réglementaires, décrets, arrêtés…
Ce que l’on sait donc pour l’instant, c’est que la philosophie même de la loi Fillon
sera entérinée. Le socle commun de compétences et
de connaissances auquel
on ajoutera « culture »,
sans doute pour mieux le faire passer, sera encore le pivot
de l’école obligatoire. Et même si
le ministre insiste pour qu’aucun jeune après 16 ans ne soit laissé sans solution, l’ambition
de l’élévation du niveau
de qualification de l’ensemble d’une population
n’est pas à l’ordre du jour.
Cela génère une école toujours aussi inégalitaire. Pour deux raisons : la première, c’est que la coexistence entre
le socle et des programmes montre bien que plusieurs populations sont visées.
Ceux qui peuvent le moins
se contentant du socle
et les autres pouvant aller plus loin et poursuivre des études secondaires longues
puis supérieures…
On voit là le fameux
« bac -3 / bac + 3 » préconisé
par le gouvernement précédent et
qui est profondément inégalitaire. La seconde raison est que le socle se réduit à la scolarité obligatoire (jusqu’à 16 ans donc),
ce qui montre bien que la suite
(le lycée) n’est pas pour
tout le monde.
Nous pensons au contraire
que tous les jeunes sont capables de suivre des études jusqu’au baccalauréat et que, même
s’il faudra du temps,
c’est dès main tenant que l’opportunité aurait due être saisie… Une occasion manquée ?
Une chose est d’analyser un texte de loi au regard de ce qu’il change par rapport à l’existant. C’en est une autre de le faire par rapport au souhaitable. La bonne démarche syndicale est, pour nous, de pousser à ce que le texte soit le plus proche possible des mandats syndicaux élaborés collectivement.
L’école que nous voulons
Il n’y a pas de différence de nature entre les êtres humains. Même si, dès l’entrée à l’école maternelle, on perçoit bien que certains élèves ont déjà reçu plus que d’autres les clés de la réussite scolaire, nous considérons qu’il est juste que l’ambition de l’école soit d’offrir à tous la possibilité d’une scolarité complète dans les meilleures conditions.
De nombreuses études montrent que la compétition entre les élèves ne profite qu’à ceux qui en connaissent les codes. Il est d’ailleurs assez étonnant de considérer que pour apprendre, il faille chercher à être le meilleur. Qu’est-ce donc qu’être le meilleur quand il s’agit de se construire ? Une école qui valoriserait donc la coopération entre pairs, qui mutualiserait les acquis de tous, serait sur la bonne voie.
De même, pourquoi ce qu’on apprend à l’école devrait-il être différent d’un élève à l’autre ? Pourquoi continuer à considérer que seuls certains jeunes peuvent être initiés à la philo, approfondir l’histoire, par exemple ? Pourquoi former des utilisateurs des « nouvelles technologies » d’un côté et des concepteurs de l’autre ?
Poser la question est déjà y répondre et c’est bien d’un cursus commun le plus long possible dont nous avons besoin pour faire progresser collectivement la société. Pour la FSU, c’est jusqu’à 18 ans que l’école doit être suivie par tous. Pour l’Ecole émancipée, les filières, même au lycée, ne sont qu’un pis-aller qui permet aujourd’hui de camoufler les inégalités de fait. Il faut tendre le plus vite possible vers une école unique, pour tous et sans voies plus ou moins nobles.
Car l’objectif que nous assignons à l’école, c’est bien l’émancipation de l’ensemble de la population. Si l’école ne doit pas ignorer le monde du travail, elle ne doit en aucun cas n’être qu’un laboratoire de fabrication de futurs travailleurs dociles. Démocratiser l’école, c’est permettre à tous de choisir sa place dans la société, sans tenir compte de son origine. Construire une école égalitaire, c’est aussi commencer à changer la société…
Comment faire ?
Si la FSU existe, si nous participons à sa construction, c’est bien parce qu’elle porte à la fois ce besoin de changer la société et de changer l’école. Même si son orientation et son fonctionnement doivent être améliorés, elle se doit de construire des alternatives au système actuel. C’est bien en continuant à élaborer collectivement, sans concurrence entre les différents syndicats nationaux, que cela doit être possible. La formation des enseignants est, par exemple un des sujets sur lequel, sans la FSU, aucun progrès ne sera possible si chacun travaille dans son coin.
C’est en initiant une véritable convergence des mobilisations et des actions dans tous les secteurs de l’éducation nationale et de l’enseignement agricole que la FSU pourra obtenir une loi pour une école vraiment émancipatrice.
La concertation au rapport !
Le rapport livré à l’issue de la concertation laisse entrevoir une école peu différente de celle dessinée par Fillon-Chatel : du côté des personnels et du système éducatif, la gouvernance libérale est toujours de mise ; du côté des élèves et des apprentissages, le projet déroule encore une vision de l’école empreinte d’utilitarisme.
Le rapport fait un état des lieux de l’école assez édifiant : dans l’énoncé du constat, ainsi que dans celui des valeurs mises en avant pour la prochaine école, les mots employés sonnent juste. La concertation a « entendu » les partenaires, elle a « capté » le discours syndical et son idéologie. Il reste à démontrer que nous mettons la même chose derrière les mêmes mots… Et si le rapport condamne « l’employabilité », les « quasi marchés » et prétend que l’école doit « créer du commun », il faudra que le discours syndical s’emploie à mettre au jour les décisions (autonomie réaffirmée, extension de la contractualisation, socle et LPC confortés) qui vont à l’encontre de ces belles déclarations.
Ce qu’il distille en termes d’idéologie
Le socle est le fil rouge de cette « nouvelle » école : le rapport préconise d’élever le niveau de connaissances des élèves, et pour ce faire, d’allier savoirs et compétences, de transformer les contenus, d’agir sur les modalités de la transmission et de l’appropriation… Il faut donc revoir les pratiques (la pédagogie doit évoluer et en finir avec le « frontal »), fabriquer une école « bienveillante » (et repenser le rôle de l’évaluation, aller vers une notation positive), privilégier le « vivre ensemble » pour améliorer le climat scolaire…
Les préconisations pour cette future école :
– Priorité à la scolarité obligatoire, ce qui revient à réaffirmer une rupture à 16 ans pour certains.
– Priorité au primaire : rôle de la maternelle conforté. « Plus de maîtres que de classes » en CP-CE1. Fin des devoirs à la maison. Langue vivante dès le CP.
– Collège : continuité avec le primaire, échanges de services ; redéfinition des cycles (champs disciplinaires en 6ème-5ème). Education à l’orientation dès la 6ème. Evolution de la notation, suppression du redoublement. Réforme du DNB pour tenir compte du socle.
– Lycée : pas de remise en cause de la réforme des lycées, mais allègement des horaires. Apprentissage conforté, à développer au sein des LP. La carte des formations passe aux régions.
– Lutte contre le décrochage : un référent (nouveau métier ?) dans collèges et LP ; créer d’autres dispositifs type classes relais, EC2, micro-lycée…
– Rythmes : décisions issues du comité de pilotage mis en place par Chatel, retour à 4 jours et demi en primaire, journée de cours limitée à 5 hs. jusqu’en 5ème, place laissée au périscolaire. Pas de changement pour l’instant sur les congés d’été.
– Personnels : sur la formation, aucune annonce précise. Même chose en ce qui concerne les missions et conditions de travail, mais des phrases inquiétantes ciblant la « rigidité des emplois du temps hebdomadaires » ou encore une évaluation « qui valorise l’investissement personnel ».
– Gouvernance : instauration d‘un statut de directeur d’école ; autonomie comme principe ; évaluation généralisée du système ; extension des contrats d’objectifs ; création d’un service public régional de l’orientation.
Comme tout rapport, les implicites sont nombreux et aucune information précise n’est donnée sur la mise en œuvre des préconisations. Néanmoins, il est clair que la ligne politique qui irrigue le projet n’a rien de la rupture annoncée. L’autonomie comme principe libéral sévit toujours. Alliée à la décentralisation, elle va alimenter les inégalités, scolaires et sociales et nourrir un projet d’école capitaliste.
Jérôme Falicon et
Véronique Ponvert