La réforme des programmes du collège du précédent gouvernement avait
suscité deux types de critiques majeures : l’absence de repères
annuels (organisation par cycles dont un à cheval sur primaire et
collège) et débats sur certains attendus ou certains concepts,
notamment le « prédicat » qui avait cristallisé l’attention
médiatique. Le ministère a donc demandé au CSP (Conseil Supérieur des
Programmes) d’ajuster les dits programmes pour une mise en application
immédiate, dès la rentrée 2018, mettant une fois de plus les collègues
dans une situation d’urgence et les éditeurs, dans l’incapacité de
produire des nouveaux outils dans les temps. Fidèle à sa « méthode »,
le MEN n’a évidemment pas consulté et le comité de suivi des
programmes n’a pas été réuni. Les ajustements portent sur les
programmes de mathématiques, français, sciences et his-
toire-géographie EMC. Et nous pouvons y voir une offensive idéologique
contre les concepts des sciences de l’éducation ou les débats
didactiques. Au cycle 2, par exemple, les préconisations « pour
renforcer la maîtrise des fondamentaux », transmises le 26 avril
dernier aux professeur-es des écoles et des collèges, ressurgissent
notamment via la plus grande insistance sur le traitement du code ou
la mémorisation de l’orthographe.C’est au cycle 3 que les «
clarifications » terminologiques apparaissent, avec le retour des
compléments d’objets face au « prédicat » tant décrié. Le CSP
préconise aussi l’apprentissage du passé simple à toutes les
personnes. À ce jour, si certaines parties des textes gagnent en
lisibilité, comme par exemple en mathématiques, n’y figure par contre
aucun repère de progressivité annuel que la DGESCO est censée
préparer, comme cela a déjà été fait pour les sciences. De même, les
difficultés liées au cycle 3, à cheval sur deux structures,
demeurent. Il faudra donc pour les collègues se réunir sans doute
encore et encore pour tenter de faire le lien et mettre du sens là où
les textes officiels devraient le faire. Or, nous savons toutes et
tous les problèmes liés aux conseils CM2/6 ème .
Liberté pédagogique remise en cause
Concernant l’enseignement moral et civique, les élèves devront
apprendre le premier couplet de La Marseillaise dès le CE1. Jusqu’à
maintenant cela se faisait en CM1, parallèlement aux cours sur la
Révolution, afin que cela fasse sens. Or, ce n’est pas forcément ce
qui est visé par ces ajustements : on préfère afficher des symboles
politiques, jouer sur l’héritage patrimonial, plutôt que de former des
citoyen-nes éclairé-es. Pour Souâd Ayada, présidente du CSP, tout cela
est « du bon sens » (Le Point, 30 juin 2018). Sauf que « bon sens »
ne rime pas toujours avec réalité du terrain. Nous avons qu’il faut
toujours un temps relativement long aux enseignant-es pour
s’approprier les programmes et surtout savoir les rendre opérationnels
dans la classe. Ces changements réguliers ne sont donc pas de nature à
rendre cela possible. Surtout ces ajustements renvoient, encore une
fois, aux débats stériles entre les « pédagos » (incarnés par Michel
Lussault, ancien président du CSP) et les « républicains », défenseurs
des « fondamentaux » (le lire, écrire, compter), entre tradition et
modernité. Or, dans le quotidien de la classe, les enseignant-es
n’opposent jamais les deux logiques puisqu’ils/elles tentent toujours
de faire acquérir des savoirs disciplinaires, tout en étant
attentifs-ives aux autres aspects de la vie des élèves. Ces
changements permanents ne font que renforcer le sentiment de
découragement et de lassitude de la profession qui doit sans cesse
s’adapter, réorienter ses pratiques, modifier ses priorités, au gré
des gouvernements. Pire encore, la liberté pédagogique est remise en
cause puisque la modification des programmes et la mise en place
d’évaluations standardisées à différents niveaux vont conduire à une
uniformisation des pratiques, de surcroît parfois les plus
réactionnaires. Et, pour les collègues « à cheval » sur collège et
lycée, le travail sera d’autant plus lourd que les groupes
d’élaboration des projets de programme (GEPP) sont en train de
travailler, dans le cadre de la réforme du lycée, à l’écriture des
nouveaux programmes dont l’application est prévue en septembre 2019
pour les classes de seconde et première.
MARC ROLLIN