L’école est au centre d’une contradiction, outil du tri social ou d’émancipation,
qui évolue au gré des rapports de force sociaux. Redéfinir notre utopie de l’école est nécessaire pour donner un sens à nos combats collectifs et intervenir dans les débats autour de l’École : refonte du lycée, rythmes scolaires, nouveau socle, évaluation…
C’est ce que nous avons voulu commencer à travailler en organisant un stage des groupes départementaux du Doubs, du Jura, de la Côte d’Or.
Un projet pour l’école est une question sociale d’une importance primordiale. Nous portons l’idée d’une école qui permette à tous les jeunes de devenir des citoyen-nes capables de comprendre et d’agir sur la société dans laquelle ils vivent, capables d’avoir la main sur leur avenir professionnel.
Sans attendre les « lendemains qui chantent », nous engageons la réflexion pour changer l’École.
Le rapport de force n’est pas en faveur du salariat. La vision libérale de l’école est mise en place par l’Europe et les gouvernements avec l’école du tri social.
Nous connaissons ses déclinaisons : concurrence, mérite, 50 % d’une classe d’âge à un haut niveau et employabilité pour les autres, socle de compétences, livret personnel de compétences…
Nous savons que l’école actuelle peut générer l’échec, le rejet de l’institution scolaire dès le plus jeune âge. Nous savons que les contenus, le déroulement des journées, l’organisation, les pratiques ont des conséquences sur nos élèves. C’est tout cela que nous voulons interroger.
Nous ne partons pas de rien, il y a eu des tentatives comme celle du Conseil National de la Résistance avec le plan Langevin Wallon, les travaux des groupes pédagogiques (ICEM, GFEN), du Groupe de Recherche pour la Démocratisation Scolaire ou du groupe Appel pour une école démocratique (avec Nico Hirtt, qui n’a pu participer à notre stage).
A l’ÉÉ, nous avons une revendication historique : le lycée polytechnique pour tous et toutes jusqu’à 18 ans.
Mais une fois que nous avons dit cela, comment le décliner politiquement et concrètement ?
Nous avons aussi un postulat, l’éducabilité de tous les enfants : il n’y a aucune raison pour qu’un enfant ne puisse réussir à l’école (hormis peut-être certaines situations de handicap).
Dans notre société, vue la hiérarchie sociale, l’égale dignité des trois voies de formation n’est pas atteignable, est-ce un cache-misère de la ségrégation ?
**Les échanges lors de ce stage
Tout au long du cursus de tous les élèves, l’école polytechnique doit assurer une culture générale qui permette d’agir sur la société et une culture technologique qui permette d’agir sur la matière.
Pour pouvoir agir sur le monde, il faut donner aux élèves les moyens de comprendre pourquoi ils ont réussi. Il faut combattre la place du mérite et l’acceptation du terme, faire en sorte que les élèves des milieux défavorisés ne soient pas moins sollicités que les autres.
Les méthodes de lecture : nous ne reviendrons pas sur ce dossier qui a déjà été traité dans notre revue.
La polyvalence et la formation des maîtres : les Professeur-es des Écoles ont un attachement important à la polyvalence, c’est une richesse qui permet de ne pas délaisser certains pans de la formation des élèves, de garder la vision globale de l’élève.
Il faut trouver un équilibre entre l’homme à tout faire 1er degré et la monovalence.
Pour travailler à plusieurs dans une classe, il faut plus aller vers la polyvalence d’équipe, et prévoir une formation adéquate. Faut-il envisager deux blocs de formation autour du langage et des sciences/mathématiques pour assurer l’excellence des maîtres, et faire que les élèves aient deux enseignant-es ?
Dans la formation des maîtres, il manque l’épistémologie des savoirs, les questions didactiques, la psychologie, les neurosciences, l’étude des moyens de communication…
Évaluation : on connaît le pilotage par les résultats et la transformation induite des pratiques. Dans notre projet, nous voulons une école sans évaluation normative, qui ne pratique pas la distillation progressive des élèves.
Il y a besoin dans toute pédagogie de faire le point à un moment, il faut trouver des méthodes pour savoir si l’élève a atteint l’objectif que l’on s’était fixé sachant que tous doivent arriver à cet objectif.
La forme de l’évaluation finale doit être définie. Elle doit permettre le choix de l’orientation pour les jeunes adultes, garantir un diplôme reconnu sur le marché du travail.
Pédagogie du projet : le projet doit être celui de l’élève ou du groupe pour donner envie d’entreprendre quelque chose. Sa définition collective est déterminante pour éviter l’écueil de mettre les élèves en situation de réaliser le projet du maître. Il faut mettre les élèves dans une situation dynamique.
L’objectif est d’aller au bout des choses pour comprendre. Cela prend du temps pour nous mais surtout pour les enfants.
La dispersion, l’amoncellement des programmes est une façon de régner, de reproduire l’élite de ceux qui acceptent. Il faut faire disparaître la discipline de sélection.
Il faut être capable de prendre en compte toutes les grandes problématiques.
Quel type de programmes faut-il en respectant les rythmes d’apprentissage et biologiques des élèves ?
La pédagogie du projet est compliquée à mettre en place dans un système constitué. Cela demande des moyens (petits effectifs, locaux adaptés…) et beaucoup de temps. C’est peut-être plus facile en classe unique.
Cela implique une remise en cause complète de l’organisation actuelle : découpage en heures… Cela pose la question du temps de travail.
Un autre problème, c’est le temps de travail professionnel que cela demande. L’enseignement est un métier, pas un sacerdoce.
Démocratie à l’école : il doit y avoir à tous les niveaux des instances de démocratie avec les élèves : coopérative de classe, conseil de Coop…
Il faut aussi reconnaître le droit d’organisation réel pour les jeunes. En quelque sorte l’école de la démocratie prolétarienne.
Ce stage a permis une réflexion complètement ouverte. C’est un premier pas vers notre utopie d’une école du peuple, d’une société sans classe sociale. Nous aurons à nous retrouver pour continuer cette élaboration collective. ●
Nadine Castioni,
Dominique Letourneux
et Jean-Jacques Vidal
Alternatives Pédagogiques et Éducatives
Le Plan Langevin Wallon : réfléchi au sein du Conseil National de la Résistance, il ouvre des perspectives révolutionnaires à l’époque : une formation de haut niveau pour tous les enseignants ; un allongement de la scolarité de 14 à 18 ans ; l’établissement d’une scolarisation indifférenciée pour tous les enfants pendant une période d’observation, puis pendant une période d’orientation.
La scolarité est prévue en trois cycles, les horaires de travail sont gradués selon le niveau de la scolarité : 15 heures par semaine entre 9 et 11 ans, 20 heures entre 11 et 13 ans, et 25 heures entre 13 et 15 ans. Les examens n’apparaissent qu’à la fin du cycle de formation obligatoire, soit à 18 ans.
L’Institut Coopératif de l’École Moderne (ICEM) : créé autour de Célestin Freinet, son projet est une école unique jusqu’à 18 ans, une école laïque, émancipatrice, coopérative, où l’enfant-auteur a toute sa place et qui permet une méthode naturelle d’apprentissage par tâtonnement expérimental ; une école où chacun est reconnu, accueilli, respecté, une école de l’égalité des droits ; une école ouverte à la vie et vers la vie.
Il met en place des dispositifs de travail collectif et individuel, une évaluation compréhensible par les élèves, la continuité des apprentissages au rythme de chacun…
Le Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN) : provoquant la rencontre entre les élèves et des situations porteuses de transformations, le pari du « tous capables » s’appuie sur un renversement pédagogique indispensable pour construire le désir et le goût d’apprendre.
C’est la responsabilité de l’école de doter tous les enfants des savoirs leur permettant de penser le réel pour développer leur pouvoir d’agir.
Amener les enfants à « faire pour de bon » à travers des situations-problèmes qui obligent à sortir de l’impasse, leur permettre de construire ensemble des dynamiques pour apprendre, demande aux « maîtres » et aux équipes dans lesquelles ils travaillent de comprendre l’activité à l’école et de considérer ses missions dans une visée émancipatrice.
Le Groupe de Recherche pour la Démocratisation Scolaire (GRDS) : il est principalement composé de chercheurs et de syndicalistes autour de J.-P. Terrail.
Son projet est une école commune de 3 à 18 ans, sans filière, sans évaluation normative dans laquelle tous les jeunes « passeraient dans le même moule », contre toute sélection ou différenciation des parcours.
Il refuse les filières ségrégatives et considère l’école comme un continuum de 3 ans jusqu’à un bac en 1ère et une terminale propédeutique pour choisir son orientation.
Le système éducatif n’est pas fait pour apprendre un métier mais pour former des citoyens qui ont la maîtrise sur la société et sont capables de gérer leur avenir professionnel. La formation doit être technique et technologique.
La culture enseignée doit rompre avec la conception élitiste, méritocratique de la société.