Que reste-t-il de la Commune de Paris ? Si l’on en juge par l’ampleur des manifestations de ce 140ème anniversaire, pas grand’chose. Quelques manifestations ici ou là,
la plus importante étant l’exposition organisée par la ville de Paris à l’Hôtel de ville.
La presse et l’édition ont peu commémoré l’insurrection populaire et ouvrière
qui terrorisa les uns et impressionna au plus haut point les autres, parmi lesquels
un certain Karl Marx qui salua les Parisiens partis « à l’assaut du ciel ».
Longtemps, la commémoration de la Commune a été la chasse gardée du PCF qui s’était plus ou moins approprié le mur des Fédérés, le lieu traditionnel des manifestations commémoratives en hommage aux communards fusillés sommairement contre un mur du cimetière du Père Lachaise où ils venaient d’être pris, parmi les derniers, les armes à la main. Les tombes de multiples personnalités du parti ont colonisé les abords du mur marquant symboliquement la captation de l’héritage communard. La célébration du centenaire en 1971 a sans doute marqué à la fois l’apogée de cette main-mise ainsi que sa plus forte contestation par l’extrême gauche de l’époque.
Défendre le souvenir
et l’héritage de la Commune
Aujourd’hui, c’est bien l’indifférence qui semble primer, comme si la période close par la chute du mur de Berlin reléguait la Commune dans un passé périmé dont la mémoire ne mérite plus guère d’être honorée. On ne doit pas accepter cette revanche posthume des Versaillais pour qui la Commune n’était qu’une entreprise criminelle.
Moment exceptionnel de notre histoire, la Commune relève à la fois des révolutions populaires parisiennes qui ont jalonné l’histoire de la France tout au long du XIXème siècle et des révolutions socialistes du siècle suivant. Républicaine et socialiste, elle rappelle autant 1789 (ou plutôt 1793) qu’elle annonce octobre 1917.
Née de l’opposition à un gouvernement conservateur, portée par une France encore massivement rurale, la Commune est certes un mouvement insurrectionnel mais qui paradoxalement refuse de prendre l’initiative de la bataille. C’est un mouvement démocratique dont le premier acte est l’organisation d’élections à un Conseil de la Commune qui constituera l’instance dirigeante du mouvement. Au cours de sa brève existence, ce dernier prit un certain nombre de mesures emblématiques (adoption du drapeau rouge et retour au calendrier révolutionnaire) et d’autres qu’on pourrait qualifier aujourd’hui d’urgence sociale : moratoire des loyers, suspension de la vente des objets déposés en gage au Mont-de-Piété, aides aux orphelins et veuves des victimes de la répression versaillaise, réquisition des logements vacants…
Mais surtout les délégués de la Commune prirent des mesures de plus grande envergure comme la laïcité de l’Etat et de l’école, l’égalité d’accès pour les filles et les garçons à l’enseignement primaire, la transformation en coopératives ouvrières des ateliers abandonnés par les patrons effrayés, l’abolition de la peine de mort et de l’armée de métier, la limitation du salaire des fonctionnaires, etc.
Une révolution moderne
qui parle encore
A l’heure où la révolution est accusée d’être pourvoyeuse de dictatures totalitaires, le souvenir de la Commune est utile pour rappeler que la dictature du prolétariat peut avoir un autre visage que celui que lui donna la bureaucratie impitoyable du stalinisme. « Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat ». C’est par ces mots qu’Engels achève son introduction à une réédition du célèbre texte de Marx sur la Commune, utilisant une expression désormais imprononçable car trop salie par les tragédies du XXème siècle. En 1871, la barbarie a été le fait de la réaction, les dirigeants faisant plutôt preuve de « scrupules de conscience » comme l’a regretté avec raison Marx. Dans la lettre pré-citée, il estimait en effet que les fédérés avaient été « trop gentils » alors qu’« il eût fallu marcher tout de suite sur Versailles ». Pour sa part, le gouvernement de Thiers ne s’est pas embarrassé de scrupules excessifs et l’ampleur de la répression fait frémir : au minimum entre 20 et 35 000 exécutions, la plupart sommaires, probablement le double.
Mais l’essentiel comme toujours est sans doute ailleurs : dans l’inventivité et la poésie qui se sont librement exprimées durant ces quelques jours précieux qui virent Paris vraiment libre et qui sont le propre des révolutions. Les artistes y prétendaient l’art « dégagé de toute tutelle gouvernementale et de tous privilèges ».
Ce fut aussi une révolution où les femmes eurent une grande part, loin de s’y cantonner au rôle traditionnel qui leur était dévolu. Si elles restèrent exclues d’un suffrage qu’on s’obstinait à prétendre universel, nombre d’entre elles participèrent en masse aux manifestations, aux réunions des multiples comités qui se créent alors spontanément et enfin n’hésitèrent pas à faire le coup de feu avec les hommes au moment ultime. Femmes du peuple pour la plupart, elles payèrent un lourd tribut à la répression et furent copieusement dénigrées par les vainqueurs comme d’odieuses harpies, « pétroleuses » folles. Si quelques-une ont laissé un nom : Louise Michel et Nathalie Lemel par exemple, la plupart sont restées anonymes.
Autre aspect novateur et important : la dimension internationaliste qui vit la Commune accepter l’élection d’étrangers. Leur non-discrimination lui attira de nombreuses sympathies parmi ceux qui résidaient à Paris et beaucoup d’entre eux, Belges et Polonais surtout, participèrent à l’insurrection.
Bref, on le voit, la Commune fut une révolution moderne qui à bien des égards nous parle encore. Entraînée dans l’oubli avec le déclin du PCF et la suspicion qui s’attache à bon droit aux mythes tronqués que ce parti a véhiculés, la Commune doit revivre comme un moment fort d’authentique révolution, un vent d’émancipation qui, traversant le siècle, nous donne encore à réfléchir.
Stéphane Moulain
Que faire lire sur La Commune ?
Dominique Commelli pouvait en 1999 estimer que la Commune était « un événement absent de la littérature de jeunesse ». Tout juste si elle arrivait alors à recenser trois romans destinés à des adolescents. Douze ans plus tard, la situation n’a guère évolué. Tout juste peut-on ajouter à la liste Rouge de sang d’Alice Alénin (Hachette-Jeunesse, 2009) et Séraphine de Marie Desplechin (Ecole des Loisirs, 2005) que les lecteurs de l’Ecole Emancipée connaissent puisqu’ils ont été chroniqués dans nos colonnes. On peut signaler la parution récente (en 2010) d’un livre de Gérard Dhôtel sur Louise Michel (Louise Michel : Non à l’exploitation) dans la collection « ceux qui ont dit non » d’Acte Sud Junior. A mi-chemin entre le roman historique et le récit documentaire, ce livre s’adresse à des jeunes adolescents plutôt bons lecteurs et motivés.
Pour les plus âgés, on peut toujours conseiller le livre de l’historien Jacques Rougerie Paris insurgé la Commune de 1871 dans la collection « Découvertes » de Gallimard à l’iconographie riche et variée ainsi que le Dictionnaire de la Commune de Bernard Noël (réédition Mémoires du Livre, 2001) où l’on trouvera autant des informations précises que de nombreux extraits de documents très variés qui permettent en vagabondant de notices en notices de se faire une idée très vivante de ce qu’a été la Commune.
Ajoutons enfin les 4 volumes de la très belle adaptation en BD que Tardi a faite du roman de Jean Vautrin, Le cri du peuple (Casterman de2001 à 2004). L’intrigue est passionnante et les dessins du Paris communard superbes. Comme à son habitude Tardi n’a pas hésité pas à s’inspirer directement de documents historiques authentiques pour dépeindre certaines scènes et certains personnages. Une lecture pas très académique mais tellement agréable pour découvrir ou redécouvrir l’histoire de la Commune.