Ecrire un programme d’histoire-géographie n’est pas un exercice facile, car peu de disciplines scolaires sont soumises à autant de surveillance lorsqu’il s’agit d’en définir les contenus enseignés.
Chacun estime pouvoir donner son avis sur « l’histoire qu’on apprend à nos enfants »
et de nombreuses instrumentalisations font des deux disciplines l’objet de débats sociaux, mémoriels, et politiques. Enfin, il est commun d’imputer à l’histoire-géographie scolaire de lourdes finalités civiques comme si elles possédaient l’exclusivité de la formation du futur citoyen dans la sphère scolaire, reléguant la philosophie ou encore les SES au second rang.
L’écriture des programmes d’histoire-géographie du lycée s’est faite dans un contexte très dégradé. Soumise à un rythme très rapide (de janvier 2010 à décembre 2012 pour les séries générales), elle a pâti d’une orientation générale des politiques éducatives faites de réductions de postes, de déréglementations diverses et d’individualisation à outrance. Il faut y ajouter une posture de plus en plus raide des interlocuteurs institutionnels (Inspection Générale et DGESCO) qui ont disqualifié la parole des acteurs de terrain que sont les enseignants.
Entre injonctions politiques, demandes sociales, rythme intenable et réforme irrecevable, il n’était pas nécessaire d’être Cassandre pour voir venir la catastrophe.
L’ensemble des programmes des séries générales est aujourd’hui l’objet de fortes critiques de la part des enseignants. Tout d’abord, il leur impose via des prescriptions de temps, de choix d’études, et d’évaluation, des contraintes telles que la liberté pédagogique n’est plus qu’illusion. Du côté des élèves, le sentiment dominant est celui de la difficulté de comprendre et maîtriser une quantité de faits et notions d’autant plus impossibles à assimiler qu’ils ont été vus au pas de charge.
Pourtant, bon nombre de questions étudiées au lycée ont déjà été vues en collège, ce qui pourrait en simplifier l’apprentissage. Il n’en est rien. Plusieurs explications à cette apparente contradiction : outre que ce type de bégaiement disqualifie la mise à l’étude de questions nouvelles, il provoque une légitime lassitude. Quelques exemples : la mondialisation est vue en 4° mais aussi en Tle, la décolonisation à travers les exemples de l’Inde ou de l’Algérie en 3° et en 1ère, les régimes totalitaires étudiés à partir du nazisme et du stalinisme également… Or, apprendre en histoire ne se limite pas à répéter et entasser des connaissances, mais aussi à les comparer, discriminer, différencier, caractériser etc.. On propose dans ces programmes une histoire enseignée à la naphtaline, peu formatrice en matière de raisonnement, peu émancipatrice en termes de maîtrise d’un outillage méthodologique, qui finit par se réduire à savoir faire une fiche de révision pour restituer le cours. Le problème des contenus se double bien ici d’une conception de la discipline passéiste, voire réactionnaire, qui met les élèves en difficulté.
Des programmes identitaires
et bien pensants
Alors que les programmes de collège ont été attaqués pour leur ouverture à l’étude de civilisations extra-européennes, ceux de lycée restent marqués par leur faible renouvellement, que peinent à dissimuler des intitulés pompeux s’inspirant des questions de concours. Ainsi, on retrouve une prédominance de l’histoire politique, de l’européano-centrisme (le programme de seconde s’intitule « les Européens dans l’histoire du monde » préféré, heureusement, à « Les Européens et les mondes du passé »), de l’enseignement du fait religieux, et des préoccupations patrimoniales voire identitaires (à l’échelle nationale et européenne). Où sont les femmes ? Où sont les perdants ? Où sont les acteurs collectifs ? Les rencontres, les ouvertures, les circulations mais aussi l’histoire sociale sont disqualifiés. La géographie, quant à elle, se réduit à l’enseignement du développement durable, de la mondialisation, auxquels s’ajoutent les questions d’aménagements du territoire.
Indéniablement, les nouveaux programmes de lycée affadissent l’histoire et la géographie enseignées en asséchant les contenus mis à l’étude, en attaquant, à la manière d’un cheval de Troie, la diversité et la richesse des réflexions et méthodes qui leur sont propres et en faisant marcher au pas de charge élèves et professeurs qui ne peuvent s’affranchir des contingences liées aux examens. ●
Véronique Servat