Les enfants ou adolescent-es qui sont accueilli-es au sein des classes des établissements spécialisés ne sont pas toujours des élèves… On dit alors pudiquement qu’ils construisent leur métier d’élève. En ces temps de confinement, rien n’est plus facile à vérifier. Notre quotidien de professeur-e spécialisé-e nous rend souvent (trop peut-être) habituel le fait de se livrer à ce que Philippe Meirieu appelle la pédagogie du garçon de café[[MEIRIEU, Philippe. La pédagogie et le numérique: des outils pour trancher?. D. Kambouchner, P. Meirieu, & B. Stiegler (Éd.), L’école, le numérique et la société qui vient. Paris: Mille et une nuits, 2012]]. Celle qui consiste à aller butiner sans cesse d’une table à l’autre pour reformuler une consigne, préciser une information, étayer dans la réalisation d’une tâche, mais surtout pour apporter de la sécurité et rassurer celle ou celui dont l’immaturité psycho-affective rend toujours ardue, impossible parfois la mise au travail.
Enseigner avec des enfants handicapé-es en institution, c’est certes transmettre des connaissances et des compétences mais c’est aussi travailler en équipe pluridisciplinaire et participer à la construction identitaire des enfants et adolescent-es que nous accueillons. L’apprentissage scolaire ne prend sens et n’est effectif que s’il est transmis dans le cadre ritualisé, cohérent et constant d’un établissement spécialisé. Ce cadre dont nombre des jeunes que nous accueillons ne disposent pas car, pour leur famille, les difficultés quotidiennes se cumulent et les démarches pour les surmonter concentrent toute leur énergie.
La forte corrélation entre handicap cognitif et pauvreté rend, de fait, les conditions matérielles d’accès aux documents que nous transmettons bon an mal an bien insatisfaisante. Ici il n’y a pas d’ordinateur, de livres, de cahiers, ailleurs seul l’enfant scolarisé lit (déchiffre sans pour autant les comprendre plutôt) les consignes les plus élémentaires, nulle part il n’y a d’imprimante !
Nous nous attachons à maintenir ce lien privilégié que nous avons avec nos élèves et leurs familles, celui qui nous rattache à un commun, les supports scolaires sont un prétexte… la continuité pédagogique, un leurre.