« C’est la nouvelle bête immonde qu’il est si difficile d’identifier. C’est l’infiniment petit de la domination » (Brigitte Grésy,
in Petit Traité contre le sexisme ordinaire).
Si l’« affaire » DSK a été vécue comme un électrochoc dans les médias et par la classe politique, dans ce qu’elle soulève comme questionnements sur les rapports femmes-hommes, elle n’aura malheureusement pas dégagé de nouveautés pour les femmes : le sexisme est quotidien. Il n’aura pas fallu plus de quelques jours pour que la parole des femmes se libère sur cette question : positionnements politiques bien sûr, mais aussi d’associations, de collectifs, n’ayant pas attendu ce scandale pour travailler sur la question des violences faites aux femmes, mais encore paroles personnelles de femmes, étayées par ces trop nombreux et malheureux exemples d’oppression quotidienne dont elles sont l’objet.
La mémoire qui flanche…
La société française semble aujourd’hui surprise du machisme latent qui perdure. Mais l’avalanche de réactions sexistes (suivies de plates excuses publiques pour certains) qui a suivi l’arrestation de DSK était seulement dans la juste continuité de propos du même ordre tenus au sujet notamment des femmes politiques. On se souvient au plus près de nous du « Qui gardera les enfants » lancé par Laurent Fabius à l’occasion de la candidature de Ségolène Royal ou de la réflexion de Jean- Luc Mélenchon « la présidence de la République n’est pas un concours de beauté ». En 1999, c’est Dominique Voynet qui est traitée de « salope » et bien auparavant, quand Edith Cresson devient Ministre de l’Agriculture, les agriculteurs, qui considèrent cette nomination comme du « mépris » à leur égard, brandissent bien rapidement des pancartes « On t’espère meilleure au lit qu’au Ministère » ! Et ces exemples peuvent être déclinés à l’envie (?) dans tous les lieux de travail, envers toutes les femmes. L’avantage de la domination masculine est qu’elle est universelle…
Au jour le jour…
Le « sexisme ordinaire » évoqué dans de nombreuses interviews a cela de particulier qu’il est multiformes. Brigitte Grésy(1), en 2009, a tenté et réussi une explicitation courte qui permet de comprendre combien le sexisme ne se traduit pas seulement pas des actes « reconnus » violents ou discriminants, mais bien au quotidien : « Le sexisme ordinaire nous fait entrer dans un univers singulier : on est dans le signe qui rejette, la parole qui exclut, le sourire qui infantilise, le dos qui se tourne, le cercle qui ne s’ouvre pas, la couleur grise qui refuse le rose […] On est dans les pubs qui bêtifient ou qui violentent, les colloques sur l’avenir de la France où pas une femme ne parle à la tribune ».
Cette définition s’enrichit de nombreux exemples donnés dans les journaux par certaines femmes politiques : les réflexions sexistes et sexuelles quotidiennes dans l’hémicycle ou dans des réunions, et l’expression de cette impossibilité de pouvoir s’habiller selon ses envies de peur de subir des quolibets.
« Le sexisme dans ce monde-là est pernicieux. Ils sont en col blanc, parlent bien, sont éduqués, ils ne te traitent pas de “pute”, mais on sent que c’est ce que certains pensent »(2).
Si les langues se délient aujourd’hui dans le milieu politique, le sexisme ordinaire est universel et touche toutes les classes sociales. « Le sexisme ordinaire, ce sont des stéréotypes et des représentations collectives qui se traduisent par des mots, des gestes, des comportements ou des actes qui excluent, marginalisent ou infériorisent les femmes. Le sexisme ordinaire s’accroche indubitablement à la notion de genre, en tant qu’élément constitutif de rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre les sexes et manière de signifier des rapports de pouvoir »(3).
La féminisation d’un métier, ou, à l’inverse, l’entrée des hommes dans un métier largement féminisé donnent également lieu à des florilèges : c’est par maïeuticiens que l’Académie Française décidera de nommer les « sage-hommes » (ils accoucheront donc d’esprits, eux…) et quand en 1984, la première commission de terminologie voit le jour (chargée d’étudier l’emploi du féminin pour les noms de métiers, fonctions, grades et titres) Le Figaro qualifiera son travail d’« enjuponnement du vocabulaire »…
Le sexisme ordinaire ne fait pas que se dire, il s’écrit aussi bien souvent.
Légiférer pour protéger
Le sexisme contient donc en lui-même de la violence et son expression la plus violente est le viol, reconnu seulement en 1980 comme un crime.
En 1985 est créé le collectif féministe contre le viol. Maya Surduts et Suzy Rotjman du Collectif national pour les Droits des Femmes, dans une tribune publiée par Le Monde au mois de mai, détaillent tout le chemin qu’il a fallu parcourir pour que les violences faites aux femmes rentrent dans un arsenal législatif et judiciaire : « En 1992 est votée la loi sur le délit de harcèlement sexuel. Celui ci est ainsi défini : “Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 frs d’amende”. Notons la tautologie qui décrit le harcèlement par le “fait de harceler” mais notons aussi les “faveurs de nature sexuelle”, termes qui entretiennent sciemment la confusion entre la séduction et l’agression»(4).
Tous les débats actuels et les petites phrases lancées par les uns et les autres nous renvoient bien à cette définition. La véritable question qui se pose est comment faire enfin comprendre que le slogan « Non c’est non » est aussi une vérité. Les médias, les publicités dispensent au quotidien une image hyper sexualisée des femmes et des hommes, les films pornographiques véhiculent une image dégradée des femmes et banalisent le viol comme une fantaisie sexuelle. Quand des associations ont lancé à l’automne dernier une campagne « la honte doit changer de camp », l’indignation sur les 75 000 viols par an a fait l’unanimité, mais subsistent toujours dans la loi cette définition du harcèlement et sur les écrans la banalisation de certains comportements.
Pourtant « le viol est le crime qui impose par essence la domination masculine sur les femmes. La quasi impossibilité pour les femmes d’obtenir justice – des hommes – en cas de viol redouble la domination masculine »(5). C’est ce combat qu’il nous faut gagner : libérer la parole des femmes, leur donner la possibilité d’être protégées, d’être soutenues dans toutes leurs démarches. La trop faible féminisation de certains métiers a aussi pour conséquence une méconnaissance et la non prise en compte de la parole des femmes : « Malheureusement pour les femmes, les a priori misogynes des médecins légistes sont renforcés par ceux des jurys : pourquoi cette jeune fille s’est-elle laissée raccompagner sur la route ? Cette femme n’a-t-elle pas eu déjà des amants ? Cette voisine ne cherche-t-elle pas à tirer vengeance de cet homme ? L’intuition est fondamentalement défensive et sécuritaire pour la gent masculine. Elle devance les preuves, s’appuie sur l’apparence des choses tout en prétendant s’appuyer sur l’observation sensible des blessures »(5).
« Le féminisme
n’a jamais tué personne,
le machisme tue tous les jours »
Alors que nous reste-t-il comme moyen (mis à part, comme l’évoque avec humour Brigitte Grésy, « ne jamais sortir toute nue ») pour lutter contre ce sexisme ordinaire ?
On ne le dira jamais assez : éduquer, échanger, donner des chiffres (les femmes moins bien payées que les hommes, c’est du sexisme), faire en sorte que le collectif permettre à chacune de se protéger. Eduquer pour changer cette expression permanente et quotidienne de la domination masculine qui se fait dans les échanges entre collègues, avec la hiérarchie, dans la sphère privée ou amicale, dans la rue, dans le militantisme, dans nos écoles, nos collèges, nos lycées, nos facultés, nos crèches… Car dire à un petit garçon « on dirait une fille » quand il pleure, c’est lui faire comprendre que lui, il est fort, et qu’elles, elles peuvent rester des enfants et devenir des adultes faibles.
Lutter contre le sexisme ordinaire c’est faire en sorte que l’égalité filles-garçons à l’école ne soit pas abordée comme un supplément d’âme mais bien intégrée à l’enseignement, à l’éducation que l’on dispense(6). C’est aussi sans doute fêter le 8 Mars systématiquement sur nos lieux de travail, dans nos établissements ; reprendre à chaque moment ce qui se passe dans nos cours d’école, dans nos salles de classe… Réaffirmer ensemble combien l’égalité femmes-hommes est créatrice de justice sociale.
Plusieurs actions ont d’ores et déjà été mises en place et dès la rentrée une mobilisation unitaire verra sans doute le jour. Pour l’instant, les initiatives foisonnent : une pétition des féministes américaines relayée par le CNDF, la pétition « Sexisme : ils se lâchent, les femmes trinquent » d’Osez le féminisme et la Barbe, des réunions unitaires impulsées par le CNDF sur la question des violences…
« Le seul moyen de ne pas finir dingue, c’est d’inlassablement décortiquer le monde qui nous entoure pour tenter de convaincre de plus en plus de gens qu’il faut impérativement et radicalement le transformer »(7). ●
Ingrid Darroman
Pétition des féministes américaines :
http://www.collectifdroitsdesfemmes.org/spip.php?article311
1) Petit Traité contre le sexisme ordinaire,
Brigitte Grésy, Août 2009, Albin Michel.
2) JDD du 5 Juin 2011.
3) Brigitte Grésy.
4) Dans quel monde vivons-nous ?, Maya Surduts,
Suzy Rotjman, Le Monde 26 Mai 2011
5) Déconstruction des discours des manuels de médecine légale sur les femmes violées, Laurent Ferron Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique n°84-2001.
6) A ce propos, La place des femmes dans l’histoire,
une histoire mixte, Belin.
7) http://chroniquesdusexismeordinaire.over-blog.com/
Histoire sans F ?
La place des femmes dans l’histoire, Une histoire mixte,
Mnemosyne(1), Belin, octobre 2010.
Cet ouvrage est indispensable à toutes celles et tous ceux qui souhaitent combler les brèches des programmes d’histoire. L’ouvrage propose une lecture mixte des programmes scolaires, en y intégrant l’histoire des femmes et du genre. L’introduction nous met d’ailleurs directement dans le bain : [dans les manuels] « Les femmes ne sont mentionnées que fugitivement, ou dans de rares dossiers comme on en consacre aux châteaux forts ».
Chaque chapitre chronologique est composé d’une première partie étudiant la place des femmes dans l’époque étudiée ; une seconde partie est constituée de dossiers documentaires faisant le tour d’une question liée à l’histoire des femmes. Des pistes d’exploitation par niveau (primaire, collège, lycée) permettent à l’enseignant-e de travailler à partir de chaque dossier.
Aussi à lire : Olympes de Gouges : Non à la discrimination des femmes,
Elsa Solal Acte Sud Juniors 2009
1) Mnemosyne (http://www.mnemosyne.asso.fr/) est une association née à l’initiative de la revue CLIO, Histoire, Femmes et Sociétés en octobre 2000, qui a « pour but le développement de l’histoire des femmes et du genre en France, dans les universités comme dans tous les lieux, institutionnels, associatifs et culturels d’enseignement, de formation, de recherche et de conservation ».