A la mi-décembre, six enseignants du primaire et du secondaire créent
le groupe des « Stylos Rouges » sur Facebook à la suite de
l’intervention télévisée de Macron. Celui-ci, contraint par la
mobilisation des Gilets jaunes à de premiers reculs, n’avait pas eu un
mot pour les enseignant-es alors qu’il citait d’autres catégories de
fonctionnaires à prendre en compte et à valoriser. Un mois après, les
« Stylos Rouges » (SR) comprenaient plus de soixante-six mille
personnels de l’éducation.
Ce n’est pas la première fois que se construit un mouvement en dehors
des organisations syndicales. En 1986-1987, la coordination nationale
contre les maîtres directeurs se développe face à un SNI qui ne combat
pas le projet ministériel. En 2008, le mouvement des désobéisseurs
refuse l’aide personnalisée de Darcos. Ces deux mouvements appelaient
les personnels à l’action face à l’apathie des organisations
syndicales et ciblaient une mesure particulièrement rejetée qui
touchait le primaire. Pour autant, des différences existent avec le
mouvement des SR. Celui-ci ne s’est pas construit « contre » les
syndicats comme la coordination en 86. Par ailleurs, bien que
majoritairement composé d’enseignant-es du premier degré, les SR
veulent rassembler premier et second degré, public et privé. Ils
portent des revendications « larges » (salariales et effectifs par
classe, notamment) répondant à une certaine paupérisation enseignante,
et revendiquent une « reconnaissance » de la part de l’institution
comme de la société. Leur « manifeste » regroupant les revendications
(et dans lequel on sent une certaine « patte syndicale ») est en
grande partie partagé par les organisations syndicales, notamment
celles de la FSU.
La première question qui vient à l’esprit est donc : pourquoi ces
personnels ne se sont pas tournés vers les syndicats qui portent
« naturellement » ces revendications ? Il y a d’abord bien évidemment
le poids de la dynamique sociale actuelle : ces collègues ont été
séduits par le relatif « succès » des Gilets Jaunes qui n’ont pas eu
besoin des syndicats pour se mobiliser et obtenir ce que les syndicats
ne parviennent pas à gagner dans les formes de mobilisation
« traditionnelles » (grèves d’une journée, manifs, etc.). Il y a fort
à parier également qu’une partie importante de ces collègues, gros
utilisateurs des réseaux sociaux, est composée de jeunes
enseignant-es, population souvent relativement éloignée des
organisations syndicales.
Limites du militantisme 2.0
Mais une chose est de participer à des échanges sur Facebook
(FB) et co-construire des revendications, autre chose est de
collectivement arriver à peser face à Blanquer. De ce point de
vue, après une période « euphorique » de développement pendant
les vacances de fin d’année, le mouvement va maintenant entrer
dans le dur. Les débats actuels, dans les premières AG
organisées comme sur FB, montrent toute la difficulté à
trouver des modalités différentes de celles des organisations
syndicales pour mobiliser largement les personnels. Les
premiers rassemblements en région en sont la preuve et ont
rassemblé peu de monde. Par ailleurs, à partir de la position
de non convergence avec les Gilets Jaunes adoptée par les
gestionnaires de la page FB (communiqué du 14 janvier) et
contestée par de nombreux SR, la question de la
représentativité (qui décide de quoi et sur quelle base
démocratique ?) d’un groupe constitué de milliers de
personnes, s’exprimant de manière virtuelle, se pose également.
Enjeux pour les syndicats de la FSU
Même si dans un premier temps, les équipes syndicales ont pu être
agacées par ce mouvement social virtuel reprenant en très grande
partie les revendications portées depuis des années par les syndicats
de la FSU, il n’empêche que celui-ci met encore plus en évidence le
profond malaise social et professionnel des personnels de l’éducation.
Les SR interrogent également le lien du syndicat avec les
personnels. Ils sont révélateurs de la volonté des personnels désireux
d’être acteurs dans la rédaction des revendications comme dans les
décisions de mobilisations. Et pas simples « consommateurs » d’actions
syndicales décidées « en haut ».
À l’image du mouvement des GJ qui impose des formes d’action plus
permanentes, à l’opposé des grèves de 24H sans lendemains, les SR
interrogent aussi nos modes d’action syndicale, notamment en termes
d‘utilisation d’outils numériques qui peuvent favoriser l’auto
organisation d’un mouvement.
Enfin, plus fondamentalement, lorsque des personnels se mobilisent
collectivement sur une base revendicative que partage en grande partie
le syndicalisme, celui-ci doit faire la preuve de sa disponibilité et
de son utilité. Même si on peut avoir des doutes, dans le contexte
actuel, dans la capacité d’un mouvement exclusivement corporatif et,
contrairement aux GJ, qui semble peu décidé à en découdre, de peser
face au gouvernement. Et dans son avenir…
Christian Navarro