Rapport Grande difficulté scolaire IGEN novembre 2013

Note EE : Véronique Ponvert, Pascal Prelo, Bernard Valin Février 2014 Cliquez ici pour télécharger la note Un rapport très attendu Si ce rapport peut paraître aujourd’hui un peu dépassé, puisqu’il advient après les chantiers métiers, il revêt pourtant une importance symbolique très forte et surtout il a une vocation programmatique. Ce rapport était attendu à la rentrée. Lors des chantiers métier, le directeur de cabinet adjoint a expliqué ce retard par un blocage sur la question budgétaire du nombre de postes. Il s’agissait aussi, d’après le ministère, de ne pas polluer les discussions.

Le premier degré et la difficulté scolaire

**Des constats qui ne servent pas aux préconisations


Ce qui est le plus curieux à la lecture de ce rapport, c’est à quel point certains constats ne sont pas pris en compte dans les préconisations.
Par exemple, la formation et les missions du maître G sont louées pour traiter les problèmes éducatifs (p. 75) mais on s’étonne que « Dans les faits, il n’est que peu sollicité sur ces cas lourds et les situations critiques qu’ils provoquent. » (p. 75), comme si le fait que les maîtres G aient été réduits de moitié en 5 ans n’avait pas de conséquences sur le fait qu’ils soient ou non sollicités.
De même, il est reconnu qu’au-delà de 8 écoles, le dispositif perd en efficacité (p. 73), alors que la notion d’antenne est éliminée des préconisations.
Encore, les rapporteurs reconnaissent le saupoudrage dans l’aide apportée par les RASED (p. 80) mais ne proposent pas de développer de manière massive le nombre de postes pour lutter contre ce saupoudrage.
Enfin, on affirme que les RASED sont trop coupés de la classe alors qu’on préconise de les en éloigner un peu plus en détruisant le dispositif en antenne, qui limite le périmètre d’intervention et en positionnant les G et les psys à l’échelle de la circonscription.

**Des préconisations qui entérinent l’existant


Le rapport reconnaît qu’à cause de leur disparition progressive, les RASED sont complètement éclatés sur les circos (p. 69). Au lieu de préconiser un retour à l’échelle de l’antenne, où tous les intervenants sont situés sur un périmètre limité, il recommande de partir de l’existant pour ne laisser que le maître E auprès des écoles et stabiliser le G et le psy au niveau de la circo, les incluant dans un pôle pluri professionnel pour répondre aux situations d’urgence et faire du conseil.

**Des constats tronqués


Les rapporteurs affirment que les enfants en grande difficulté ont été soutenus tout au long de leur scolarité par différents dispositifs d’aide et que pourtant la difficulté persiste (p. 80). Ils s’appuient sur ce constat pour nier l’efficacité du dispositif RASED. Or, la réalité, c’est qu’à cause de leur nombre limité les enseignants spécialisés priorisent le cycle 2 (p. 80) et ne traitent qu’au maximum 10 % d’une génération (p. 79) alors que 20 % sont reconnus en grande difficulté.
Un dogme qui interroge : «… c’est dans la classe que se pose le problème et c’est dans la classe qu’il doit être résolu. » (p. 75)
Cette formulation peut paraître de bon sens à première vue puisqu’elle semble sous-entendre qu’il ne faut pas externaliser le soutien aux élèves en difficulté.
Or, avec Meirieu, on peut affirmer que ce qui se passe à l’intérieur de la classe a autant d’importance que ce qui se passe à l’extérieur : « la lutte contre le grand échec scolaire nécessite des mesures importantes portant aussi bien sur les conditions de vie, l’aide aux familles, la scolarisation, la pédagogie et la didactique… que sur l’accompagnement des enfants par un tissu social mobilisé pour renouer les solidarités inter générationnelles. »
Par ailleurs, compte tenu de la filiation du rapport à la « stratégie Europe 2020 » (p. 10), on est en droit de se demander si le support idéologique de ce rapport n’est pas le modèle de l’école défendu par Pisa, celui d’une école “responsabilisée”, “autonome” dans ses projets, s’appuyant sur “propres” ressources. L’objectif libéral de l’OCDE, c’est d’isoler l’école et de la déconnecter de la réalité sociale. Cette volonté de se restreindre à la classe est à mettre en résonance avec l’obsession du gouvernement de vouloir tout miser sur les aspects techniques de l’apprentissage, une façon d’éluder les causes sociologiques de l’échec scolaire (Bourdieu, Establet, Duru-Bellat… ), considérées par les Inspecteurs généraux comme n’étant pas déterminantes (p. 14) même si elles ont été reconnues comme majoritaires (p. 24).

**De la grande difficulté scolaire au handicap


Les rapporteurs constatent que la notion de grande difficulté scolaire est propre à la France. Dans la plupart des autres pays, affirment-ils, c’est celle “d’élèves à besoins éducatifs particuliers” (EBEP) qui domine (p. 7).
Ils préconisent donc de rejoindre les classifications des autres pays et d’abandonner cette spécificité française.
Ce qui pose problème ici, c’est que la notion “d’élèves à besoins éducatifs particuliers”, qui, à l’origine, ne fusionne pas explicitement avec celle de handicap, a connu un glissement progressif vers le handicap dans tous les pays et plus particulièrement en France (note 29, p. 8).
Même si les rapporteurs insistent sur le fait qu’il ne faut pas assimiler la grande difficulté au handicap (p. 38), ils préconisent pourtant (p. 164) la fusion des deux concepts.
Cette problématique de l’assimilation de la grande difficulté scolaire au handicap à travers la notion d’élèves à besoins éducatifs particuliers est très bien traitée dans “De la lutte contre les inégalités à l’adaptation aux « besoins spécifiques »”, de Frandji et Rocheix. Non seulement ils analysent et démontent l’idée, une nouvelle fois séduisante, de l’équité, du “il faut donner plus à ceux qui ont moins” que l’on retrouve dans les fondements de l’éducation prioritaire, mais en plus ils dénoncent « la dynamique d’estompement de la problématique des inégalités et la fragmentation des systèmes et des parcours éducatifs qu’elle contribue à installer… ».
La domination actuelle de la notion d’élèves à besoins éducatifs particuliers renvoie à la recherche de l’individualisation maximale des parcours, qui annonce des changements profonds de l’ensemble du système éducatif. C’est ce que soutiennent Frandji et Rocheix dans le numéro 80 de la revue éducation et formation.

**Des préconisations dans la continuité du gouvernement précédent


Plusieurs principes et analyses développés lors de la période Sarkozy au mieux ne sont pas remis en cause voire même sont valorisés :
  • L’idée qu’il faut faire travailler plus longtemps les élèves en difficulté que les autres est complètement reprise (au début dans le résumé et p. 52)
  • L’aide personnalisée et les stages de remise à niveau
  • Les missions du maître G sont considérées comme étant trop proches de la psychologie clinique
  • La procédure d’identification des élèves à prendre en charge est considérée comme étant trop lourde et trop rigide (p. 76) même si la rigueur qui la sous-tend est reconnue
  • Le fonctionnement en « antenne » est remis en cause (p. 76 – 77)
  • Le système centré sur le socle commun et donc sur les préconisations européennes

**Faire disparaître les RASED


Au-delà des questions de repositionnement des membres du RASED, avec la disparition du fonctionnement en antenne  (p. 77), il y a toute une série d’éléments qui convergent pour organiser la disparition des RASED.
  • Déposséder les RASED de leurs outils : le projet d’accompagnement personnalisé transféré à l’enseignant de la classe (dans le résumé au début du rapport) ;
  • Faire sauter les verrous déontologiques : la diffusion d’informations qui relèvent du secret professionnel des personnels spécialisés (p. 44, p. 45 et p. 71)
  • Limiter au minimum les regards croisés (p. 164) en ne faisant plus appel aux maîtres E et G « qu’en tant que de besoin ».

Le second degré et la difficulté scolaire

Tout au long du rapport, les IGEN signalent les problèmes de traitement de la difficulté scolaire en collège (alors que les 20 % d’élèves en échec au collège le sont aussi en primaire) et s’appuient sur les SEGPA, comme pour annoncer les réformes à venir du collège (dans le résumé au début du rapport).
Même si les IG reconnaissent le caractère massif et la qualité de l’aide apportée aux élèves de SEGPA par rapport au saupoudrage qu’on peut trouver dans le primaire (p. 36 et p. 50), les SEGPA sont accusées d’être peu inclusives tout au long du rapport.
Pour autant, non seulement ces rapports sont publiés dans une période d’austérité, de budgets contraints, mais ils répondent aussi à la volonté du ministre de « refonder » l’école en remodelant ses structures. Au-delà d’un simple bouleversement de type organisationnel, c’est surtout une modification en profondeur des finalités assignées à l’école qui se fait jour. Ces rapports s’inscrivent aussi dans une école du socle, de tri social.

Collège :


Alors que le ministre poursuit ses chantiers métiers et s’apprête à ouvrir celui qu’il destine au collège, il faut considérer ce texte qui tombe à point nommé, et n’est peut-être pas « qu’un rapport ». En effet, si le travail ministériel sur le collège prend appui sur le rapport, cela entraînera des évolutions importantes de cette partie essentielle du système scolaire. Le collège, même s’il n’est pas vraiment « unique », est aujourd’hui le dernier maillon commun de la scolarité obligatoire : c’est un levier vers la poursuite d’études aux lycées qu’il faut conforter à ce titre. Le rapport ne va malheureusement pas dans ce sens.

**La question de l’individualisation


Si l’on peut partager le constat d’un collège qui ne parvient pas à faire réussir tous les élèves et qui, pire, creuse encore les écarts, c’est-à-dire augmente la difficulté scolaire des plus fragiles à l’issue du primaire, nous ne pouvons en déduire les mêmes conclusions. En effet, le rapport préconise d’individualiser le rapport de l’enseignant à l’élève, individualiser son parcours scolaire, et même sa progression dans les programmes. Il affirme que le collège actuel ne présente aucune souplesse sur les horaires et ne permet pas d’approche personnalisée des élèves, ce qui empêche de lutter contre l’échec : ce constat sous entend que la remédiation, l’aide à apporter aux élèves ne se situe qu’en dehors (en plus?) des cours, alors que nous pensons que c’est au sein de la classe qu’il faut le situer. Le rapport reconnaît une hausse des effectifs par classe ces dernières années, mais n’en conclut pas qu’il faut les alléger pour travailler « ensemble ». Non seulement il rompt avec l’idée de « commun », mais il s’engage dangereusement sur la voie de la filiarisation et déstructure le second degré.

**La modularité, antichambre de la filiarisation


Le rapport avance deux pistes cohérentes qui doivent nous inquiéter : d’une part, certaines disciplines engendrent moins d’ échec (techno?) car elles sont plus concrètes pour les élèves ; d’autre part, de tous les dispositifs de remédiation, ceux qui remotivent le plus les élèves et les empêchent de décrocher sont ceux qui prennent appui sur le champ professionnel (alternance en LP, par exemple, dès la 4ème). Les élèves qui arrivent en LP par défaut à l’issue du collège, en revanche, ne sont pas sur une voie de réussite. Le rapport porte donc, en creux, la volonté de différencier au sein du collège les parcours scolaires, réservant dès la 5ème (et jusqu’à la 3ème) une part non négligeable des contenus (de 20 à 30%) au choix de l’élève. Il pointe avec insistance le coût du redoublement, qui dans ce cas n’aurait plus lieu d’être, ce qui générerait des économies.

**Personnaliser, tutorer, accompagner


L’école du socle, grâce au cycle et au conseil communs école-collège prend du corps et nécessite la mise en place d’un travail interdegré, mais aussi de tuteurs d’élèves qui vont les suivre tout au long de leur parcours. Le rapport insiste sur une approche plus personnelle de l’élève et de sa famille, plus psychologisante aussi, pour l’accompagner ; le bloc 5ème-3ème, en installant la personnalisation des parcours, nécessite aussi un suivi individuel, une autre organisation du collège, moins d’enseignants qui sont plus présents, etc . Il est clair dès lors que les missions des enseignants s’en trouveront quelque peu modifiées. Conséquence de cette personnalisation des parcours scolaires pour les personnels : nécessité de piloter, de « contrôler » via la mise en place de hiérarchies intermédiaires à tous les niveaux (coordonnateurs, référents… locaux, inter-degrés, académiques…) censée pallier l’absence de cadre égalitaire et de projet commun pour l’ensemble de la scolarité obligatoire. Le rapport conclut ainsi son étude : « La réduction de la grande difficulté passe inévitablement par un changement profond de l’organisation et du fonctionnement du collège », une telle assertion doit donc éveiller au plus haut point notre vigilance sur l’évolution de ce chantier : au-delà de la simple organisation, c’est évidemment les fondements du collège unique qui sont en ligne de mire.

SEGPA :

Dans le contexte actuel du collège incapable de répondre à la grande difficulté scolaire, la SEGPA est absolument nécessaire. Le rapport indique aussi que les 3% de collégiens qu’elle accueille ont besoin d’elle pour retrouver de la confiance en eux-mêmes et construire une orientation professionnelle.
Les IG lui reprochent de ne pas être suffisamment inclusive. Ils préconisent donc son évolution pour permettre davantage de retours vers la voie ordinaire et permettre de construire des parcours plus inclusifs et plus variés pour la formation professionnelle. La SEGPA doit se transformer en structure d’inclusion, ce qui remet en cause le principe même de la structure et est inacceptable. Cette affirmation s’applique aussi aux professeurs des écoles spécialisés qui doivent intégrer le collège et échanger leurs compétences, voire leur service avec les PLC . La mise en place de remédiation, de consolidation pour les élèves des classes ordinaires en difficultés doit faciliter l’intégration des PE. Cette approche est à lier avec la préconisation du rapport concernant le recrutement des élèves en SEGPA. En effet, est évoquée une possible orientation à la fin de la 6ème, en lien avec la mise en place du nouveau cycle CM1/CM2/6ème. Qu’en est-il réellement : plus d’orientation en 6ème SEGPA ? Une orientation en 6ème SEGPA d’élèves ayant échoué leur année de 6ème ordinaire ? La formulation et l’absence de réponse montrent que les IG restent prudents sur cette question … Mais en la posant, on y répond déjà. Et dans une volonté ministérielle d’économie d’échelle, la menace est forte de supprimer l’échelon 6ème en SEGPA. La FSU revendique une SEGPA à 4 divisions minimum avec 4 PE minimum.
Le rapport met en valeur les réussites scolaires en SEGPA en indiquant quand même un petit nombre d’élèves passant le DNB pro. Elles passent par des équipes pluridisciplinaires, spécialisées et attachées à la réussite des élèves. La place du directeur/trice de SEGPA est clairement valorisée mais comme dans toute bonne logique managériale, le rapport préconise l’intégration des DACS ( Directeurs/trices Adjoint-es Chargé-es de SEGPA) dans le corps des personnels de direction. Il va de soi que cette mesure est injustifiée car elle cassera de fait l’unité dans le fonctionnement de la SEGPA en instaurant une hiérarchie. Pour conclure, le rapport est une source intéressante d’informations sur le vécu des SEGPA mais de nombreux sujets sont évités et principalement ceux qui fâchent : rien sur le passage à 18h des PE, rien sur le versement de l’ISAE, aucune critique sur les cours doubles installés ici où là, rien non plus sur les nombreuses fermetures de divisions et de structures pour compenser le manque de moyens dans les dotations départementales. Enfin, le rapport ne fait pas le lien volontairement entre les suppressions de postes en RASED et la baisse de l’orientation en 6ème SEGPA. Il est de notre responsabilité syndicale, dans une période de politique d’austérité, d’être attentifs aux mesures proposées et d’être prêts à mobiliser l’ensemble de la profession si de nouvelles régressions telles que la transformation des SEGPA en dispositif d’inclusion sont prévues pour les rentrées prochaines. Les derniers positionnements de la FSU et des syndicats nationaux sur l’éducation sont parfois trop éloignés de nos mandats de transformation de l’école et ce dans un souci de ne pas déplaire au ministre. La volonté des directions UA de ne pas globaliser les dossiers, comme cela se passait déjà sous Darcos et Chatel, est un frein à la construction des mobilisations d’envergure englobant tous les personnels de l’éducation. Nous avons donc intérêt à être vigilants dans la fédération et à rappeler notre opposition à toute forme d’appréciation favorable de l’école du socle et d’une refondation qui n’en est pas une.

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