La Tunisie est en train de vivre une accélération de l’Histoire, à tel point qu’entre les moments où ces lignes sont écrites et celles où elles seront lues, des évènements essentiels peuvent arriver.
C’est un véritable processus révolutionnaire qu’elle vient de connaître après 29 jours de manifestations massives et déterminées, avec une victoire essentielle : la fuite de Ben Ali.
Aujourd’hui, ce mouvement a fait irruption spontanément, à partir des jeunes de la ville de Sidi Bouzid (40 000 habitants) où vivait ce jeune marchand ambulant dont la marchandise était régulièrement confisquée par les hommes de Ben Ali. Ces jeunes Tunisiens n’appartenaient à aucun parti, aucun syndicat, aucune association. Ils refusaient que Mohamed Bouazizi se soit immolé en vain, ils voulaient une existence digne et le respect de leurs droits fondamentaux.
Jusqu’au bout, le gouvernement français aura été complice de cette dictature, qui savait « remercier » généreusement. Alors que des manifestants étaient tués, la ministre Alliot-Marie proposait de mettre au service du despote les compétences de la police française pour imposer « le maintien de l’ordre » ! Sarkozy, très bavard lorsqu’il s’agit des élections en Côte d’Ivoire, a gardé un silence de marbre devant le développement de la mobilisation du peuple tunisien. Fillon n’a mis en garde le gouvernement tunisien qu’en parlant de « violence disproportionnée » !
**Les Tunisiens refusent de se voir voler leur révolution !
Le pouvoir de Ben Ali est tombé, mais son régime n’est pas, à cette heure, défait. Les risques sont grand que les fruits de cette révolution soit confisqués par les restes du Parti/État, ses organisations satellites et par une pseudo-opposition qui a accepté trop longtemps que Ben Ali reste au pouvoir.Le Parti/État Destourien est toujours là, sa politique économique et sociale capitaliste libérale aussi. Ce régime a été donné en exemple du “bon élève” par les institutions financières internationales, en premier lieu par Dominique Strauss-Khan, président du FMI qui a fait payer lourdement le peuple tunisien pendant 23 ans, pour le compte d’un capital mondial avide de profits, tout en engraissant une minorité de familles organisées en clans mafieux autour du pouvoir. C’est avec cela que les manifestants veulent rompre.
En l’absence de direction politique du mouvement, en l’absence aussi de structures issues du processus de mobilisation, face à la faiblesse de l’opposition indépendante, il n’existe pas actuellement d’expression politique organisée qui répercute les revendications des manifestants demandant notamment un changement radical de la politique économique et sociale en cours. La formule de “gouvernement d’unité nationale” autour de laquelle les classes possédantes tentent de se maintenir en place ne sont guère satisfaisantes. Et la situation est instable : le pouvoir éjecté lâche ses milices surarmées, dont la garde personnelle de Ben Ali, qui sèment la terreur dans les grandes villes du pays, notamment dans Tunis et ses banlieues. Des groupes, issus des populations les plus déshéritées et affamées, profitent peut-être aussi de l’instabilité actuelle pour se servir dans les grandes surfaces dont les enseignes sont françaises. Des produits de première nécessité commencent à manquer ou bien sont inexistants : pain, lait, médicaments… L’instauration du couvre-feu et le déploiement de l’armée ne font qu’aggraver la peur.
La constitution d’un gouvernement provisoire, sans aucun représentant du régime destourien, qui aura la charge de préparer des élections libres et démocratiques, régies par un nouveau code électoral, pour une Assemblée constituante, pourra permettre aux Tunisiennes et aux Tunisiens de reprendre leur destinée en main, de satisfaire les revendications sociales et démocratiques, de donner à toutes et tous un avenir digne.