La “Nouvelle école capitaliste” (1) est l’école dans laquelle les objectifs et les modes de fonctionnement sont ordonnés aux exigences de la compétition économique et de la valeur marchande. De la maternelle à l’université, l’école est formatée par la rationalité néolibérale du capitalisme, au point de faire corps et d’épouser de façon intime le mouvement du capital.
Car les rapprochements entre connaissance et marchandise, comme entre école et entreprise, sont bien plus que des tendances. Ils génèrent d’ores et déjà des dispositifs de contrôle et de régulation qui font apparaître la valeur économique comme le critère ultime de légitimation de toute activité d’enseignement ou de recherche. Chaque établissement du système scolaire et universitaire doit emprunter de nouvelles formes d’organisation plus efficaces, se positionner sur un grand marché de la formation, redéfinir ses contenus et ses pratiques pédagogiques. Chaque enseignant ou chercheur doit apprendre à évoluer dans un environnement de compétition et de sélection, à répondre et s’adapter aux exigences nouvelles de « l’élève/étudiant/usager », à redéfinir ses propres orientations de recherche en fonction de leur valeur marchande. Et chaque élève/étudiant, enfin, doit penser sa formation et son orientation en se sentant responsable de son employabilité.
La mise en marché
de l’éducation
Comment en est-on arrivé là ? L’accent a pu être mis sur la marchandisation sans limite de l’école. Pour effectif qu’il soit, ce processus doit être compris en relation avec la double stratégie de l’Etat néolibéral qui joue un rôle déterminant : privatisation de pans entiers des services publics, préalablement démantelés, mais aussi refonte et restructuration « managériale » des institutions publiques, dont celle de l’école. Portées par les institutions politiques nationales des pays dominants comme par les grandes organisations financières et commerciales internationales, ces modes de réforme se conjuguent pour accomplir la métamorphose du champ de la connaissance et lui imposer le principe de concurrence comme norme globale.
L’axe majeur des politiques gouvernementales est d’imposer à l’appareil scolaire, à l’organisation de la science, comme à l’ensemble du secteur public, les mêmes recettes du « management de la performance » : objectifs quantifiés individualisés et contractualisés avec le niveau hiérarchique supérieur, évaluation, récompenses, pilotage par la demande, autonomie de gestion, concurrence, transformation des usagers en « clients ». Le New Public Management s’empare et nivelle les métiers du secteur public en les alignant sur la gestion de l’entreprise privée.
Un état entrepreneur
et rééducateur
L’Etat néolibéral est l’agent direct de la métamorphose. Loin de se désengager, il multiplie ses interventions pour assurer plus complètement son emprise sociale et éducative à des fin de compétition et de mise en marché. Il ne se dessaisit donc pas de son rôle mais en repense les finalités et les modalités. État stratège, il oriente la violence capitaliste – dont celle de la précarisation, du déclassement, de la déscolarisation – dans le sens de la transformation sociale souhaitée.
L’interventionnisme néolibéral se caractérise par la multiplication de la production de normes et de règles. Il reste pleinement formateur… mais au sens de « formatage ». Pour accoucher d’un ordre nouveau, il se fera au besoin ré-éducateur de subjectivités résistantes ou rebelles. En tout état de cause, il entend, tout à la fois, gérer, contrôler, manœuvrer et déployer à sa guise la dialectique de la coercition et de la fabrique du consentement.
Comprendre le caractère systémique des contre réformes
Il convient de saisir, au delà de l’accumulation des dégâts opérés, la « grammaire commune » des réformes néolibérales. Ses figures imposées sont désormais connues : autonomie contrainte et concurrentielle pour les établissements comme pour les individus, neutralisation ou contournement de l’activité de connaissance, domination de la norme compétence, gestion individualisée et flexible des parcours scolaires.
L’une des contradictions du système touche à la prétention d’asseoir sa légitimité sur un assentiment individuel et collectif, alors même que les raisons d’adhérer à cette logique vont de moins en moins de soi. Censé mobiliser positivement le sujet, l’ordre néolibéral fonctionne de plus en plus grâce à un système de contraintes sans autre bénéfice que d’imposer une compétition sans fin, au terme de laquelle les perdants sont bien plus nombreux que de rares gagnants, eux mêmes piégés.
Nouvel horizon et extension
de la lutte des classes
Les raisons de résister à un système qui sape les fondements de la transmission des savoirs et dénature les finalités de l’acte d’enseigner sont donc multiples. Salvatrices, ces résistances sont également de moins en moins isolées. Reste la question théorique tout autant que pratique : comment passer de la dénonciation de l’extension sociale des normes néolibérales à ce que Roland Gori dénomme « l’inservitude volontaire », qui instituerait à une large échelle le refus à la fois individuel et collectif de devenir les gentils accompagnateurs du nouveau capitalisme ? Au moment où nous avons à affronter une phase inédite du capitalisme néolibéral, d’autant plus acharné à atteindre coûte que coûte ses objectifs que la crise qu’il a engendrée lui mord la nuque, le temps est venu de rechercher et de construire de nouvelles alliances.
Un nouvel horizon de lutte est donc posé. Il invite à s’allier et à faire se rencontrer, dialoguer, voire élaborer ensemble de multiples foyers résistants et alternatifs : mouvement sociaux, instituts de recherche et laboratoires indépendants, forces syndicales et associatives, partis politiques, organismes d’éducation populaire, clubs et sociétés, libraires et éditeurs, journaux et revues, radios, rencontres citoyennes… La liste n’est pas close, tant sont divers tous ceux qui refusent de se faire laminer par l’horreur néolibérale. Il s’agit d’assumer ces « branchements extérieurs » qu’évoquait Michel Foucault permettant de connecter l’école non seulement aux champs médiatiques et culturels mais aux champs militants et politiques. Les travailleurs ou les prolétaires de la connaissance que nous devenons, sont au plus haut point concernés et ont toute leur place dans ce combat. ●
Véronique Ponvert
(1) La nouvelle école capitaliste. Pierre Clément,
Guy Dreux, Christian Laval, Francis Vergne. La Découverte. Septembre 2011