La dette publique est aujourd’hui le grand alibi
des classes dominantes pour justifier les politiques d’austérité malgré leurs terribles conséquences.
En Grèce, les coupes budgétaires ont entraîné
une sévère dégradation sanitaire et une hausse
des suicides (+40 % au premier semestre 2011).
Une dette est généralement qualifiée « d’odieuse » lorsqu’elle résulte de l’enrichissement de dictateurs.
C’est le cas de la dette tunisienne,
pas de celle des pays européens.
Cette dernière est-elle pour autant légitime ?
Dans son évolution récente, la dette publique dans la zone euro est passée de 66,2 % du PIB en 2007 à 85 % en 2010. Les plans de sauvetage des banques ont joué un rôle non négligeable dans cette hausse, mais la cause principale est la perte de recettes fiscales due à la récession. Dans l’Union Européenne, le PIB a diminué de 4,1% en 2009 et la « reprise » fut seulement de +1,7 % en 2010. Au 2ème trimestre 2011, le PIB n’a augmenté que de 0,2 %. Or, ce n’est pas la majorité de la population, mais quelques banquiers et dirigeants politiques, qui portent la responsabilité de la socialisation des pertes et de la récession.
L’accroissement de la dette publique vient cependant de plus loin. En France, celle-ci ne représentait que 21 % du PIB en 1978. Lorsque la crise se déclenche en 2008, ce ratio était de 68 %. Pourquoi ? La dette est l’accumulation des déficits. Or selon le rapport Pébereau (2005), les déficits viennent de « notre préférence pour la dépense publique ». Qu’en est-il ?
Des dépenses qui stagnent
et des recettes qui baissent
L’évolution des besoins sociaux et la persistance d’un chômage de masse ont induit une augmentation des dépenses sociales depuis plusieurs décennies dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Ainsi, en France, de 1980 à 2005, 70 % de la hausse des dépenses publiques provient de la protection sociale. Mais les représentants du capital cherchent à imposer un tri afin de limiter « le social » à la reproduction de la force de travail. Et les réformes libérales ont freiné la hausse des dépenses publiques. Celles-ci augmentent désormais à un rythme similaire à celui du PIB. Autrement dit le ratio dépenses publiques / PIB est stable. Il fluctue en-dessous du point haut atteint en 1993 (54,9 %).
Si les déficits ne proviennent pas du dynamisme des dépenses, il faut chercher l’explication du côté des recettes. Non seulement les barèmes des impôts directs ont été considérablement réduits mais les déductions et exemptions se sont multipliées. Les niches fiscales coûtent à l’Etat 145 milliards d’euros par an . Il faut y ajouter les exonérations de cotisations sociales : en 2009, l’Etat a payé 67 milliards d’euros à la place des employeurs. L’essentiel de ces cadeaux a profité à une infime partie de la population. Les gouvernements ont volontairement amputé les recettes de l’État qui a du alors emprunter davantage, notamment auprès des bénéficiaires des cadeaux fiscaux. C’est ce phénomène, massivement responsable de l’endettement public français, qui permet de qualifier celui-ci d’illégitime.
Qui en profite
Dans certains cas, l’illégitimité provient aussi des modalités de l’endettement. En France, des collectivités locales et établissements publics ont eu recours à des « prêts structurés » indexés sur le franc suisse ou des indices financiers. Ni les contribuables ni les usagers des services publics ne doivent faire les frais de cette irresponsabilité des élus et de la rapacité des banques.
Une dette implique un rapport social et c’est seulement en fonction de celui-ci que l’on peut juger de la légitimité de celle-là. Toute autre voie reviendrait à s’engager dans une condamnation morale de l’endettement, comme l’ont fait toutes les religions. Aujourd’hui encore, aux Etats-Unis, la républicaine Sarah Palin ne manque pas une occasion de dénoncer la « dette insoutenable qui n’est ni éthique ni morale ». Cela n’a aucun sens. Imaginons qu’un gouvernement progressiste ait recours à l’emprunt pour financer des constructions d’école, des embauches dans les hôpitaux, une transition écologique de la production. Cela n’aurait rien d’illégitime. Mais la situation est aujourd’hui très différente : cette dette publique est un instrument pour exiger des sacrifices de ceux qui n’ont pas bénéficié des baisses d’impôts, de ceux qui n’ont aucune responsabilité dans la crise. ●
Philippe Légé,
économiste, université de Picardie
1) « Health effects of financial crisis »,
The Lancet, n°9801, 22 octobre 2011. Lire aussi : http://www.metiseurope.eu/gr-ce-legitimite-des-reformes-chaos-social-crises-sanitaires_fr_70_art_29234.html
2) K. Weidenfeld, A l’ombre des niches fiscales, Economica, 2011.