Notre camarade et ami Raphaël Granvaud
vient de publier une nouvelle étude dans la collection des dossiers noirs qui relaie les enquêtes menées
par l’association « Survie ». Consacrée aux activités africaines d’Areva, cette étude offre le double intérêt
de mettre en lumière un aspect méconnu
de la Françafrique tout autant
que de l’industrie nucléaire.
Tout le monde ne sait sans doute pas à quel point la politique nucléaire de la France concerne l’Afrique. Contrairement à ce qui est couramment dit, le nucléaire ne peut en aucun cas garantir l’indépendance énergétique de la France. La raison en est assez simple : c’est qu’elle repose sur l’uranium dont le sous-sol de certains pays africains regorge, contrairement à celui de la France. C’est le cas du Niger qui fournit encore un tiers de la production d’uranium nécessaire aux centrales nucléaires qui produisent, rappelons-le, 80% de l’électricité française. Des esprits naïfs pourraient penser que fort d’une telle richesse, nécessaire à une industrie aussi stratégique que le nucléaire, le Niger assure ainsi sa fortune. C’est mal connaître les ressorts de la Françafrique qui garantit à moindre frais l’exploitation des ressources de l’ancienne Afrique coloniale française au profit de l’ancienne puissance occupante et à elle seule. En réalité, le fait, pour le Niger, d’être l’un des plus grands producteurs d’uranium au monde ne semble guère lui profiter : la majorité de sa population vit sous le seuil de pauvreté, avec une espérance de vie plafonnant à 50 ans, une mortalité infantile parmi les plus fortes au monde. Bref il reste l’un des pays les plus pauvres au monde.
Le nucléaire au sein du pacte néocolonial
Dès le début de son histoire, le nucléaire en France a partie liée avec la politique coloniale. Les dirigeants de la France d’après-guerre, soucieux de développer le nucléaire français, sont vite conscients de la faiblesse des gisements d’uranium sur le sol français et fondent beaucoup d’espoir sur les colonies. Le souci de maintenir l’accès à ces ressources a joué un rôle dans l’obstination des autorités à réprimer les mouvements indépendantistes. Le Gabon puis surtout le Niger ont largement répondu à ces attentes.
Fondée en 2001, Areva est en réalité l’héritière en Afrique de sociétés issues de l’Etat selon des montages complexes et qui ont été les instruments de la politique néocoloniale de l’Etat français en matière de nucléaire. Leurs droits à exploiter l’uranium dans des conditions très avantageuses et sans grand respect pour une main d’œuvre locale peu coûteuse font partie des accords établis au moment des indépendances maintenant une présence militaire qui garantit leur pérennité.
L’exemple du Niger, longuement développé dans le livre est révélateur. Les tensions entre les gouvernements français et le premier chef de l’Etat nigérien, Hamani Diori qui croit pouvoir renégocier le pacte néocolonial se solde par la chute de ce dernier, renversé par un putsch en 1974 qui porte un militaire, le colonel Kountché, au pouvoir, lequel se révélera bien plus conciliant que son prédécesseur avec ses interlocuteurs français qui en retour fermeront les yeux sur ses pratiques clientélistes et criminelles. Cela inaugure une longue suite d’ingérences, de coups tordus, d’élections truquées et/ou annulées jusqu’aux épisodes les plus récents qui ont vu le gouvernement de Nicolas Sarkozy lâcher le président Tandja face à un nouveau coup d’Etat militaire…Il est vrai qu’il avait tenté de jouer la concurrence chinoise pour tenter d’améliorer la part laissée au Niger de la rente de l’uranium…
Un désastre écologique et social
L’uranium n’est pas un minerai comme les autres. Son extraction est particulièrement dangereuse. L’avantage d’opérer au Niger est qu’on n’y est pas soumis à la réglementation plus stricte des pays occidentaux. Areva prétend bien sûr s’être imposé des règles très contraignantes mais les enquêtes menées par de nombreuses ONG montrent qu’il n’en est rien : la pollution des sols est avérée du fait de divers déchets radioactifs de même que celle de l’air, contaminé autour des mines par les poussières et les évacuation de gaz qu’elles provoquent. Enfin les mines sont très gourmandes en eau, une ressource rare dont la préservation est désormais menacée. Au sein du personnel, les hiérarchies colonialistes sont toujours de mise : Européens et locaux ne sont pas traités de la même manière. Ces derniers n’ont pendant longtemps pas pu bénéficier des protections les plus élémentaires. Les choses ont fini par connaître une certaine amélioration du fait de la pression d’ONG et de syndicats mais de nombreuses tâches sont désormais confiées à des sous-traitants qui n’en bénéficient pas.
Au final, l’exploitation de l’uranium est un véritable désastre, désertifiant des régions entières, soustrayant certains territoires aux activités traditionnelles de populations nomades, alimentant la misère mais aussi les activités criminelles…Bien évidemment la communication d’Areva s’efforce de masquer le coût réel, environnemental et social de ses activités et d’empêcher toute enquête indépendante. Sa propagande aime à présenter le nucléaire comme une « énergie propre ». Heureusement, il existe certaines formes de résistance de la part d’ONG, d’associations locales et du mouvement syndical mais cela paraît bien insuffisant pour remettre en cause un système aussi bien établi.
Publication salutaire, l’étude de Raphael Granvaud ajoute un élément méconnu au dossier désormais bien chargé du nucléaire français pour un débat des plus actuels un an après Fukushima.
Stéphane Moulain
Raphaël Granvaud, Areva en Afrique. Une face cachée du nucléaire français, Agone, 14 euros.