Il y a 30 ans déjà, la notion « d’école fondamentale » donnait lieu à une véritable guerre de tranchées syndicales ; reprise aujourd’hui sous le nom
« d’école du socle », elle continue d’opposer les partisans d’une scolarité concentrée sur les acquisitions dites « vitales » et ceux d’une école tournée vers une élévation globale et partagée du niveau de connaissances.
Mais la différence ne s’arrête pas là : sous prétexte de faciliter la nécessaire transition entre premier et second degrés, l’école du socle s’insinue peu à peu en imposant un rapprochement structurel entre les deux niveaux : au-delà de la conception de la scolarité, il s’agit aussi d’une remise en cause de la finalité de l’école et du rôle des personnels.
Si l’on considère que le parcours scolaire d’un individu est aussi celui de sa vie, le parcours éducatif qui l’aide à grandir et lui permet de se construire, alors il faut le considérer en termes de ruptures maîtrisées et d’évolutions nécessaires. Un élève de primaire tend à « passer » au collège, et ensuite au lycée. Figer la scolarité obligatoire en un bloc aspiré par le premier degré est à ce titre une erreur.
Sous prétexte de faciliter la liaison avec le premier degré, l’école du socle entérine donc la rupture entre le collège et le lycée, menaçant toute idée de poursuite d’études pour tous.
Ce renoncement est dans l’air du temps, préparé de longue date par la succession de rapports (Thélot, Grosperrin, Reiss…) qui accréditent la vision utilitariste de l’école que prône l’Union européenne à travers ses recommandations (compétences clés…).
Le rapport du HCE (octobre 2010) estime que « Dans la mesure où socle commun et scolarité obligatoire sont intimement liés, l’école primaire et le collège ont logiquement vocation à constituer un ensemble : « l’École du socle commun », d’une durée de neuf ans ».
Cela sous-tend une conception de la scolarité particulièrement sélective : l’école obligatoire, organisée autour du socle, prétend assurer une continuité pédagogique (grâce au LPC, outil numérisé qui permet de « tracer » l’élève au long de son cursus) et garantir l’acquisition de « fondamentaux ».
L’école non obligatoire fera donc toute la différence et marquera, pour ceux qui y accèdent, l’entrée dans le monde de la compétition…
**Le retour du certif ?
Puisque les finalités assignées à l’école sont utilitaristes, ses contenus s’en trouvent modifiés : la notion de discipline et celle de savoirs sont battus en brèche, et laissent place à des compétences générales ou transversales.
Les fondamentaux sont jugés prioritaires, de façon exclusive : tout ce qui relève des apprentissages sportifs, artistiques ou culturels sont considérés comme suppléments d’âme…
Cela participe d’une conception de l’école traditionnellement « de droite », qui impose un élitisme républicain pour certains, et une école du socle, lot de consolation, pour tous les autres.
C’est un moyen de se donner bonne conscience en parant les plus démunis d’un bagage scolaire minimal, mais c’est aussi la solution qu’a trouvée la classe dominante pour se rassurer sur une potentielle dangerosité de la classe laborieuse, si elle devenait trop marginalisée…
D’où la volonté aussi de doter cette école d’enseignements dits citoyens, et de les habiller de morale, fût-elle laïque.
**Mettre en œuvre, mettre au pas
La loi Peillon a prévu un Conseil commun école collège pour mettre en musique ce rapprochement des deux niveaux : cet outil peut servir à l’institution à assurer une réelle concrétisation de la porosité recherchée, tant en termes de contenus à enseigner, que de pratiques professionnelles ou de statuts des personnels.
Un tel Conseil constituera, en effet, une hiérarchie intermédiaire qui, sous couvert de pédagogie, fera régner une gouvernance des plus managériales.
Dans le cadre budgétaire contraint que nous connaissons, ce conseil représente un véritable effet d’aubaine puisqu’il peut imposer des échanges de services entre personnels (solution au problème des remplacements, ou même de recrutement dans le second degré… et pourquoi pas une réponse, grâce à la flexibilité des personnels, à la réforme des rythmes), et qu’il débouchera, de fait, sur une remise en cause des missions, des métiers et des statuts de chacun.
Si ce projet était pavé de bonnes intentions, un conseil identique serait mis en place entre le collège et le lycée : ce n’est pas le cas…
**Cycles : la meilleure
ou la pire des choses…
Installés par la loi d’orientation de 1989, les cycles ont été accueillis par les instituteur/trices « pédagos » comme une avancée dans la prise en compte de l’hétérogénéité des classes.
Les tenants de l’école libérale s’en sont très vite emparés pour promouvoir l’« égalité des chances » et l’économie de moyens induite par la fin théorique des redoublements.
Le fondement des cycles suppose acquise l’inégalité entre élèves, inégalité sociale que l’école se doit de corriger. L’école doit donc se donner les moyens de donner plus (de temps, de moyens, de méthodes…) à ceux qui ont le moins.
Les cycles devaient permettre une souplesse, non dans les objectifs à atteindre par tous, mais dans la façon de faire atteindre ses objectifs.
Il s’agissait, au minimum, de faire travailler les enseignant-es d’un même cycle ensemble, sous différentes formes : de la programmation continue du début à la fin du cycle dans des classes homogènes au niveau de l’âge des élèves, à la création de classes de cycle avec plusieurs âges dans la même classe en passant par des regroupements dans certains domaines.
Le traditionnel un maître/une classe dans le primaire, un prof/une classe/une discipline dans le secondaire pouvait être remis en cause – par la volonté des équipes – sans que les exigences en termes de contenus soient revues à la baisse.
Mais deux écueils se sont dressés. Les tenants de l’« école fondamentale » ont vu dans la création des cycles les prolégomènes de la mise en place de leur cause : utiliser les cycles pour instaurer une école qui ne transmet à une partie de la population que les compétences directement exploitables.
Ce ne sont plus les moyens mis en œuvre qui diffèrent, mais bien les objectifs et contenus à enseigner. Les plus libéraux de leur côté ont vu dans l’abandon du redoublement un moyen de faire des économies. Ce n’est plus parce que l’école fonctionnait mieux que les redoublements devaient disparaître, mais l’indicateur « redoublement » qui en baissant montrait une école moins coûteuse donc plus efficace !
**…une mise en place chaotique
Faute de réelle volonté politique, de véritable formation, les cycles ne se sont jamais réellement mis en place.
Un seul exemple pour montrer la complexité : le cycle II de l’école primaire (cycle des apprentissages fondamentaux) portait le potentiel le plus intéressant puisqu’on abandonnait l’idée que l’apprentissage de la lecture pouvait se faire en un an de date à date.
On considérait que les apprentissages de l’école maternelle pouvaient se poursuivre au-delà de 6 ans. Malheureusement, ce cycle, à cheval sur maternelle et élémentaire a, au contraire, tourné l’école maternelle vers des apprentissages non pas structurants (ce qui est normal), mais systématiques, donc contre-productifs.
Le retour d’un cycle unique pour la maternelle (soutenu par tous) montre que l’articulation entre structure et cycle est loin d’être résolue.
**La quadrature du cercle…
Les structures actuelles de l’école, maternelle, élémentaire, collège, lycée puis enseignement supérieur sont issues de l’histoire. Les statuts des enseignant-es, même s’il existe des passerelles, en sont la conséquence : instituteurs/profs d’école en primaire, profs certifiés (ou PEGC…) dans le secondaire.
La mise en place de cycles trans-structures ne peut pas ne pas avoir d’impact sur les structures elles-mêmes ou les statuts des personnels.
Le retour à un cycle unique pour toute l’école maternelle signe l’échec de cette idée. Pourtant, alors même que celui-ci est abandonné, on met en place un cycle à cheval sur l’école élémentaire et le collège en imaginant qu’il n’aura d’autre impact que pédagogique !
Le statut des enseignant-es est différent (obligations de service, enseignants polyvalents, enseignants disciplinaires…), la gestion est différente (supérieur hiérarchique dirigeant le collège, gestion matérielle communale d’un côté, départementale de l’autre…).
Et il faudrait que des élèves poursuivent des apprentissages communs de l’un à l’autre sans conséquences ! Qui peut le croire ?
Les réflexions sur les ruptures nécessaires aux élèves, sur une évolution positive des statuts des enseignants ne pourraient se concevoir que sur le temps long en concertation avec tous les acteurs. ●
Véronique Ponvert,
Jérome Falicon.