Le nouveau socle de compétences, de connaissances et de culture est arrivé !
Quelles continuités et quelles ruptures marquent ce socle plus ambitieux que son prédécesseur (hérité de Fillon) qui promouvait le tri social ?
Sous la coupe d’une loi de refondation de l’école qui tourne le dos à la réussite de tous, les nouvelles critiques ne manquent pas…
Dans le cadre de la loi d’orientation pour une refondation de l’école, Vincent Peillon a demandé au Conseil national des programmes de travailler à la rédaction d’un nouveau socle commun de compétences et de connaissances, auquel a été ajouté le mot culture.
Ce document a été rendu public en juin dernier. En cette rentrée, la profession sera amenée à donner son avis sur ce nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Les premières réactions syndicales ont montré un renversement des contradicteurs : l’UNSA ou le SGEN, fervents défenseurs de l’idée de socle, hurlent à la trahison, tandis que la FSU, qui a toujours défendu l’idée de culture commune, témoigne d’une certaine satisfaction.
Quels sont donc la nature et le niveau des bougés qui peuvent expliquer un tel renversement ? Et quelle analyse peut-on faire de ce nouveau texte ?
**L’histoire du socle : la loi Fillon de 2005
C’est en 2000 que les gouvernements européens se sont mis d’accord sur un cadre de redéfinition des missions et des modes de fonctionnement de leurs écoles, plus communément appelé « stratégie de Lisbonne ».
Il s’agit de préparer les pays européens à l’émergence de « l’économie de la connaissance » et d’adapter l’école aux besoins économiques, en ségréguant le public scolaire : amener à haut niveau de qualification au moins la moitié de la population, et laisser l’autre moitié de côté pour une meilleure adaptation à un marché de l’emploi flexible (50 % d’une classe d’âge à bac +3, 50 % à bac – 3).
En France, cette réassignation des missions de l’école prend corps avec la loi Fillon de 2005, qui instaure le socle commun de compétences et de connaissances, qui sera articulé avec un dispositif d’évaluation conséquent, incarné par le livret personnel de compétences et une transformation de la gestion de la difficulté scolaire avec la mise en place des PPRE.
Deux types de critiques majeures ont été à l’époque énoncés. Le premier a pointé le fait que le socle est l’outil de la mise en place d’une ségrégation scolaire au sein même des classes, dans la logique de la stratégie de Lisbonne.
En effet, en instaurant une double prescription, d’un côté les programmes, de l’autre le socle, il fonde une école à deux vitesses qui rabat ses ambitions à l’égard des élèves pour lesquels l’école est en difficulté, à savoir ceux issus des classes populaires.
Le deuxième type de critiques s’est situé dans l’appréciation du contenu du socle, affirmant son caractère appauvri, sa définition instrumentale des apprentissages dont on a l’essentiel des considérants dans le débat opposant compétences et connaissances.
L’ensemble de ces analyses nous a conduits à mener une lutte, en interne et auprès de la profession, pour caractériser l’école à deux vitesses qui se mettait en place, et boycotter le LPC qui, dans une logique de pilotage du système scolaire par l’évaluation, était l’instrument premier de la mise en place du socle et de la réduction des apprentissages.
**Des bougés donc ?
Le nouveau socle produit par le conseil national des programmes présente un certain nombre de bougés, dont certains sont significatifs, par rapport au socle Fillon, tant sur la forme que sur le fond.
Tout d’abord et d’un point de vue formel, il est organisé en cinq domaines de formation face aux 7 piliers du socle précédent, « dont l’ensemble définit les composantes de la culture commune » :
- les langages pour penser et communiquer,
- les méthodes et outils pour apprendre,
- la formation de la personne et du citoyen,
- l’observation et la compréhension du monde,
- les représentations du monde et de l’activité humaine.
Ces cinq domaines ne se posent pas comme de nouvelles disciplines mais, comme de grands enjeux de formation, auxquels participent toutes les disciplines.
Mais de façon plus essentielle, ce socle s’affirme comme « le programme général correspondant aux cycles de l’école élémentaire et du collège », et non plus dans une double prescription socle/programme, avec un socle envisagé comme un SMIC scolaire.
Les programmes ont pour fonction de détailler les domaines de formation, par cycle et par disciplines.
Enfin, face une vision réductrice des attendus scolaires contenus dans le précédent socle, celui-ci développe un discours de la complexité, et une affirmation d’ambition haute : ouvrir à la connaissance, former le jugement et l’esprit critique, vivre en société, développer les capacités de compréhension et de création, capacités d’imagination et d’action sont des formules répétées dans le texte.
Connaissances et compétences sont sans cesse articulées. Les démarches d’apprentissage doivent être riches de sens et de progrès. On retrouve des éléments de complexité qui existaient notamment dans les programmes de 2002 de l’école primaire dans l’accent mis sur le langage en tant que moyen de pensée et dans le fait qu’il faille construire dans chaque discipline le langage propre à cette discipline.
**Quelle critique mener ?
Ce texte est donc marqué d’avancées significatives qui de fait impliquent de faire évoluer notre discours critique.
La première critique fondamentale doit résider dans le poids que prend l’évaluation dans le texte. En effet, l’imposition d’un cadre rigide d’évaluation, éloigné des pratiques concrètes de classes, aura toujours comme conséquence la transformation des pratiques enseignantes et l’alignement des contenus enseignés sur les éléments évalués. Nous restons alors dans une logique de pilotage du système éducatif par l’évaluation, qui bafoue la professionnalité enseignante.
La deuxième critique est une critique à venir, car elle consistera dans l’analyse de tout ce qui n’est pas dans ce texte mais qui y fera référence.
Le socle, du fait de la hauteur qu’il se donne, reste flou sur bien des aspects. Et c’est dans la rédaction des programmes que nous pourrons vérifier le niveau réel de l’ambition affirmée. La question des contenus d’enseignement reste entière.
La troisième critique réside dans le fait que le reste des déterminants de la politique éducative se situe toujours dans la logique définie par la stratégie de Lisbonne et marqué par les politiques d’austérité.
La Loi d’orientation pour une refondation de l’école s’applique toujours avec ces continuités par rapport aux politiques précédentes. La scolarité obligatoire reste bornée à 16 ans, le nouveau socle se situe donc dans ce cadre. Les moyens ne sont pas au rendez-vous.
L’intensification du travail, les injonctions en contradiction avec le travail réel sont toujours de mise. Le système éducatif n’a pas tourné le dos à la « reproduction », bien au contraire.
Et c’est certainement sur ce point que nous avons un rôle fondamental à jouer. Il s’agit, dans une situation où la profession va de nouveau être amenée à discuter de contenus d’enseignement, de pratiques scolaires, de faire vivre un discours qui prenne au sérieux la réussite de tous les élèves et plus particulièrement de ceux issus des classes populaires.
Parler des contenus scolaires fondant réellement un projet d’émancipation. Poser le rapport aux savoirs des enfants des classes populaires, en particulier sur la conception du langage.
Apprendre à l’école, c’est devoir rompre avec un rapport quotidien et immédiat au monde. Cette rupture suppose des usages spécifiques du langage qui correspondent à des attitudes de distance, de surplomb, d’observation, de questionnement, d’explication…
L’école est dans l’évidence de leur acquisition par tous et en dehors d’elle.
Ce qui n’est pas le cas, particulièrement pour les élèves issus des classes populaires. Elle continuera à l’être sans des ruptures majeures.
En conclusion, nous pourrons dire que trois enjeux nous sont offerts. Il faudra d’abord porter l’exigence d’une non-évaluation du socle en tant que tel. Il faudra ensuite être vigilants sur les contenus des programmes à venir.
Et enfin, faire vivre auprès de la profession, et plus largement, l’idée qu’un autre projet pour l’école est nécessaire, porteur de l’ambition de l’émancipation de tous les élèves, de la reconnaissance d’une nouvelle professionnalité enseignante, en rupture avec l’école libérale qui reste à l’œuvre aujourd’hui. ●
Adrien Martinez