Historiquement, les grandes crises ont eu tendance à réduire les inégalités.
Au contraire, après l’éclatement de la bulle immobilière américaine en 2007, les inégalités sont reparties à la hausse car la crise a servi d’alibi pour mener des politiques qui n’ont pas d’autres fonctions que de permettre aux plus aisés d’accaparer les richesses produites en bloquant les salaires, en gelant la rémunération des fonctionnaires, en bradant le patrimoine public, en multipliant les cadeaux fiscaux aux entreprises.
Des économistes issus d’horizons méthodologiques assez divers se sont regroupés autour de ce constat, atterrés par la façon dont la crise était instrumentalisée pour renforcer tout ce qui avait échoué.
Les Économistes Atterrés ont d’emblée inscrit leur action dans le champ de la lutte idéologique, en publiant en 2010 un premier Manifeste critiquant les thèses économiques dominantes et mettant en garde contre les dégâts des politiques d’austérité.
Il a rencontré un vif succès (100 000 exemplaires vendus).
La situation européenne a malheureusement évolué dans le sens que nous avions prévu, vers davantage d’austérité et de chômage.
Il nous a donc paru nécessaire de soumettre au débat des propositions pour sortir de l’impasse.
C’est l’objectif du Nouveau Manifeste qui ouvre « quinze chantiers » dont les citoyens devraient débattre. Les économistes ne sont pas de purs techniciens, ils ont une expertise mais ils expriment aussi des visions de la société.
C’est pourquoi le débat sur les questions économiques est indispensable. Dans la recherche, l’enseignement et les médias, il tend pourtant à être de plus en plus appauvri. Les débats en notre sein sont parfois plus réels et plus féconds que ceux que nous pouvons avoir avec nos collègues orthodoxes.
**15 chantiers à débattre
Le premier chantier est celui de la transition sociale et écologique, qui va nécessiter des investissements importants : 3 % du PIB européen sur une dizaine d’année.
Ils pourraient être financés par le crédit des banques publiques d’investissement avec la garantie de la banque centrale. Cela implique plus de croissance à court terme, mais pas à moyen terme car les secteurs d’activité les plus polluants doivent décroître.
L’écologie est une contrainte, en raison de la réduction de la biodiversité et des enjeux climatiques ou sanitaires, mais aussi une opportunité car cette transition peut créer de nombreux emplois non délocalisables et être l’occasion de reconquérir la maîtrise des modes de production et de consommation.
Nous proposons également de poursuivre la réduction du temps de travail et de développer les emplois publics et associatifs dont une société sobre et égalitaire a besoin.
Viser l’égalité réelle c’est améliorer les conditions d’éducation, en particulier des enfants des familles pauvres ou issues de l’immigration, créer un service public d’accueil des très jeunes enfants, réduire les inégalités territoriales notamment en matière de transport collectif et de logement, accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu, réduire les niches fiscales, élargir l’assiette de l’impôt sur les sociétés, etc.
L’égalité est souhaitable en elle-même mais aussi pour des raisons d’efficacité économique. Par exemple, la qualité de la production et l’innovation seraient améliorées si l’on valorisait le travail collectif de tous plutôt que de surpayer une étroite frange de dirigeants. La hiérarchie des salaires doit être strictement limitée.
Un des chantiers de l’ouvrage porte ainsi sur l’entreprise. La plupart de nos collègues disent peu de choses sur la gestion actuelle des entreprises, alors que nous pensons qu’il est nécessaire de la repenser et de la transformer en favorisant l’intervention des travailleurs dans leur entreprise, en attribuant un réel pouvoir du comité d’entreprise sur les choix stratégiques et en renforçant les moyens de l’Inspection du Travail.
Le recours à la sous-traitance, aux CDD et aux temps partiels doivent être strictement encadrés.
L’argent public pourrait être mieux utilisé, ce que montrent le CICE et le Pacte de responsabilité. En 2015, ils coûteront 22,8 milliards d’euros.
À terme, le cadeau fiscal pour les entreprises représentera 41 milliards d’euros. Cela équivaut à 60 % de la recette annuelle de l’impôt sur le revenu, ou à 91 % du budget du ministère de l’éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Les économies réalisées sur le dos des retraités, malades, chômeurs, fonctionnaires et collectivités locales servent à à réduire les impôts des entreprises. Nous proposons une autre voie. ●
Philippe Légé
Membre du comité d’animation des économistes Atterrés,
Maître de conférences à l’Université de Picardie