L’explosion du chômage et du sous-emploi restera la marque
de ce quinquennat même si cette évolution est entamée
depuis une vingtaine d’années. Parallèlement, ceux qui ont un emploi
s’en disent insatisfaits. En cause, les salaires, trop bas sous la pression
du chômage et la nature des contrats, devenus majoritairement précaires
parmi ceux qui sont signés. Les politiques publiques,
inefficaces pour contrecarrer ces évolutions,
ont largement contribué à les accentuer. En jeu, le partage du temps
de travail dans sa version progressiste…
En 2012, plus encore qu’en 2007, la lutte contre le chômage reste la préoccupation majeure des Français. Et l’objectif, fixé en 2007, par le candidat Sarkozy d’abaisser le taux de chômage au-dessous de 5% apparaît comme une chimère. Non seulement, le chômage a fortement progressé, mais la précarité s’est étendue. La crise financière est loin d’être seule « responsable » de cette situation. Les politiques publiques menées depuis cinq ans, n’ont pas freiné ce mouvement, elles ont au contraire accentué la précarisation de l’emploi observée depuis une trentaine d’années.
Le plein emploi en miettes
D’après les derniers chiffres publiés par l’INSEE, le chômage frappe 9,8% de la population active fin 2011, soit près de 2,9 millions de personnes(1). Ces chiffres, issus de l’enquête Emploi de l’INSEE, dénombrent les chômeurs selon une définition internationalement reconnue, celle du Bureau international du travail (BIT). Cette définition est très restrictive puisque, pour être comptabilisé en tant que chômeur, il ne faut pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure, durant la semaine de référence de l’enquête. On peut donc parler de chômeurs « à plein temps ». On est très loin de l’objectif de 5% fixé par le candidat Sarkozy. Surtout que cet objectif a été défini à une époque où l’INSEE retenait un mode de calcul différent qui majorait d’environ un point le taux de chômage. Avec l’ancien mode de calcul de l’INSEE, le taux de chômage serait proche de 11%, soit plus de deux fois plus que l’objectif de Sarkozy. Lequel taux est d’ailleurs loin d’une situation de plein emploi. Qui peut se satisfaire d’une situation où près d’1,5 million de personnes seraient au chômage ?
En outre, la question de l’emploi ne se limite pas, aujourd’hui, au chômage. Depuis une vingtaine d’années, une proportion croissante de personnes en emploi souhaite travailler davantage. Le nombre de ces personnes en sous-emploi s’élève aujourd’hui à environ 1,4 millions. La définition et le mode de calcul du sous-emploi ont changé à plusieurs reprises, ce qui rend difficile l’analyse des tendances longues. A définition constante, on peut cependant estimer que le volume du sous-emploi a plus que doublé depuis le début des années 1990.
En se limitant à ces deux catégories – chômage et sous-emploi – on dénombre aujourd’hui 4,3 millions de personnes qui ont des difficultés d’emploi, soit plus d’un actif sur 7. Mais les difficultés par rapport à l’emploi ne se bornent pas à un besoin purement quantitatif. C’est ce qui explique, en partie, que le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi soit bien supérieur au nombre de chômeurs.
La dégradation
de la qualité de l’emploi
Fin janvier 2012, il y avait ainsi environ 5,3 millions de personnes inscrites à Pôle Emploi. Les deux statistiques ne sont pas comparables car tous les chômeurs (au sens du BIT) ne sont pas inscrits à Pôle Emploi et une proportion encore plus importante des inscrits à Pôle Emploi ne sont pas considérés comme chômeurs, notamment parce qu’ils ont exercé une activité dans le mois. Aujourd’hui, environ un tiers des inscrits à Pôle Emploi exercent une « activité réduite ». Ce pourcentage était de moins de 10% au début des années 1990. La qualité de l’emploi s’est ainsi considérablement dégradée depuis 30 ans.
Le premier motif d’insatisfaction des salariés par rapport à leur emploi est le salaire(2). En moyenne, les salariés estiment qu’ils devraient gagner plus de 400 euros de plus par mois… ce qui donne une idée du retard salarial considérable accumulé sous la pression du chômage. La précarité de l’emploi s’est aussi accrue avec l’intérim, les CDD et les emplois aidés. Depuis les années 1980, l’emploi intérimaire a été multiplié par 5, le nombre de CDD par 4 et les stages et contrats aidés par(3). Même si ces formes d’emploi restent minoritaires dans le stock des emplois, elles sont devenues le principal mode de recrutement des entreprises. En 2010, la proportion des embauches sur des CDD de moins d’un mois était de 64,1%, contre 48,3% en 2000, cette hausse provenant d’abord de la croissance très rapide des CDD ultra-courts (inférieurs ou égaux à une semaine), dont la proportion dans les embauches est passé de 29,7% à 46,2% entre 2000 et 2010. Enfin, les conditions de travail sont devenues, aussi, de plus en plus précaires.
Outre la question du chômage au sens strict c’est donc celle de la précarité qui est aussi à l’ordre du jour. Celle-ci désigne la faiblesse des revenus procurés par le travail (bas salaires), l’incertitude liée au caractère instable du statut d’emploi, ou le fait de placer les salariés dans des injonctions insoutenables pour tenir les objectifs de l’employeur. Chômage, sous-emploi, bas salaires, précarité des statuts et des conditions de travail : ces différentes formes de précarité se cumulent fréquemment, si bien qu’il n’est pas facile de dénombrer l’ensemble des personnes concernées par ces phénomènes. D’après les données publiées par le collectif ACDC en 2007, on peut estimer qu’au moins un tiers de la population active connaît soit le chômage, soit une situation de précarité (en termes de salaire, de statut, ou de conditions de travail). Ce qui signifie que si tous les salariés avaient le même risque face au chômage et à la précarité, chaque salarié y passerait, en moyenne, une année sur trois.
Des politiques publiques
qui jouent à contre emploi
La persistance d’un chômage massif a favorisé la dégradation des conditions d’emploi des salariés. Mais les politiques publiques censées lutter contre le chômage, non seulement ne l’ont pas fait reculer, mais ont contribué à développer l’emploi précaire.
Du côté des employeurs, les politiques d’exonérations de cotisations sociales ont été le principal levier de cette précarisation de l’emploi. Les exonérations de cotisations sociales sur les emplois à temps partiel, introduites en 1992, ont favorisé, dans les années 1990, l’essor de ces emplois et des salaires tout aussi partiels qui vont avec. Aujourd’hui, environ, un salarié sur six occupe un emploi à bas salaire et environ 80% de ces emplois sont à temps partiel. De même, les exonérations de cotisations sociales sur les « bas salaires » introduites à partir de 1993 ont nourri le développement de trappes à bas salaires. Conséquence : de plus en plus de salariés restent durablement soit au chômage, soit à bas salaire(4) ou une alternance des deux. Ces politiques devaient être pour les salariés concernés un marchepied vers l’emploi stable. Avec le recul du temps, il est clair qu’elles ont, au contraire déstabilisé la situation des personnes en emploi stable.
Du côté des salariés, les politiques publiques les ont encouragés à accepter ces emplois précaires et ont transformé la logique de certaines prestations sociales. Ces dispositifs conçus initialement pour apporter des compléments de salaire et construire un statut salarial protecteur sont devenus des substituts du salaire. Cela a favorisé la dégradation des conditions d’emploi par le développement du cumul entre allocations et salaire (en matière de chômage et de retraite), par les subventions directes aux salariés à bas ou très bas salaires (Prime pour l’emploi, Revenu de solidarité active).
Ces politiques publiques ont ainsi organisé la Réduction du Temps de Travail (RTT) sous sa forme libérale, au profit des employeurs dans le rapport de forces avec les salariés. Contrairement au discours idéologique des économistes libéraux, la question n’est pas en effet d’être « pour » ou « contre » la RTT. Le chômage, le sous-emploi, la précarité constituent de fait les formes les plus inégalitaires et violentes de RTT. Pour aller vers un plein emploi de qualité, il s’agit aujourd’hui d’organiser cette nécessaire RTT sous des formes collectives qui permettent à tous d’obtenir un emploi et un salaire suffisant pour vivre. ●
Pierre Concialdi,
chercheur à l’Institut de recherches economiques et sociales
1) Il s’agit du chiffre pour la France entière,
incluant par conséquent les chômeurs des DOM,
ce qui explique le décalage avec le chiffre de
2,7 millions généralement repris par la presse,
et qui ne concerne que la France métropolitaine.
2) P. Charnoz et M. Gollac, « En 2007, le salaire était
la première source d’insatisfaction vis-à-vis de l’emploi », INSEE Première, n° 1270, décembre 2009. http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1270/ip1270.pdf
3) « Les déclarations d’embauche entre 2000 et 2010 : une évolution marquée par la progression
des CDD de moins d’un mois », Acosstat, n°143, décembre 2011.
4) La notion de bas salaire correspond ici à une définition statistique, les salariés à « bas salaire » étant ceux qui perçoivent un salaire inférieur
aux 2/3 du salaire médian.