Canicule, sécheresse, incendies… les phénomènes climatiques catastrophiques s’accélèrent. Pour en pallier les conséquences, des mesures d’adaptation devront être prises : pour cela, les mobilisations sont indispensables.
Au printemps dernier, la menace de la sécheresse a plané dans toute l’Europe, puis s’est abattue sur le continent durant tout l’été. Épisodes caniculaires, problèmes d’approvisionnement en eau, incendies géants ont constitué le quotidien estival. En France, plus d’une centaine de communes ont été privées d’eau potable en août, 93 départements ont dû faire face à des restrictions d’eau et 62 ont connu une situation de « crise », selon les données du ministère de la Transition écologique. Le mois de juillet a été le deuxième mois le plus sec jamais enregistré en France, avec un déficit de précipitations d’environ 84 % par rapport aux normales de la période 1991-2020. Cette situation ne se limite pas à la France, tout le continent est touché, en particulier autour du bassin méditerranéen. Et on a pu voir des images qu’on pensait réservées à des pays pauvres, comme des camions acheminant de l’eau potable dans certains villages. Le bilan des incendies est également particulièrement marquant : 622 km2 partis en fumée entre janvier et août 2022, environ 6 fois la surface de Paris, et plus de 7,5 fois la moyenne annuelle des quinze années précédentes, avec des mégafeux comme en Australie ou aux États-Unis, désignés ainsi à cause de leur vitesse de propagation, leur durée et la surface brûlée. Il y a fort à parier que la sécheresse estivale sera suivie à l’automne de gros orages et de pluies diluviennes, qui ne seront même pas utiles pour réalimenter les nappes phréatiques. En effet, les pluies violentes ne s’infiltrent pas ou peu dans les sols, d’autant plus dans les zones bétonnées. Elles ruissellent et repartent vers la mer, emportant au passage les polluants croisés en chemin.
Une tendance lourde
De nombreux commentaires ont mis l’accent sur le caractère exceptionnel de cet été, les comparaisons n’ont pas manqué avec 2003, 1976…, comme si la situation estivale ne s’inscrivait pas dans une tendance lourde, qui voit s’accélérer les phénomènes climatiques catastrophiques (sécheresses et inondations en particulier), comme si de telles situations n’avaient pas déjà parcouru les autres continents les années précédentes. Il suffit pourtant de se reporter au dernier rapport du Giec qui note que « la conjonction de vague de chaleur et de sécheresse a probablement augmenté », que « cette tendance va continuer » ; l’Europe va devoir faire face à une augmentation des inondations pluviales dans le Nord-Est du continent, à une réduction des précipitations et une augmentation des sécheresses dans le Sud-Est. Mais ce qui était encore jusqu’à peu des prévisions à court ou moyen terme constitue désormais l’actualité. Le Giec souligne également le cercle vicieux entre le cycle de l’eau et le cycle du carbone. La photosynthèse se réduit lors des sécheresses, entraînant des rejets croissants de carbone.
À l’échelle du globe, la situation est encore plus catastrophique. Selon un rapport de l’ONU publié en mai dernier, en 2022, « plus de 2,3 milliards de personnes seront confrontées au stress hydrique et près de 160 millions d’enfants sont exposés à des sécheresses graves et prolongées » ; la collecte de l’eau « pèse de manière disproportionnée sur les femmes (72 %) et les filles (9 %), qui, dans certains cas, dépensent jusqu’à 40 % de leur apport calorifique pour transporter l’eau ». Les projections vont dans le même sens, puisque d’ici 2050, les sécheresses pourraient toucher plus des trois quarts de la population mondiale et jusqu’à 216 millions de personnes pourraient être contraintes de migrer.
Des conséquences en chaîne
Les effets sur l’agriculture sont bien entendu les plus directs, mais d’autres conséquences moins attendues sont apparues cet été, en particulier concernant l’énergie. Déjà devenu critique à cause de la guerre en Ukraine, l’approvisionnement en énergie a été rendu d’autant plus compliqué par la baisse du niveau des eaux des fleuves, empêchant par exemple le transport de charbon sur le Rhin ; surtout, la production hydroélectrique (13 % de l’électricité en Europe) s’est effondrée, provoquant une hausse massive et rapide du prix de l’électricité. Le nucléaire n’est pas épargné, puisque les centrales consomment énormément d’eau pour refroidir leurs réacteurs ; EDF a dû réduire sa production nucléaire, malgré les dérogations accordées jusqu’à mi-septembre autorisant les entreprises à rejeter leurs eaux de refroidissement, alors que ces rejets ne doivent pas, en temps normal, entraîner une forte hausse de la température des eaux.
Ce qui s’est passé cet été n’a rien d’exceptionnel. La conjonction d’un climat toujours plus déréglé, de politiques énergétiques très éloignées de la sobriété évoquée par Macron, d’usages de l’eau marqués par l’agro-industrie et le gaspillage, d’aménagements du territoire qui accentuent les conséquences des phénomènes météorologiques… conduisent à la situation actuelle. Dès lors, il ne s’agit plus seulement de mettre en œuvre des politiques climatiques à la hauteur, mais aussi d’envisager les mesures d’adaptation, en matière de soin des personnes et des écosystèmes, de gestion de l’eau, de transformation des espaces de vie et de travail, de politiques énergétiques…
Des mesures d’adaptation
Comme l’explique l’hydrologue Emma Haziza, pour reconstituer le cycle de l’eau et les nappes phréatiques, la seule solution, c’est de laisser pénétrer l’eau dans les sols, et non pas de la prélever. Or, les politiques agricoles aussi bien que les privilèges accordés au groupes sociaux les plus riches montrent bien que le gouvernement fait le choix contraire. Celui-ci soutient par exemple les agriculteur·trices intensif·ves qui veulent implanter des mégabassines contre lesquelles bataillent la Confédération paysanne et le collectif Bassines non merci, aux côtés d’autres syndicats et associations. Le principe de ces mégabassines est simple : creuser d’immenses retenues d’eau, pomper pendant l’hiver l’eau des nappes phréatiques, les retenir jusqu’à l’été pour alimenter les grandes cultures, de maïs essentiellement. Modèle d’une agriculture intensive et de choix de production complètement antinomiques avec la situation climatique présente − le maïs est une plante sans racines profondes, qui ne peut être alimentée en eau qu’en surface, d’où la nécessité d’irriguer, et qui doit être arrosée dans les périodes les plus sèches −, ces retenues d’eau géantes sont également la marque d’une appropriation de l’eau. Elles profitent en effet à quelques gros producteur·trices, empêchant les plus petit·es paysan·nes, souvent défenseur·es d’un modèle plus respectueux des écosystèmes, d’utiliser ce bien commun qu’est, ou que devrait être, l’eau. Il s’agit là encore d’une préconisation du Giec qui souligne que « le maintien du statut de l’eau comme bien public est au cœur des questions d’équité ». En tirer les conséquences, c’est mettre fin à l’accaparement de l’eau par l’agriculture productiviste et les grands groupes industriels. Les rencontres de collectifs de défense de l’eau qui se sont tenues à l’occasion des rassemblements contre les mégabassines ont en effet montré que l’accaparement de l’eau n’était pas seulement le fait de l’agrobusiness mais concernait aussi les entreprises d’eau en bouteille ou l’industrie touristique (en montagne notamment). Il s’agit également de modifier en profondeur l’aménagement du territoire, contre la bétonisation des sols, l’imperméabilisation et la destruction des zones humides. Et bien entendu de transformer les pratiques agricoles et les cultures par des productions moins consommatrices en eau (techniques d’arrosage, choix des plantes, diminution de la production de viande…).
Mobiliser pour l’accès aux ressources
Un autre volet touche à la justice sociale quant à l’accès aux ressources. Les actions menées cet été contre les golfs ont eu la vertu de montrer les inégalités et les gaspillages en matière d’usages de l’eau. L’objectif de préservation des greens, issu d’un accord de 2019 entre le ministère de la Transition écologique et la Fédération française de golf, a permis d’obtenir de nombreuses dérogations délivrées par les préfets, qui peuvent être à l’écoute des propriétaires de golfs, alors que leur consommation en eau est évaluée, selon les estimations, entre 29 millions de m3 (étude de la Fédération française de golf en 2010) et 36 millions, l’équivalent d’une ville de 500 000 habitant·es (rapport sénatorial de 2002). Face à de tels abus, il est temps de repenser les tarifications et les interdictions de certains usages, envisager la gratuité des services de base et punir les gaspillages et les excès.
Les mouvements sociaux et syndicaux ont un rôle essentiel à jouer pour formuler des perspectives de mobilisations autour de ces enjeux, sans attendre la prochaine canicule. En octobre, dans le sud des Deux-Sèvres aura lieu une nouvelle série d’actions pour empêcher l’installation des mégabassines. Ce sera aussi l’occasion de tirer un bilan d’étape des convergences autour de la défense de l’eau qui se nouent depuis plusieurs mois. ●
Vincent Gay