L’appel à l’interdiction de tous les pesticides lancé par Fabrice Nicolino, journaliste, et Générations Futures a déjà rencontré un certain succès. Il se doublera d’événements festifs et réguliers. Objectif : cinq millions de signatures d’ici à 2020.
– EE : Des menaces importantes et multiples pèsent sur la terre, pourquoi la lutte contre les pesticides représente un enjeu essentiel dans les combats écologiques ?
Fabrice Nicolino : Bien entendu, tout va mal. Les équilibres essentiels sont en train de basculer sans susciter les immenses mouvements sans lesquels les sociétés humaines se disloqueront. La question des pesticides entre dans ce cadre-là, mais avec une caractéristique singulière : on peut agir tout de suite contre la menace. Des études, en France et en Allemagne notamment, montrent que la disparition accélérée des oiseaux et des insectes prend des formes apocalyptiques. Le tiers des oiseaux a disparu en France en quinze ans et le rythme de leur effacement s’accélère. La moitié des papillons a disparu en vingt ans. Les abeilles domestiques meurent par milliards de milliards. La France change de visage sous nos yeux, sans que nul ne bouge. Les victimes en Inde, au Sri Lanka, en Indonésie, au Nicaragua, dans toute l’Amérique dite latine se comptent par millions. La bagarre contre les pesticides ne peut plus attendre une seconde. C’est maintenant ou jamais. Que ceux qui préfèrent rester à la maison le fassent. Quant aux autres, c’est presque simple : il faut rejoindre le mouvement des coquelicots, car il incarne notre avenir commun.
– EE : Le mouvement des coquelicots, dis-nous-en plus, où ça en est, en termes d’engagements, d’actions ?
Le mouvement des coquelicots est né pour cette raison à la fin de l’année 2017, même s’il n’est apparu finalement que le 12 septembre 2018. Pourquoi le coquelicot ? Parce que cette fleur est belle et délicate, fragile même. Mais incroyablement résistante aussi. Quand les traitements pesticides cessent, elle est l’une des premières fleurs à relever la tête. Ensuite il a fallu écrire un Appel « Nous voulons des coquelicots » pour l’interdiction de tous les pesticides. Et enfin, publier le tout. J’ai choisi la date du 12 septembre, dans le cadre d’un numéro spécial de Charlie, mon journal. Dans cette livraison, nous accusions très vivement le système de contrôle des pesticides et demandions d’ailleurs la démission de Roger Genet, directeur de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Nous avons ouvert un site (nousvoulonsdescoquelicots.org) pour recueillir des signatures de soutien à un Appel — non une pétition — à l’action. Deux précisions. Un, nous visions cinq millions de soutiens à l’horizon d’octobre 2020, date supposée de la fin de notre mobilisation. Il fallait donc signer et faire signer. Et deux, nous demandions à tous de se retrouver le premier vendredi de chaque mois devant les mairies, à 18h30, pour défendre l’Appel. Nous avons eu une très grande surprise. Dès le 5 octobre, date du premier rassemblement, nous avons recensé 530 rassemblements simultanés. Au 1er février, nous en sommes à 800, ce qui représente sur le terrain des dizaines de milliers de participant-es. Et nous avons à ce jour 500 000 soutiens. Il n’en manque plus que 4 500 000.
– EE : Est-ce que tu peux revenir sur les renoncements d’E. Macron sur l’interdiction du glyphosate et ses propos sur le chlordécone ?
Macron ne peut sortir et ne sortira pas du cadre de sa pensée, construite à l’ENA, dans le système bancaire, puis à la Commission Attali sur la croissance, dont il fut le rapporteur en 2007-2008. Il croit contre tant d’évidences que l’avenir appartient aux transnationales, au commerce mondial, à la croissance sans fin, à la guerre économique de tous contre tous. Sur le glyphosate, il s’est dédit, car après ses paroles malheureuses — une interdiction sous trois ans —, il s’est retrouvé face à un lobby d’une très grande puissance. Ce lobby a été lancé en 1945 par Fernand Willaume, et regroupe l’industrie des pesticides, une bonne part de l’Inra, des services centraux du ministère de l’Agriculture et bien sûr la FNSEA et ses nombreux pseudopodes. Ce « syndicat » étrangement voué à la mort de ses adhérent-es est intrinsèquement lié à l’agriculture industrielle, via les chambres d’agriculture et ces « coopératives » agricoles comme In Vivo, qui sont de grands marchands de pesticides. Ils ne veulent pas et Macron s’exécute. Quant au chlordécone, c’est un scandale majeur et que Macron mente sur le sujet comme un arracheur de dents ne m’étonne pas. Dans le dossier, il y a largement — si nous étions dans une démocratie vivante — de quoi mettre en accusation au moins quatre ministres : Édith Cresson, Henri Nallet, Louis Mermaz, Jean-Pierre Soisson. Mon petit doigt me dit qu’on ne le fera pas.
Propos recueillis par Sophie Zafari
Crédit image : (c) Photothèque rouge / Babar