L’annonce d’E. Macron le 2 septembre à Marseille portant sur une réhabilitation des écoles , mais sous contraintes (dont celle du recrutement des PE par la directrice ou le directeur d’école), a fait l’effet d’une onde de choc au sein d’une partie de la profession, à Marseille et ailleurs. Et pour cause. Elle signifie la possibilité pour un président de la République de déroger au cadre réglementant le fonctionnement des écoles.
Elle est une avancée supplémentaire dans une dérégulation du service public d’éducation qui progresse sournoisement. Postes à profil et fin des CAPD qui cassent le cadre collectif, sur-individualisation des pratiques d’aide, injonctions pédagogiques diverses et formation remaniée qui empêchent la réflexion d’équipe sur le métier… Les premières balises ont été plantées depuis quelques années déjà.
Cette actualité marseillaise est une mise à mal inacceptable de la fonction de direction. Mais l’arbre cache mal la forêt car elle vient aussi appuyer une vision de l’école pilotée par la contractualisation, la territorialisation et où l’expérimentation devient la règle. A l’opposé de compensations critériées et nationales, comme c’est le cas en éducation prioritaire, l’allocation des moyens sera soumise à des décisions locales et conditionnée en retour à certains fonctionnements, à certains projets. Ainsi, nous assistons à une dérégulation des affectations, non plus avec des règles transparentes et équitables de fonctionnaires recrutés sur concours, mais avec une mobilité soumise à une soi-disant motivation !
D’autre part on peut se demander si la prétendue innovation ne constituera pas davantage une opération de communication marketing avec des dispositifs clinquants dans l’air du temps, plutôt qu’une réflexion visant des tâtonnements pédagogiques pour accompagner les apprentissages de tous les élèves. En témoigne la précipitation voire le ridicule des appels à projets en cours à Marseille.
C’est d’ailleurs tout le paradoxe actuel minutieusement entretenu par JM Blanquer entre d’un côté un encadrement des pratiques enseignantes (guides, évaluations, recentrage sur des dits fondamentaux, formation contrôlée) et de l’autre un appel à « l’innovation ». Mais quelle innovation ? Une innovation normée au service d’une idéologie. Une innovation encadrée par une obligation de résultats. Mais de quels résultats ? De quelle réussite ? Probablement celle aux évaluations systématisées et normalisées plutôt qu’à une progression des élèves dans l’ensemble des apprentissages, y compris les moins mesurables…
Les iniquités engendrées par ces différences de traitement selon les écoles et les territoires s’habilleront sans aucun doute d’éléments de langage. Ainsi, dans une école oubliant les causes externes et internes des inégalités scolaires, on pourra parler du mérite. Mérite des élèves travailleurs et opiniâtres, mérite des enseignant.es motivé.es à faire leur métier… Une sorte de facilité si on veut bien se donner la peine de traverser la rue !
Finalement, un peu comme si on attribuait une part de salaire variable selon la participation à des dispositifs hors temps scolaires communs, tels les stages de remises à niveaux ou les vacances apprenantes ! D’ailleurs c’est ce qui est valorisé pour l’obtention de la part variable de la prime REP+
Cette expérimentation, comme d’autres, et appuyées notamment par les Contrats Locaux d’Accompagnement, la proposition de loi Rilhac ou les annonces du Grenelle, n’est pas un simple ballon d’essai. Elle est une mauvaise graine de dérégulation portant en elle le germe d’une réelle fragmentation. Avec des écoles en concurrence pour obtenir les moyens, des enseignant·es en concurrence pour obtenir une affectation, c’est un désherbage radical qui est à l’œuvre. C’est la déstructuration de la base républicaine avec son cadre commun. C’est un renoncement à un projet politique et éducatif, égalitaire et ambitieux d’une école visant l’émancipation de toutes et tous par les savoirs.
Ces dispositifs contribuent à insérer petit à petit, subrepticement, cette possibilité d’une école ouverte aux marchés concurrentiels… rendre l’idée petit à petit supportable. En particulier dans le cadre de la préparation d’un prochain programme présidentiel.
Syndicalement, nous ne pouvons donc pas avoir de trêve électorale, nous devons décrypter encore, alerter pour dévoiler la cohérence idéologique à l’œuvre. Donner à voir le vrai bilan de ces presque 5 années pour appuyer nos revendications. Et pourquoi pas le co-construire avec la profession ce bilan ? Le ministre de l’éducation est en campagne, soyons en contre-campagne et réfléchissons comment partager notre projet en faisant à notre tour germer l’idée qu’une autre école, comme une autre société, sont possibles.