Le Bas Montreuil, ses échoppes bio, ses restos, ses anciennes usines reconverties en ateliers d’artistes ou pépinières d’entreprises, ses associations,
ses jardins collectifs et terrains de jeux pour adolescent.e.s, son salon du livre de jeunesse, son métro baptisé du nom d’un révolutionnaire à l’héritage contesté ce Robespierre à qui Paris refuse encore un nom de rue ou de place, ses « bobos », ses écoles Paul Bert, Voltaire, Héritier, Dolto et son collège Eluard, tous situés aux alentours de la place et de rue de la République.
En décembre 2014, cette République, par la voix de sa ministre
de l’éducation nationale, N. Vallaud-Belkacem, armée de quelques statistiques discutables, décide de casser le réseau d’éducation prioritaire qui unit les établissements scolaires du quartier. Son projet, qui vient sanctionner la trop grande réussite et mixité auquel le réseau serait parvenu, est connu dès la Toussaint et provoque une mobilisation inédite qui s’étire jusqu’en décembre quand est officiellement confirmée la sanction.
Lutte c’est le titre du documentaire réalisé par Claire Bernard sur cette mobilisation sans précédent. Plutôt que d’en faire une œuvre chorale, elle a choisi de suivre plus particulière- ment Laure, maman d’élève de l’école Voltaire, qui s’est rapidement imposée comme une des figures très actives du mouvement. La caméra la suit d’occupations nocturnes en manifestations, de réunions en « nuit du REP », de Montreuil à la rue de Grenelle. Autour d’elle, acteurs et actrices attisent les braises d’une mobilisation qui irrigue par son dynamisme, son inventivité, sa pugnacité et sa persévérance l’ensemble de l’académie de Créteil. Dans un mouvement fédéré par le slogan « Touche pas à ma zep », parents, enseignant.e.s, personnels éducatifs au sens large, élu.e.s s’activent, s’interrogent, s’impliquent et lancent toutes leurs forces dans la bataille. Celles-ci, décuplées par les pouvoirs par- fois telluriques du collectif, ne suffisent pourtant pas à sauver le réseau. La mobilisation ne permet d’en maintenir qu’un ersatz temporaire.
Quand Claire Bernard a présenté son documentaire au cinéma de la ville, le Méliès, la salle comptait bon nombre de participant.e.s de cette action collective. Son documentaire livre à la postérité des traces sensibles de ce moment singulier. Au-delà de l’issue des Luttes du REP du Bas Montreuil, il dit ce qui fut tissé, construit, accompli et toute la difficulté des légitimes actions menées. Contre les flots de clichés sur ce bout de territoire du 93 diffusés par les médias et l’inertie des organisations syndicales incapables de relayer leurs bases, le film réalisé par C. Bernard a en lui le pouvoir d’extraire les sans noms de l’habituelle condescendance à laquelle les condamne l’histoire. On espère vivement qu’il trouvera une voie de distribution permettant de les faire porter encore plus loin.
Véronique Servat et Amandine Cormier.