Le terme « inclusion scolaire » apparaît dans la législation française à la faveur de la loi de 2005 sur le handicap. Il vise alors à remplacer celui d’intégration et l’ambition est d’être une avancée vers l’égalité des droits.
Mais la loi dite de « refondation » de 2013 va plus loin en introduisant le terme d’inclusion dans le premier article du code de l’éducation.
Le service public d’éducation « veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. » Il y a donc un élargissement du concept. Comment faut-il le comprendre ?
L’idée est de faire place, à l’école, aux groupes humains discriminés. Place physique, bien sûr, mais aussi dans les contenus d’enseignement qui doivent prendre en compte l’existence et la lutte contre les discriminations.
On trouve là, pêle-mêle, enfants allophones, Roms, à « besoin éducatifs particuliers », dys… Mais aussi sexisme, LGBTphobies…
C’est tout à fait cohérent avec les notions mathématiques d’inclusion où un ensemble fait lui-même partie d’un ensemble plus grand. Et il y a bien ici un hiatus : avant d’inclure un ensemble, il faut catégoriser des éléments, ce qui est toujours la première étape vers la ségrégation, bien qu’une des premières revendications de ces groupes soit la fin de l’invisibilité[[Nous y reviendrons dans le prochain numéro
avec une réflexion plus large sur la société inclusive.]]…
On entre ici pleinement dans l’analyse politique du concept : où commence la volonté d’abolir la hiérarchie entre groupes humains quand la première phase consiste à définir des groupes ?
Le problème qui apparaît ici est la négation du vrai problème de l’exclusion scolaire qui est celle des enfants issus des classes populaires et de leur accès aux savoirs.
**Dans le domaine du handicap
Mais intéressons-nous tout d’abord au handicap. C’est dans la définition même du handicap que l’on trouve la catégorisation : d’après la loi de 2005 « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société » liée à une « altération » fonctionnelle est un handicap.
Il s’agit bien là de personnes que leur situation peut exclure de tout ou partie de ces capacités citoyennes. La volonté d’inclusion est alors ici une sorte d’évidence : comment ne pas partager l’idée qu’une personne en fauteuil n’ait pas la possibilité d’accéder à n’importe quel bâtiment public ?
On voit tout de suite, dans ce cas, la nécessité d’une obligation de moyens, ce que la loi de 2005 impose. Mais, avant d’y revenir, remarquons d’abord que la législation permet, sous conditions, de placer une personne, en raison de l’altération qui entraîne le handicap, sous tutelle ou curatelle…
C’est d’ailleurs, la plupart du temps, pour protéger la personne elle-même que la décision est prise. On voit donc que le législateur, en imposant l’inclusion comme règle générale, a quand même conservé la possibilité d’une restriction de celle-ci.
Revenons aux moyens nécessaires : si certains paraissent évidents (construction de rampes d’accès, d’ascenseurs… dans les lieux publics, aide dans les bureaux de vote pour les aveugles…) d’autres paraissent, dans un premier temps hors de portée : la traduction en braille ou l’enregistrement de l’ensemble des volumes de la BNF est sans doute un objectif, mais c’est loin d’être une réalité.
Les exemples cités ressortent de déficiences sensorielles ou physiques, qui sont bien définies, donc plus facilement compensables que les handicaps ressortissant de difficultés intellectuelles ou psychiques.
C’est là qu’on entrevoit les difficultés de l’inclusion en milieu scolaire. Car c’est bien dans ces domaines que l’inclusion pose quelques problèmes. La loi a imposé la scolarisation en milieu ordinaire, l’adaptation des conditions de scolarisation se faisant a posteriori par saisine de la Maison départementale des Personnes handicapées (MDPH) par l’intermédiaire de la commission des droits et de l’autonomie (CDAPH).
Si la loi a permis une progression importante de la scolarisation des élèves en situation de handicap en milieu ordinaire, les moyens mis en œuvre sont trop souvent indigents : il n’est pas tenu compte des effectifs des classes, la présence, la formation, la pérennisation… des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) ou des auxiliaires de vie scolaire (AVS) sont loin d’être acquis…
Mais la plus importante embûche, c’est qu’en décrétant que la première réponse, en terme d’adaptation, n’est pas d’apporter une compensation mais de placer l’élève dans la même situation que les autres ce qui peut souvent entraîner de la souffrance pour les autres élèves, les enseignants, et pour l’élève en situation de handicap aussi !
C’est exactement la même situation que de placer un aveugle dans un isoloir sans aide ! Sans compter les classes dans lesquelles se côtoient en plus de l’enseignant, plusieurs AVS, ce qui ne peut être que source de désorganisation.
**L’inclusion dans d’autres domaines
Hors du champ du handicap, on retrouve l’idée d’inclusion large. On peut donc penser que l’école, comme moyen de construction de consciences en devenir, doit apporter, dans ses contenus et ses structures, les moyens aux élèves de construire une société non discriminante, non hiérarchisée.
Si c’est la pensée du législateur, on ne peut que s’en réjouir. Malheureusement, le même article de la loi et les textes qui en découlent peuvent nous rendre sceptiques.
Cet article 1 du code de l’éducation qui prône donc l’inclusion caractérise aussi le service public d’éducation comme celui de l’égalité des chances.
C’est-à-dire qu’il ne fait pas le postulat de la capacité de tous à atteindre les objectifs qui lui sont assignés, mais seulement d’offrir à tous la même bonne fortune en présupposant donc que les « talents » pourraient être inéquitablement répartis au départ.
Mais, plus grave, ces deux notions jointes permettent de singuliers glissements. Ainsi dans le domaine de la difficulté scolaire. L’école, dans ses structures ordinaires, ayant des difficultés à faire apprendre l’ensemble des élèves, a construit peu à peu des dispositifs d’aides pour les élèves qu’elle met en difficulté.
Dans le premier degré, ce sont les réseaux d’aides (RASED), dans le second degré, les sections adaptées (SEGPA). Sous prétexte d’inclusion et d’égalité des chances, on tente de mettre à mal ces deux structures.
À l’école élémentaire, en incluant le RASED dans un pôle de circonscription qui risque de réduire l’action des enseignants en direction des élèves au profit du conseil auprès des enseignants ; au collège, où la mobilisation des enseignant-es de SEGPA a réussi à faire reculer un projet de sixième « inclusive ».
Ce qui, en soit, peut procéder d’une bonne intention – tous capables donc tous ensemble au collège, dirions-nous – n’est en fait qu’une volonté de récupération de moyens sur le dos d’une structure qui a pourtant fait ses preuves dans la restauration, la remise en confiance d’élèves que le système scolaire avait jusque-là bien abîmés.
Pour aller plus loin, dire qu’inclure des groupes discriminés serait une solution à la ségrégation scolaire, c’est oublier un peu vite que l’école actuelle est celle du tri social, que l’enfant d’un cadre d’entreprise non francophone a autant de possibilité de réussite que son camarade francophone du même milieu social… C’est bien la question des rapports de classes qui est éludée.
Être enseignant progressiste, c’est prendre en compte cet élément central : il ne s’agit pas d’inclusion des classes populaires dans un système scolaire qui leur est étranger, ça, c’est déjà fait depuis longtemps, avec des intentions pas toujours clairement affichées mais qui tournent plus souvent autour de la volonté d’assujettissement à la norme que de celle d’émancipation.
Sans aller jusqu’à affirmer qu’il y aurait une volonté politique de construction d’un système scolaire ségrégatif, on peut au moins s’étonner que le législateur oublie la dimension sociale des inégalités scolaires…
Rendre l’école et ses contenus lisibles aux familles populaires et à leurs enfants nécessite une transformation globale, en particulier autour de la formation des enseignants, qui dépasse largement les considérations bien pensantes qui président à l’introduction du concept d’école inclusive.
Pour ne pas conclure, il apparaît que l’inclusion scolaire comme outil de lutte contre les discriminations peut être intéressante, à condition que des moyens à la hauteur y soient réellement consacrés.
Pourtant, il ne faut pas se cacher que l’école, même si elle se dit inclusive, reste très ségrégative socialement et tant que ne sera pas pris au sérieux le rapport aux savoirs des élèves des classes populaires, ce sont bien ces élèves-là qui seront discriminés « à bas bruit » et que notre rôle d’enseignants syndicalistes est de changer l’école pour aller vers leur émancipation collective. ●
Jérôme Falicon