Tout le monde ou presque, qui est en activité dans un service public, sait maintenant ce qu’est le New Public Management pour le subir d’une manière ou d’une autre.
Cet ensemble de techniques de contrôle de l’activité, de rationalisation des tâches, de renforcement de la prescription et de l’évaluation est une importation dans le monde des services publics de normes des entreprises privées soumises à la concurrence.
Ce qui veut dire que le New Public Management est le nom officiel, mais sous la forme du déni, de la transformation néolibérale de l’État.
On ne peut en effet isoler cette transformation de l’État de certaines caractéristiques des politiques publiques depuis trente ans : alléger les dépenses publiques et sociales, diminuer les impôts sur les entreprises et les classes les plus riches, c’est-à-dire opérer une redistribution à l’envers des pauvres vers les riches.
Ce New Public Management élaboré et mis en place par les conservateurs anglais dans les années 80, et repris depuis par la droite et la gauche un peu partout dans le monde, entend convertir l’État à une logique de performance, ce qui a supposé l’invention d’outils de contrôle, d’évaluation, de régulation, de comparaison (par ex. le « benchmarking ») qui fonctionnent comme si les services publics étaient des entreprises soumises à la concurrence ou des filiales de multinationales dont on compare la profitabilité.
C’est en réalité un ensemble d’ersatz produisant l’équivalent de ses « sanctions du marché » supposées rationnelles.
Les résultats sont loin de répondre aux attentes officielles car l’analogie avec le marché est souvent artificielle, et lorsqu’il y a introduction effective de la concurrence entre les établissements des services publics ou entre les « agences » décentralisées, les effets pervers surviennent vite et entraînent des coûts sociaux élevés.
Songeons aux effets désastreux de la concurrence entre établissements scolaires par exemple.
Il y a un certain nombre d’effets négatifs sur les personnels des services publics qui sont parfois peu visibles immédiatement mais qui se feront sentir de plus en plus et sur le long terme.
L’introduction d’une rationalité économique étroitement définie, ce que Weber appelait « l’esprit du capitalisme », n’est pas sans atteindre et entamer l’ethos du service public en général, et les différents « esprits de corps » en particulier.
Si ces derniers peuvent avoir des effets corporatistes parfois nuisibles, et qu’il faut endiguer par une démocratisation réelle des services publics, il convient aussi de reconnaître que ce qui fait la force et l’efficacité de ces services, c’est le « sens » qu’y mettent et y investissent les agents, ce qui les motive et les anime, bien au-delà de leurs seuls intérêts matériels immédiats.
La haute fonction publique, convertie dès les écoles de pouvoir qui l’ont façonnée à la modernisation capitaliste, ne comprend absolument pas que les administrations et les services publics ne sont pas solubles dans les « eaux glacées du calcul égoïste », à moins d’entraîner des coûts qu’il faudra assumer plus tard.
Mais d’ores et déjà, il suffit de voir le vent de panique qui a saisi l’état-major de l’Éducation nationale pour quelques sifflets lors de la minute de silence en mémoire des journalistes et dessinateurs de Charlie pour se rendre compte de la fragilité de cet économisme bureaucratique.
Soudainement, il n’a plus été question de « performance », de « palmarès », de « compétences », de « culture d’entreprise », mais, à l’inverse, de laïcité, de valeurs de la République, de solidarité, etc.
En quelques jours, tout le logiciel économico-technocratique de l’oligarchie néolibérale s’est effondré. Cela ne veut pas dire qu’il y ait eu la moindre prise de conscience de l’impasse du New Public Management, c’est simplement un premier symptôme de la déroute annoncée.
Le New Public Management pose un sérieux problème aux syndicats car il vise à individualiser les agents publics pour mieux les soumettre.
Défendre le « collectif » dans le monde du travail est la tâche historique des syndicats, mais c’est à l’évidence de plus en plus difficile étant donné le contexte du New Public Management.
Enrayer et défaire cette « machine à individualiser », tel doit être l’un des objectifs du syndicalisme de combat. Cela passe par un travail sérieux d’analyse du néolibéralisme et de ses techniques de pouvoir. ●
Christian Laval