– Ecole Emancipée : Peux-tu nous décrire l’activité du MRAP dans les combats actuels contre le racisme et pour les droits humains ?
Le MRAP se réclame d’un antiracisme de proximité. Son action est centrée sur l’activité de ses quelque 80 comités locaux. Ils ont une large autonomie, donc leurs priorités ne sont pas forcément les mêmes, en fonction de leurs choix ou de leurs forces. Ce combat comporte de nombreux aspects. Promoteur de la loi de 1972 contre le racisme, le MRAP a une activité juridique pour soutenir les victimes de racisme ou de discrimination et poursuivre celles et ceux qui répandent ou pratiquent la haine. Mais le véritable travail de fond, qui peut influencer l’avenir de la société, c’est l’action éducative, surtout auprès de la jeunesse, partout où elle construit sa vision de la société, à l’école, dans les centres sociaux, à la PJJ, etc… La seconde partie de notre acronyme, l’Amitié entre les Peuples, désigne la solidarité internationale, celle des peuples, base indispensable du monde que nous voulons, qui trouve une application concrète dans la question des migrants.
– EE : Comment le MRAP, qui insiste sur son universalisme, se situe-t-il entre un antiracisme républicain qui oublierait les oppressions néocoloniales, ici et maintenant, et les tenants d’un antiracisme politique qui en font la base de la lutte ?
Le MRAP s’affirme en effet universaliste. Cela signifie d’abord que le racisme est indivisible, quels que soient les victimes et les auteurs. Il ne saurait y avoir de hiérarchisation entre des formes de racisme importantes, mineures, voire excusables. Il n’est pas pour autant question d’en faire une abstraction. Le racisme est divers dans ses formes, ses causes, ses manifestations, selon les sociétés et les moments historiques. Chaque forme doit être analysée et traitée concrètement dans sa complexité. Or certaines bonnes volontés antiracistes sont trop simplistes et mécaniques. Tu évoques par exemple le débat sur la question de « la république ». Cet idéal, né avec les Lumières et la Révolution française, est le projet d’une société composée de citoyens libres et égaux. Il a ensuite connu, comme toutes les utopies (le socialisme par exemple) sa « république réelle », avec sa boucherie de 14-18, sa répression du mouvement ouvrier, et bien sûr le colonialisme. Le MRAP est l’héritier de ceux qui ont combattu cette horreur historique qui pèse encore lourdement sur la société française. Elle est la cause de certaines formes du racisme actuel et sa dénonciation est un axe important de notre travail. Ce qui fait débat avec certain-es, c’est le refus de s’enfermer dans un seul aspect du phénomène raciste. L’héritage colonial ne saurait définir la globalité de ce phénomène, par exemple l’antisémitisme ou le rejet (qui reste le plus important) des Roms. Il ne saurait non plus expliquer la prégnance du racisme dans des pays sans passé colonialiste, comme la Hongrie ou la Pologne. L’universalisme du MRAP essaie d’inclure et dépasser les mobilisations sur un segment particulier de la discrimination et du racisme, lesquelles courent le risque d’une compréhension partielle de la réalité et d’une fragilisation des solidarités. On pourrait faire le rapprochement avec un phénomène familier dans le syndicalisme : le corporatisme. Oui, nous sommes toutes et tous des enfants d’immigré-es !
– EE : Pour s’opposer à la chasse aux migrant-es, aux montées du nationalisme et des extrêmes droites… Quelles initiatives afin de démultiplier et rendre visibles les résistances ?
La question des migrant-es est essentielle. D’abord parce qu’elle est un des grands drames actuels, avec ses milliers de morts et ses immenses souffrances. Ensuite parce qu’elle témoigne d’une vraie crise : pas celle des migrant-es, mais celle des pays d’accueil, à l’échelle mondiale. Une crise politique telle qu’un phénomène qui est objectivement, numériquement peu important, peut être manipulé au point de hanter les peuples et de déboucher sur les pires dérives. Plus généralement, on observe une poussée de nationalisme, ce qui relève de la même démarche : rejet de l’autre comme responsable de tout ce qui ne va pas, repli de chaque peuple sur lui-même. Mais tu as raison d’évoquer aussi les résistances. Il y a un vrai mouvement citoyen de solidarité avec les migrant-es, au-delà des forces organisées. Nous nous y impliquons et saisissons aussi toutes les occasions de démolir les peurs et les mensonges sur cette question. Ce qui est en jeu, c’est l’avenir d’un monde uni et fraternel fondé sur la liberté de circulation, conforme à notre conception des droits humains.
Propos recueillis par Bruno Dufour.
Jean-François Quantin, dans sa vie professionnelle d’actif, était enseignant et syndiqué à la FSU où il a siégé longtemps pour l’EE au Bureau national.
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