Dans de nombreux départements, les « OQTF » (obligations de quitter le territoire français), tombent sur des personnes et des familles venues d’Europe de l’Est et des Balkans, d’Afrique et d’ailleurs, qui sont « là » depuis des années parfois.
Elles ont payé à des réseaux de passeurs, vécu des déplacements très durs et des arrivées chaotiques.
Des perspectives longtemps incertaines ont pesé sur elles, alors que leurs enfants scolarisés ou des prises en charge médicales enfin suffisantes après des parcours épuisants, leur ont laissé croire qu’on pouvait faire confiance à un pays qui se réfère de manière si solennelle à l’école et aux droits universels.
Les sommes très importantes dépensées par l’Etat avec des hébergements à l’hôtel chers et discontinus pour – certains – demandeurs d’asile, des reconduites par vol spécial dans des pays classés sûrs (où il faut souvent se cacher, tellement on y est en sécurité), prouvent que les pouvoirs publics préfèrent mettre en œuvre des actions plus coûteuses et illisibles pour des personnes qu’on épuise – de demandes légitimes sans réponse pendant des mois en recours plus qu’incertains – que des politiques cohérentes avec les grands principes affichés, comme le droit d’asile. Des écoliers, collégiens, lycéens dorment dans des voitures. Souvent, leurs enseignants l’ignorent. Mais une association a (re)lancé le débat : faut-il donner des devoirs à la maison ? Elle doit élargir l’interpellation : faut-il donner une maison à celles et ceux auxquels on donne des devoirs ? (les exempter de devoirs semble exclu : l’égalité républicaine en pâtirait.)
Le parallèle avec les années 30 (crise économique, montée des extrêmes droites…) concerne aussi l’accueil de réfugiés : la guerre d’Espagne les avait fait rejoindre la France par dizaines de milliers (des républicains et d’autres), dans des camps pas beaucoup plus accueillants que la jungle calaisienne et ses quelques structures en « dur ». Le mouvement social était beaucoup plus fort qu’aujourd’hui : des syndicats, associations ou courants de pensée organisèrent grâce à leurs adhérents ou sympathisants des solidarités très concrètes, jusqu’à l’accueil d’enfants, par milliers, dans des structures ou des familles, notamment pour les sauver des bombardements sur les villes.
On pense à Alep.
On dénonce aujourd’hui, au nom du droit des gens, les situations les plus tragiques. Et si beaucoup viennent en aide, accompagnent, hébergent même, en lien avec des collectifs de soutien on se rappelle que des fraternités, liées aux convictions, agissaient il y a 75 ans.
Les militants font front de partout et de tous les côtés, la bataille des idées n’est pas perdue (l’opposition à la « loi travail » a bien résisté), mais les droits qui semblaient irréversibles sont attaqués. Les polonaises soutenues par des organisations « solidarité-femmes » dans toute l’Europe, ont réussi à mobiliser contre une loi ultra régressive sur le droit à l’avortement, et ainsi à rendre visible qu’un pouvoir populiste est en fait bien soumis aux intrusions religieuses dans le débat civil, l’Eglise pesant lourdement dans ces enjeux -encore un parallèle avec les années 30. Une régression contre l’IVG a d’ailleurs été récemment repoussée en Espagne ; la « bonne morale » fait ainsi toujours bon ménage avec la libre entreprise : des saisonniers viennent de loin faire les cueillettes de fruits et les vendanges, et beaucoup d’ouvriers d’Europe de l’Est maltraités par la sous-traitance sont sur les chantiers du BTP et de la grande industrie : ainsi on circule … libéralement !
A Alsthom-Belfort, les ouvriers ont bien failli être mis eux aussi en obligation de quitter le Territoire… Leur déplacement dans une usine près de la frontière a été… reporté grâce à de l’argent public qui soutient d’ailleurs depuis des années une activité plus que centenaire qui ne semble pas être adossée à une politique industrielle claire ; les motrices TGV commandées pour maintenir le site en activité rouleront, sur des voies où il sera plus prudent de ne pas les lancer à grande vitesse. On bricole dans l’urgence, quand ça se voit trop. D’autres sites sont laissés à leur triste sort.
Des manifestations, des mobilisations soutiennent les personnes menacées d’expulsion de leurs territoires de vie actuels, et agissent pour des alternatives, un peu partout. Comme à Notre Dame des Landes ou autour des fermes-usines qui provoqueront la disparition d’exploitations modestes.
Les réponses aux protestations concourent à dissuader d’y participer : judiciarisation d’épisodes d’actions des mouvements de lutte (Air France, Good Year, plaintes des sociétés d’autoroutes après les opérations aux péages), mise sous séquestre de manifestations dans des périmètres « sécurisés », perquisitions et gardes à vue. Les éclairages portés par les militants font mauvais effet. A Calais, on va donc faire un mur…végétalisé (côté route) !
Pour l’instant, la comparaison avec la période du Front Populaire et ses grandes grèves butte contre ces autres murs d’une politique économique européenne dont les grands chefs font carrière chez Goldman-Sachs. On pourrait se sentir pris au piège, mais on va bientôt prendre l’air, avec CETA et TAFTA.
Et puis nous sommes dans un pays de liberté : on peut même participer aux primaires de la droite.