La dégradation des relations entre parents, personnels, élèves ou même au sein des équipes et des conditions
de travail dans les écoles primaires françaises fait moins de bruit que dans le second degré.
Et pourtant la réalité est là. Cette réalité que chacun pouvait pressentir, un rapport récent en rend enfin compte.
La souffrance au travail est une notion nouvelle chez les enseignants. Après la casse des dernières années, la situation dans les écoles est tellement tendue que tout ce qui était contenu jusque là ne peut plus l’être.
En partant du constat que les enquêtes de victimation sont plus souvent faites auprès des élèves que des enseignants, Eric Debarbieux et Georges Fotinos ont estimé qu’il était nécessaire d’inclure dans la leur tous les membres de la communauté scolaire et que mesurer cette victimation permettrait de « se prémunir du risque d’exagérer cette violence en entraînant des dérives sécuritaires outrées ».
Ils ont publié en septembre 2012 un rapport intitulé « l’école entre bonheur et ras-le-bol ».
Un rapport à l’appui…
Une majorité de personnels estiment le climat scolaire positif (91,7 %). Cette appréciation varie en fonction de la situation des personnels, de la taille de l’établissement, du fait de se trouver en éducation prioritaire, d’avoir bénéficié d’une formation ou pas… « Dans le cas de l’éducation prioritaire ce sont surtout les femmes (18 % vs 11 % pour les hommes) qui s’estiment non respectées par les parents ». La plupart des violences sont verbales, mais les coups donnés par les jeunes enfants ne sont pas identifiés comme des violences physiques par les enseignants qui parlent alors d’« une difficulté de la vie pédagogique ». Le manque de formation est un facteur aggravant. La réforme de la mastérisation est perçue comme une erreur totale, comme une attaque contre la professionnalité et les compétences des enseignants. Les jeunes professeurs sont plus négatifs sur le climat scolaire.
Ce rapport indique que « 37 % des personnels reconnaissent avoir eu (…) des problèmes fréquents avec des enfants “gravement perturbés” » et révèle « un important malaise dans les écoles françaises quant aux enfants considérés comme agressifs ». On voit aussi apparaître que « l’intégration du handicap mental pose des problèmes importants ».
Les directeurs des écoles sont les plus exposés aux agressions parentales, verbales ou physiques. Les personnels interrogés font également état d’une véritable « violence institutionnelle » avec « l’impression de ne pas être écouté, d’être dirigé de manière bureaucratique, non respectueuse ». Ainsi, « 14,5 % des répondants disent avoir été mis à l’écart par des collègues », le sentiment d’isolement et de manque de solidarité de l’équipe augmentent la perception négative du climat scolaire et sont cause « d’un effondrement du rapport à leur école ». Le terme de « harcèlement » apparaît aussi et souligne le malaise dû à « un problème de gestion humaine important ».
« La “violence” peut être de bas bruit, mais sa répétition peut entraîner des troubles importants pour ceux qui en pâtissent et pour l’environnement scolaire ». La polyvictimation engendre « des phénomènes de stress intense, de perte d’estime de soi et de démotivation professionnelle ».
…des pistes pour changer…
Afin de libérer du temps pour la vie d’équipe, Debarbieux et Fotinos proposent d’évaluer le temps passé à renseigner les multiples enquêtes, de repenser globalement l’utilité et le timing des évaluations nationales des élèves et « la suppression pure et simple de la dite “ aide personnalisée “ inefficace et stressante ». Pour former les personnels à leur métier, ils préconisent une formation intégrée dès la licence, une formation à la gestion des conflits et une au partenariat, « non pour substituer un métier à un autre mais pour une meilleure interconnaissance au service des enfants, des jeunes et des familles ». Pour eux, l’évolution et l’augmentation des RASED est incontournable ainsi que la création de postes d’enseignants surnuméraires et le recrutement de personnels d’aide (AVS) dont la formation est une condition d’efficacité. Ils suggèrent un autre modèle pour les relations humaines avec un équilibre entre une autonomie réelle et un pilotage raisonnable, non bureaucratique, la mise en place d’une médecine du travail et de prévention, un développement du travail en équipe.
Ils craignent que toute « concertation » qui oublierait cette dimension se heurte à un scepticisme généralisé.
…et un ras le bol bien présent
La violence est donc bien présente à l’école primaire mais de façon plus insidieuse que celle du second degré largement relayée par les médias depuis cette rentrée. On ne la voit pas toujours, elle se ressent à force d’accumulation.
Il n’est pas facile en tant qu’enseignant-e de se déclarer victime de ses élèves, encore plus lorsqu’ils ont moins de 12 ans. Nombre d’entre eux doivent préférer se taire plutôt que de se voir coller cette étiquette de
victime !
« Ce sont aussi ces remplaçants qui se disent le plus victimes à répétition (16,9 % vs 8,6 %) sans qu’il soit possible ici de décider si c’est leur fragilité qui les a conduits vers la situation de remplacement ou si c’est la situation de remplacement qui les fragilise ». Cela soulève un problème récurrent, celui de la quasi inexistence de poste pour les collègues usés par ce boulot. Souvent ils sont nommés sur des postes de remplaçant. L’administration pensant étouffer « le problème », le déplace et ne règle rien aux difficultés et aux souffrances de ces collègues. Par contre, ils se retrouvent pointés du doigt d’école en école. On donne ainsi à voir à tout un département une image d’eux d’autant plus difficile à assumer qu’ils ne vont pas très bien.
Si l’intégration des élèves handicapés pose des soucis aux enseignant-es c’est parce qu’ils n’ont reçu aucune formation pour aider réellement ces élèves aux besoins particuliers et que le plus souvent l’Etat ne donne pas les moyens de le faire dans de bonnes conditions. La présence d’un seul élève peut mettre en péril le fragile équilibre d’une classe s’il n’est pas accompagné par un personnel formé pour l’aider à gérer ces difficultés, qu’elles soient physiques, cognitives ou comportementales. Et il ne s’agit pas de créer un énième contrat précaire en embauchant tous les 2 ou 6 ans des personnels non formés. A quand la création de véritables emplois pérennes pour accompagner les élèves en situation de handicap ?
Et pour les autres emplois précaires ?
Ce n’est pas aux collectivités locales de réfléchir à une aide de secrétariat pour les directeurs, c’est à l’Etat de créer des postes pérennes avec des personnels formés, sous peine de créer encore des inégalités. Le rapport indique que les directeurs sont plus souvent victimes des agressions des parents et ressentent plus l’isolement. Alors repensons aussi les directions d’école, mettons en avant le collectif qu’est le conseil des maîtres, donnons lui les moyens et du temps pour fonctionner correctement. Il est aussi affirmé que plus la taille de l’école augmente, plus la violence est présente et ressentie par les enseignants ! Voilà un argument supplémentaire pour refuser les EPEP, E2P et autres usines scolaires et garder des écoles à taille humaine. Et cela ira mieux aussi quand on créera des postes au lieu d’en supprimer.
Reste encore, même dans les petites écoles à trouver sa place. Parce que tout a été fait ces dernières années pour isoler les collègues, les épuiser à leur tâche et éviter toute velléité de réflexion collective. Les tensions entre collègues augmentent et deviennent ingérables à l’interne. Et comment imaginer qu’un IEN puisse être un médiateur quand ses propres relations avec les enseignants sont problématiques. Car les enseignants expriment vis-à-vis de leur hiérarchie un sentiment d’abandon, « ils ne soutiennent que les parents », d’absence, « on ne le voit que tous les 3 ans voire tous les 5 ou 7 ans » et d’abus de pouvoir.
Pour commencer, nous devons nous débarrasser de l’aide personnalisée qui plombe la journée des enseignant-es et qui est un alibi pour supprimer les RASED. Dans la même veine, une opposition ferme aurait été nécessaire face à ces évaluations nauséeuses qui en plus de déstabiliser les élèves, d’enfoncer les plus fragiles avaient aussi pour objectif de classer les écoles et d’évaluer les enseignant-es. Il faut également récupérer nos droits syndicaux-la reconnaissance des enseignant-es passe aussi par la prise en compte de ce qu’ils veulent, reconquérir tous les espaces de paroles, recréer du collectif, ne pas rester isolés.
Au final, pas de grandes découvertes mais des intuitions confirmées par des chiffres et des malaises enfin exprimés. Maintenant qu’une délégation ministérielle a été nommée suite à ce rapport qu’en sera-t-il des réalités mises en place ?
Mylène Denizot