Le bilan de Nicolas Sarkozy en la matière est celui
d’un double quinquennat (2002-2012), tant il a réussi à préempter
les questions judiciaires dès sa nomination comme ministre de l’Intérieur. Pendant ces dix ans, la justice a enregistré de profondes régressions dans toutes ses dimensions : comme service public,
comme institution républicaine, comme fonction sociale et,
finalement, comme valeur.
Saccage de la carte judiciaire, réduction des effectifs, pression statistique, intimidations diverses, dénigrement constant, violation répétée de la séparation des pouvoirs, nominations partisanes, dégradation du droit, fuite en avant répressive… Nicolas Sarkozy est sans aucun doute le pire président que le monde judiciaire ait connu sous la Vème République(1).
Mais disons-le : les maux de la justice ne lui sont pas tous imputables. La question n’est donc pas seulement de savoir comment rompre avec le sarkozysme en matière judiciaire, mais comment rompre avec tout ce qui a fait obstacle à l’avènement d’une justice pleine et entière dans ce pays pour consolider l’Etat de droit au service de l’intérêt général.
Démocratiser la justice
par le haut et par le bas
Par le haut, en assurant ce qui devrait être assuré depuis des siècles : la séparation des pouvoirs. Il faut en finir avec les instructions données par le garde des Sceaux aux procureurs généraux dans les affaires particulières – pour ne conserver que les circulaires générales –, mais il faut aussi et surtout revoir radicalement le mode de nomination de l’ensemble des magistrats. Le Conseil supérieur de la magistrature ne peut pas demeurer un organe consultatif. Il doit être à l’initiative de la nomination de tous les magistrats, du siège comme du parquet. Il incombe à la gauche, parce qu’elle est la gauche, de le faire, pour mettre durablement la justice à l’abri des incursions du pouvoir exécutif et développer une véritable culture d’indépendance dans le corps judiciaire.
Mais il faut aussi penser la démocratisation de l’institution par le bas : transformer les juridictions en établissements publics judiciaires – dotés de conseils d’administration où seront représentés les partenaires du tribunal et ses usagers –, permettre aux personnels de participer aux décisions qui les concernent et dont ils connaissent les enjeux, faire élire les chefs de juridiction par les magistrats du siège pour sortir de l’ère du management hiérarchique, en finir avec l’évaluation/infantilisation… L’indépendance se joue là aussi, quotidiennement.
Une justice
« gardienne de la liberté … »
Changer la justice, c’est ensuite lui permettre d’être vraiment la « gardienne de la liberté individuelle » comme le prévoit la Constitution : le parquet, devenu indépendant, devra redevenir l’autorité de poursuite qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, la détention provisoire – qui est au coeur du scandale d’Outreau – devra être limitée et décidée non par un, mais par trois juges, les lois infâmes devront être abrogées (notamment celle sur les « peines planchers », celle sur la « rétention de sûreté » ou encore la « loi Besson » qui a largement privé les étrangers retenus d’un contrôle sur les atteintes portées à leurs droits et libertés), la justice des enfants devra être restaurée – selon les principes du Conseil National de la Résistance – et il faudra en finir avec le scandale de la surpopulation carcérale en instaurant un numerus clausus pénitentiaire.
Une autre justice est possible, inventons-la !(2) ●
Matthieu Bonduelle,
président du Syndicat
de la magistrature
1) Pour un bilan plus détaillé, ire notre « Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy sur l’état de la justice après Nicolas Sarkozy » du 2 mai 2012 : http://www.syndicat-magistrature.org/Lettre-ouverte-a-Nicolas-Sarkozy.html
2) Le SM a élaboré un projet pour la justice et les libertés, qui contient près de 200 propositions de réforme. Intitulé « Pour une révolution judiciaire : refonder la justice au service de la démocratie »,
il est en ligne sur son site : http://www.syndicat-magistrature.org/Elections-2012-le-projet-du.html