On entend aujourd’hui de grands discours aux accents humanistes au sujet des migrations.
D’un côté, on en tait la complexité des causes internationales. De l’autre, on masque les conséquences déplorables d’une absence réelle de volonté politique concernant l’accueil.
Qu’en est-il dans l’école ? Tour d’horizon − les classes d’accueil : origine et avenir.
Le FLE (Français Langue étrangère) est à l’origine une discipline qui provient de la colonisation de la fin du XIXème siècle, de l’enseignement des missionnaires qui imposaient à des populations dominées par l’impérialisme français, une vision de la langue française comme langue de l’excellence, morale et civilisatrice.
Étudier la langue française, nous dit la préface du manuel exemplaire de la politique néocolonialiste menée par l’Alliance Française[[Association créée en 1883 par arrêté du ministère de l’Intérieur]], ce serait « entrer en contact avec une des civilisations les plus riches du monde moderne, orner l’esprit [des élèves] par l’étude d’une littérature splendide. (…)
Le français élève, et, en même temps, il sert. »[[M. Blancpain, Préface au Cours de Langue e de civilisation française ; Hachette, Paris, 1953.]] Ce sont ces idées qui semblent parfois se réveiller dans le discours réactionnaire d’aujourd’hui.
Celui de l’Éducation nationale, par exemple, qui habillée de sa bonne conscience républicaine promeut l’enseignement moral et civique où la vision d’une mission civilisatrice de la puissance impérialiste ne semble pas si lointaine.
Celui des chefs d’établissement obéissants à une logique de chiffres – et sous des dehors soucieux de la réussite des élèves – qui désinscrivent les élèves nouvellement arrivés au Diplôme national du Brevet.
On retrouve également ces relents de supériorité qui, s’ils sont inconscients n’en sont pas moins discriminants. L’appellation erronée, par exemple, de « NF » pour « Non-francophones », souvent entendue en salle des profs pour désigner les élèves nouvellement arrivés, peut paraître stigmatisante car ces élèves sont souvent bilingues, voire multilingues.
Pour autant, on ne peut s’en tenir qu’à cette vision de la discipline. De réelles avancées sont à l’œuvre dans les réflexions didactiques et nous font préférer au terme de Français Langue seconde, celui de Français Langue de Scolarisation, apparu dans les années 2000.
C’est cette langue outil que l’on apprend avec les élèves allophones des Classes d’Accueil (pour le second degré) et Classes d’Initiation (pour le premier degré) pour qu’ils s’épanouissent dans le système scolaire.
**Le Français Langue de Scolarisation : une langue subversive
La langue qui se construit dans cette classe si particulière est dans un premier temps, celle de la perte des repères réciproques et des postures habituelles.
Le professeur de FLSco se trouve face à des élèves arrivés depuis peu sur le territoire ; il doit communiquer avec eux dans la classe et dans l’instant, par tous les moyens non-verbaux possibles et imaginables.
Des malentendus culturels font vaciller les repères et mettent à nu le système éducatif dans lequel tout ce qui semblait aller de soi est mis en question par la seule présence de ces élèves.
Dans le travail de la langue que l’on construit ensemble, le même cheminement est à l’œuvre. On se trouve pris dans une situation inédite dont il s’agit de dévoiler les rouages aux élèves afin qu’ils se l’approprient.
Eux-mêmes le questionnent sans cesse et sont nécessairement placés dans une distance réflexive par rapport à lui. Par exemple, en dévoilant les implicites du fonctionnement d’un exercice de SVT ou d’une activité de technologie, on met le doigt sur les attendus scolaires.
Apprenants comme enseignant se trouvent tous deux pris dans un système où ils sont contraints de rendre visible l’invisible, faire entendre les sous-entendus de la connivence présupposée entre les élèves et les codes scolaires.
Et c’est en ce sens que le FLSco est une langue subversive. Elle est celle de la communication originelle et du dévoilement des ficelles d’un système dont on apprend à se déprendre et à s’émanciper.
Mais c’est aussi et surtout celle de l’apprentissage d’un « être ensemble » à travers laquelle les élèves se construisent dans la confiance.
**La classe d’accueil (CLA) : un lieu de solidarité internationale
Au-delà des frontières souvent dessinées par la colonisation et les guerres, au-delà des religions qui délient les peuples, dans une CLA, les élèves nous révèlent les liens fraternels qui nous unissent : une élève amérindienne du Brésil dont la langue maternelle est menacée de disparition, explique à sa camarade d’origine portugaise qu’avant C. Colomb, il y a avait des peuples autochtones ; une jeune fille mariée, revenue à l’école se réfugier, déchiffre la déclaration des droits de l’Homme ; ou encore une élève marocaine musulmane explique en arabe la consigne d’un exercice à une camarade chrétienne réfugiée d’Irak…
Ces élèves nous donnent une vraie leçon d’avenir, à contre-courant de ce que l’on peut imaginer de prime abord. Ce n’est plus l’intégration verticale des élèves à un système, mais la construction horizontale d’une société plus solidaire, plus juste et plus égalitaire que permet les CLIN et les CLA.
Si l’on se dispose à écouter les leçons délivrées dans ces classes, alors les raisons économiques, politiques ou climatiques pour lesquelles ces jeunes se retrouvent ici comme malgré eux, disparaissent d’elles-mêmes et n’ont plus lieu d’être.
Les CLIN et les CLA mises en place par l’Éducation nationale dans les années 1970 avaient pour but l’accueil et l’intégration des enfants immigrés. Jusqu’aux années 2000 ce même esprit animait encore les CASNAV[[Centre Académique pour la Scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs]] en charge de leur coordination.
**Hypocrisie toxique du discours institutionnel
Aujourd’hui, la priorité n’est plus, ni à l’accueil, ni à l’initiation. Comme le stipule la circulaire de 2012 qui détruit les CLA et les CLIN et crée les « Unité pédagogiques pour Élèves allophones arrivants » (UPE2A), ces principes sont remplacés par d’autres : « inclusion » et « parcours personnalisé ».
Sous le changement de sigle, c’est bien la destruction de l’accueil des élèves allophones que l’Éducation nationale organise.
Voilà le véritable « changement » qui s’opère sous couvert de concepts qui ne doivent plus nous tromper. L’« inclusion », ce concept miracle qui permettrait au jeune primo-arrivant de trouver naturellement sa place au sein du système scolaire : cette notion absurde, sous-entendrait-elle que cet élève était auparavant exclu dans la classe d’accueil ?
Les vidéos de propagande d’EDUSCOL[[ http://eduscol.education.fr/cid59114/ressources-pour-les-eana.html ]] nous ressassent « L’inclusion, c’est la solidarité ». Or c’est tout l’inverse qui se passe : on assiste à l’atomisation du groupe de confiance que constituait la classe.
L’Académie de Versailles est pilote dans l’application de cette circulaire. Les élèves allophones sont inclus dans une classe dite ordinaire pour en être sortis pendant certaines heures de cours.
On en constate les ravages :
➜ Les collègues se trouvent démunis face à une hétérogénéité toujours plus grande des classes dites ordinaires.
➜ Les élèves allophones peuvent être perdus au sein des classes dans lesquelles ils sont d’emblée inclus. Sans repères, certains sont même en souffrance réelle, sont moqués pour leur accent, leurs attitudes différentes.
➜ D’autres quittent le chemin de l’école faute d’y trouver du sens. Ceux-là mêmes que l’institution, dans ses « grands chantiers » et ses discours lénifiants qualifie de « décrocheurs ». Mais qui les a décrochés ? Qui les a exclus prétendant les « inclure » ?
➜ Le professeur de FLSco devient un « coordonnateur », qui doit se référer aux professeurs principaux de chacun de ses élèves. Il est aussi amené à faire le lien avec toutes les autres disciplines : autant dire toute la salle des professeurs !
➜ L’emploi du temps de l’UPE2A n’existe pas dans la mesure où il se superpose à celui de toutes les classes pour mieux s’y dissoudre. Il place l’élève comme l’enseignant devant un dilemme permanent : suivre la classe ordinaire pour mieux s’y « inclure » ou poursuivre l’apprentissage du FLSco dans l’UPE2A.
Appliquer la circulaire revient à vider de leur sens tous ses concepts ineptes : « Unité pédagogique », « Inclusion », « Parcours personnalisé », « Coordination ». Ces mots recouvrent de fait, une situation absurde et surtout nocive pour ces élèves, qui pourtant, nous portent vers l’avenir.
Dans certaines académies, les collègues ont mené la lutte contre cette circulaire à force de pétitions et autres actions collectives, alors que dans le même temps le ministre encensait le film de Julie Bertuccelli, La Cour de Babel.
Quotidiennement les discours hypocrites masquent, en plus de cette déstructuration de fond, un manque de moyens drastique tant au niveau des structures d’accueil que des personnels. ●
Silvine Tavard