Le tueur en série norvégien Anders Breivik est venu bousculer toutes les images d’Epinal véhiculées sur la Norvège et les pays de l’Europe du Nord en général. Attentats commis par un homme qui se revendique du camp de la haine contre les étrangers et la « gauche », corrompue c’est vrai par le pouvoir. Hormis le scandale, minuscule scandale à la hauteur du talent de cet écrivaillon Richard Millet dû à son Eloge littéraire d’Anders Breivik, cette tuerie était-elle imprévisible ?
Les journalistes, les politiques et même les sociologues auraient dû prêter plus d’attention aux polars. Anne Holt, successivement inspectrice, reporter, avocate et…ministre de la Justice en Norvège, auteure de romans policiers à succès avait décrit le contexte social marqué par la montée des communautarismes. Ces replis autour de micro-identités fantasmées font la trame de Haine sous le couvert d’une enquête réalisée par son couple – le couple est à la mode, les valeurs familiales n’ont pas de fin – Yngvar Stubo et Inger Johanne Vik. Cette société a perdu, comme la plupart des pays occidentaux, la référence à des valeurs communes. En creux et sans jamais y insister, la destructuration des solidarités collectives est bien décrite, bien présente. Apparemment, les religions prennent le pas sur les différences sociales pour cacher un système de plus en plus inégalitaire qui provoque une crise de plus en plus profonde et la montée de l’extrême droite comme des intégrismes. Les uns répondant aux autres. Les thèmes sont les mêmes partout. Partout on retrouve des causes identiques. Avec raison – et l’intérêt est là – Anne Holt insiste sur les spécificités de son pays. Une véritable leçon de choses sociologiques mais gâchée par une écriture souvent relâchée, qui fait un peu trop la part aux émotions au détriment du polar. Elle a tendance à remplir le vide par du vide. Son succès montre que c’est un défaut d’époque.
Même ambiance et même défaut chez Elsebeth Egholm, United Victims qui nous fait passer de la Norvège au Danemark. La différence ne saute pas aux yeux. Le point de départ, une journaliste reçoit une vidéo. Un homme est décapité au sabre. Le message arrivera un peu plus tard mettant en cause la justice pas assez sévère. L’enquête en parallèle de la police et de la journaliste – elle transporte elle aussi un secret, un fils abandonné – met à jour des sociétés secrètes, des pédophiles tout autant que les unités antiterroristes agissant dans l’ombre avec des méthodes contestables et inefficaces. Elle insiste sur les attaques contre les libertés démocratiques. Là encore, elle appuie un peu trop sur les états d’âme de Dicte Svendsen, la journaliste, sans faire avancer l’action. Entrer dans la tête des personnages est un procédé qui a été abandonné par le polar. A juste raison. Il bloque l’imagination du lecteur. Comme souvent, mais c’est une peccadille, la fin est décevante. Par contre, la haine qui agite tous ces personnages est bien tangible et crédible jusqu’au psychologue menacé d’effondrement. Une haine due aux persécutions de la petite enfance par des parents abrutis par leur aliénation ou à cette manière de vivre qui est aussi la notre, marquée par l’abus d’alcool et de drogues diverses. La gangrène de la vengeance recouvre ce tout.
Carin Gerhardsen nous fait arriver en Suède. Le succès a souri – il faut bien de temps en temps faire la part aux clichés – à cette mathématicienne avec La maison en pain d’épices qui mettait en scène le commissaire Sjöberg et son équipe. Une sorte de tome 2 des aventures de ce commissariat, Hanna était seule à la maison (avec une intrigue dans l’intrigue qui sera le fil directeur vraisemblablement du tome 3 à paraître), une histoire de viol dont la victime est Petra Westman, une inspectrice de l’équipe. L’intrigue principale tourne autour de la pédophilie, des viols et maltraitances sexuelles subis durant la petite enfance. L’intérêt est dans la description des atmosphères autant familiales que sociales. Cette jeunesse se cherche, ne sait pas dans quel monde elle évolue, ne sait plus à quelles valeurs se référer et cherche dans l’alcool ou la drogue de quoi se régénérer ou oublier. Une charge contre une société qui ne sait rien offrir à sa jeunesse et manque cruellement d’avenir. Pour le reste, une enquête assez habituelle. Elle fait aussi parler la fillette de 3 ans, l’héroïne Hanna, d’une manière plus ou moins réaliste.
Nicolas Bénies
« Haine », Anna Holt, Points/Policier (Seuil),
première parution Le Serpent à plumes 2010, traduit par Alex Fouilles ;
« United Victims. Parents proches », Elsebeth Egholm, 10/18,
première parution Le Cherche Midi, traduit par Didier Halpern ;
« Hanna était seule à la maison », Carin Gerhardsen,
Fleuve noir, traduit par Charlotte Drake et Patrick Vandar.