La question de l’évaluation professionnelle est au cœur de la rentrée. Le ministère veut aller très vite sur ce dossier qui va largement au-delà de la seule évaluation.
En effet, parce qu’il ne veut pas d’une carrière linéaire déconnectée de la « valeur professionnelle », les « nouvelles » carrières enseignantes seront rythmées de moments clés créant des différences de salaire d’un-e enseignant-e à l’autre. En prônant « une meilleure reconnaissance de l’engagement de ceux qui s’engagent le plus, tout simplement », la ministre communique clairement sur la carrière au mérite.
Cette question aura des répercussions fortes pour les personnels. En termes d’impact pour les personnels, on pourrait faire un parallèle avec la réforme des rythmes scolaires… mais ici, le SNUipp a un profil d’opposition à cette réforme, et c’est une bonne chose.
Cet article a pour objet de décortiquer d’un point de vue technique les pièges, les dangers et les avancées potentielles de ce dossier.
1) Plus d’inspection mais des rendez-vous de carrière appuyés sur un bilan professionnel
Le ministère avait prévu que l’inspection actuelle soit remplacée par quatre rendez-vous de carrière (6ème et 8ème échelons, 9ème échelon et accès à la classe exceptionnelle) en 3 temps :
– Rédaction d’un bilan professionnel
– Visite en classe et entretien avec l’IEN
– Rédaction d’un compte-rendu par l’IEN.
La place donnée au bilan professionnel est doublement problématique puisqu’elle risque d’encourager les enseignant-es à une autopromotion sans limites et d’influencer l’IEN au moment de la visite.
Il serait peu compliqué par la suite de rendre la visite en classe progressivement optionnelle afin que ce rendez-vous de carrière se résume au seul entretien, sur la base de ce bilan professionnel, avec le supérieur hiérarchique. Un modèle de management et de RH qui ressemblerait beaucoup à celui de Chatel et à ceux mis en place dans le privé.
L’opposition très forte du SNUipp appuyée sur les résultats sans appel de la consultation menée auprès de la profession qui rejette le bilan professionnel, est susceptible d’entrainer des bougés. Le bilan pourrait être remplacé par un « guide pour l’entretien » sans rédaction et envoi préalable à l’IEN, ni trace dans le dossier administratif. C’est un premier pas qui ne peut suffire, il est maintenant nécessaire que ce guide d’entretien soit centré sur le métier.
2) 70 % des personnels seraient jugé-es pas assez méritant-es pour bénéficier d’une carrière rapide
Tou-tes les enseignant-es avanceraient dans la classe normale au même rythme, basé sur le choix actuel, à l’exception des 6ème et 8ème échelons où seraient programmés deux rendez-vous de carrière. Seuls 30% d’enseignant-es bénéficieraient à cette occasion d’une accélération de carrière d’un an. Ce choix serait laissé aux mains, plus ou moins directement, du/de la supérieur-e hiérarchique direct-e, l’IEN : l’appréciation portée au compte-rendu d’évaluation permettrait de déterminer les enseignant-es concerné-es. Arbitrage laissé ensuite au/à la Dasen pour établir le tableau d’avancement.
Au-delà d’une conséquence financière sur la carrière, ce système fait entrer l’avancement des enseignant-es dans une logique redoutable basée sur la seule évaluation de l’IEN. Il n’y aurait plus le filtre d’un possible barème, il n’y aurait donc aucune garantie d’un contrôle transparent en CAPD.
De plus, lors du second rendez-vous au 8ème échelon, il y a fort à parier que ce sera les mêmes enseignant-es qui bénéficieront à nouveau de l’accélération de carrière…
Parmi les propositions, les personnels pourraient contester l’appréciation de leur rendez-vous de carrière et saisir une CAPD de recours préalable à la CAPD promotion. Il ne s’agit plus d’une logique de respect de la règle commune mais d’une individualisation des rapports hiérarchiques.
Avec des opérations sans barème et avec avis prépondérant du/de la supérieur-e hiérarchique, la CAPD promotions serait réduite à une instance dans laquelle les élu-es paritaires n’auraient aucun poids réel.
3) Le passage à la hors classe ne serait pas garanti malgré la promesse d’un déroulement de carrière sur au moins deux grades
Suite aux exigences des organisations syndicales, notamment de la FSU, le ministère convient du principe qu’une carrière de PE doit se dérouler sur deux grades. Mais pour cela un slogan ne suffit pas. Il faut s’en donner les moyens et ce n’est pas le cas pour l’instant…
L’appréciation finale du 3ème rendez-vous de carrière, au cours de la 2ème année du 9ème échelon, permettra de déterminer le passage à la hors classe. Elle sera convertie en points et composera le barème avec l’ancienneté dans la classe normale à compter de la seconde année du 9ème échelon, moment où il est possible d’être promu-e à la hors-classe dans ces « nouvelles » carrières.
Mais avec ce barème, un-e PE au 11ème échelon, en fin de classe normale, n’a pas de garantie d’être promu-e. Pour garantir l’accès de tou-tes à la HC, avant un départ à la retraite, il faudrait a minima ajouter un bonus lié à l’échelon dans le barème.
Il faudrait porter à 15 000 le flux de promotions annuelles à la hors-classe (actuellement de 12 000) pour prendre en compte la structure du corps des PE et l’augmentation du nombre de promouvables. Sans cela, de nombreux-ses collègues, notamment les ancien-nes instits partiraient en retraite sans bénéficier de la garantie d’une carrière sur deux grades.
4) La création d’une classe exceptionnelle ne profiterait qu’à 2% des PE
Le troisième grade, la classe exceptionnelle, serait réservé à une petite élite, 10% du corps et seulement 2% pour l’échelon spécial. La réelle et conséquente revalorisation salariale ne serait destinée qu’à ce seul échelon…
80% des promu-es accéderaient à la classe exceptionnelle par l’exercice de certaines fonctions (exercice en éducation prioritaire, direction et conseiller pédagogique) et les 20% restants, sur leur seule « valeur professionnelle ».
Les modalités exactes de ce 4ème rendez-vous de carrière ne sont pas encore définies mais on peut d’ores et déjà penser que la visite en classe sera remplacée par une liste d’aptitude validée par les IEN et le/la Dasen.
Ce grade constitue un outil managérial fort qui conduira à des carrières différentes selon les parcours professionnels.
L’opposition à ce grade ne fait pas débat dans le SNUipp – à l’inverse visiblement du SNES.
5) Les inégalités dans le déroulé de carrière diminueraient-elles ?
Le déroulement de carrière des personnels en début de carrière va certainement gagner en homogénéité, même si au final la carrière moyenne sera allongée de 6 mois par rapport à aujourd’hui.
On peut dire que les deux années de différence de carrière au sein de la classe normale sont, de fait, une avancée en termes d’égalité.
Par contre, le 3ème rendez-vous de carrière va avoir une incidence forte sur le déroulé des carrières et l’écart salarial entre les personnels.
La valeur de l’appréciation de ce rendez-vous permettrait à certain-es d’être promu-es dès que possible, au bout de 2 ans au 9ème échelon de la classe normale, tandis que d’autres devraient « patienter » jusqu’au 11ème échelon. Entre les deux, il pourrait y avoir jusqu’à 9 années d’écart, sur la base d’une seule évaluation de l’IEN. Le poids du/de la supérieur-e hiérarchique direct-e dans le déroulé de carrière se renforce donc énormément.
Le 4ème rendez-vous de carrière crée une injustice inédite dans la profession, marquée par un pyramidage à 10% du corps (et à 2% pour l’échelon spécial, le seul financièrement intéressant), une entrée réservée à certaines fonctions ou lieux d’exercice, et à l’extrême valorisation du « mérite ».
D’ailleurs, il y a fort à parier que les enseignant-es qui auront déjà bénéficié de l’avancement accéléré aux 6ème et 8ème échelons, d’un passage rapide à la hors-classe seront celles-ceux qui bénéficieront également de la classe exceptionnelle. La création d’une petite « élite » en somme.
6) Quels « gains » financiers dans tout cela ?
Actuellement, la différence de carrière théorique entre la carrière d’un-e enseignant-e toujours promu-e au grand choix et celle d’un-e collègue toujours promu-e à l’ancienneté au bout de 39 ans de carrière une fois atteint le 7ème échelon de la hors classe conduit à une différence de rémunération sur l’ensemble de la carrière de 30 792 €.
Demain, cette différence serait de 14 950 € entre un-e collègue dont la carrière avance vite et un-e autre lentement.
Avec la création d’un 3ème grade, celui ou celle qui aura eu la carrière la plus rapide et l’indice terminal de ce grade (les « fameux 2% ») touchera une différence de rémunération sur l’ensemble de la carrière de 110 439 € comparé à celui ou celle qui aura une carrière plus lente et s’arrêtera à la fin de la hors-classe.
En guise de conclusion
Cette réforme supprimerait la note vécue comme infantilisante, pour autant elle ne serait pas un progrès, loin de là. Elle renforcerait le management et la place du/de la supérieur-e hiérarchique, réduirait le paritarisme et déplacerait vers la fin de carrière les inégalités de salaires.