Un nouvel outil, le Plan d’Accompagnement Personnalisé (PAP), visant à résoudre les difficultés des élèves dits « dyslexiques » vient de paraître. Malgré la position complètement acritique du SNUipp-FSU envers ce PAP, plusieurs problèmes sont posés par son instauration.
Trouble des apprentissages ?
En premier lieu, ce plan s’adresse à des élèves dont les « difficultés scolaires durables » résultent d’un « trouble des apprentissages ». Cette expression politiquement correcte désigne l’ensemble des « dys » dont la liste et le nombre ne cessent de s’allonger depuis la loi de 2005 qui a entériné ces « troubles » dans leur version médicalisée. Si le terme de « dyslexie », quand il est apparu, ne portait pas en soi de visée médicale, puisqu’il signifie simplement « difficulté d’apprentissage de la lecture », c’est son association avec le concept anglo-saxon de « trouble » qui pose clairement problème.
C’est du développement des neurosciences que vient cette idée. Non que les neurosciences en elles-mêmes le porte. Elles ne font qu’observer, en laboratoire et par des moyens de plus en plus sophistiqués la « mécanique » du cerveau.
Ce sont plutôt les conclusions normatives tirées de ces recherches qui présentent de graves dangers. Dans les laboratoires NeuroSpin, Stanislas Dehaene, grand ponte des neurosciences cognitives, n’hésite pas à faire entrer dans des tunnels d’IRM des enfants au cerveau dit « normal » pour définir le normal et le pathologique dans le rapport à l’écrit. De tous temps, les tenants d’une hiérarchisation des groupes humains ont fait appel à la science pour prouver leurs théories délirantes et nauséabondes. On se souvient de la phrénologie qui, à l’époque du positivisme triomphant, prétendait mesurer l’intelligence en observant les cranes. On se souviendra aussi des « recherches » pratiquées pendant la seconde guerre mondiale…
Et même quand la « science » ne trouve rien de concluant (rien n’arrête la science comme « rien n’arrête l’inconscient » comme disait Lacan), ne supportant pas l’inexpliqué, elle invente des concepts qui se définissent par défaut. Ainsi, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit la dyslexie comme étant « une difficulté durable d’apprentissage de la lecture et d’acquisition de son automatisme chez des enfants intelligents, normalement scolarisés, indemnes de troubles sensoriels et de troubles psychologiques préexistants ». Des enfants « intelligents », « normalement scolarisés » ? Bref !
En attendant de trouver d’autres étiologies aussi romantiques, il faut réfléchir à la cause de ces élucubrations.
Médicalisation
Tout bon pédagogue s’interroge avec raison sur les causes de ses échecs. Une solution de facilité est donc de les trouver hors de son propre champ d’action, c’est rassurant. L’institution scolaire, grande productrice d’échec scolaire, fonctionne exactement de la même manière : elle renvoie au médical (Fijalkow, 2000), ce qui l’exonère de sa propre remise en question.
Pour les parents, et même les enseignants, l’origine médicale de la « dyslexie » s’est imposée comme une évidence. Or, et ce malgré le lobbying des tenants de la « dyslexie neuro développementale » (Ramus, Colé, Sprenger-Charolles, Habib) cette notion n’a rien d’incontestable. C’est ce que révèle une étude anglo-américaine très récente de J. Elliott et E. Grigorenko (The dyslexia debate, 2014). D’après ces deux chercheurs, reconnus par le courant « neuro » comme étant « fiables », le concept de dyslexie n’aurait aucune validité scientifique. C’est d’ailleurs pourquoi l’Institut Français d’Éducation (IFÉ) prenait déjà ses distances avec la dyslexie en septembre 2013, rappelant qu’elle restait une hypothèse.
On sait que la difficulté récurrente du système scolaire français, c’est qu’il ne sait pas réduire les inégalités socio-économiques, il fait même le contraire (PISA 2012). Même si la corrélation n’est pas systématique – et bien heureusement puisqu’on est sur de l’humain – les élèves que l’école ne fait pas réussir sont originaires des classes sociales les plus dominées.
Pour la FSU, deux préambules sont clairement définis : l’éducabilité de tous, autre façon de dire « tous capables » et le droit à l’éducation, qui s’applique à tous et en particulier à ceux qui ont besoin d’adaptations pour que ce droit soit effectif.
Ce « tous capables » a deux conséquences. La première, c’est que quand on parle de « difficulté scolaire », il s’agit bien de la difficulté de l’école à faire réussir tous les élèves, c’est-à-dire de leur donner les outils pour collectivement et individuellement s’émanciper de l’oppression de la classe dominante. La seconde en découle : l’école, seule responsable de sa réussite ou de son échec, doit être son propre recours. Elle doit donc se transformer, notamment dans son rapport à la norme scolaire si, comme l’entend la FSU, elle veut changer la société.
Économies de moyens, déprofessionnalisation
Dans la pratique, ce PAP se construit à la demande de la famille ou des enseignants mais requiert l’avis d’un médecin. Si le médecin scolaire est censé le valider, il y a fort à parier, compte tenu du manque de médecins scolaires sur le terrain, qu’il ne fera qu’entériner ce diagnostic externe. Par ailleurs, il y a fort à parier aussi que le diagnostic s’accompagnera, comme c’est le cas bien souvent aujourd’hui, notamment à la demande des parents, d’une série de prescriptions pédagogiques ou orthophoniques. La « prescription » se fera donc à l’extérieur… l’école devant s’« adapter ».
Quand on lit les conseils donnés aux enseignants dans le PAP, deux constats interrogent d’emblée. D’une part, les gestes professionnels considérés comme « spécifiques » aux élèves dyslexiques sont en fait pour la plupart des gestes « génériques » (Dunand, Feuilladieu, 2014) que la plupart des enseignants mettent en pratique dans le cadre de la différenciation pédagogique. D’autre part, quand on sait que ce sont essentiellement les enfants de milieux sociaux « favorisés » qui bénéficient d’aménagements liés à la dyslexie, on se dit que ceux qu’on appelle les « faibles » lecteurs, issus de milieux défavorisés bien souvent, ne bénéficieront pas de l’injonction portée par le discours médical. Ils ont toutes les chances de rester « les oubliés » du traitement de la difficulté scolaire. Au mieux profiteront-ils de la bonne volonté de l’enseignant-e d’étendre les aménagements demandés pour les « dys ». Ou alors ils seront « orientés » vers le RASED, qui pourrait bien devenir le dispositif du traitement de la difficulté scolaire pour les « pauvres ».
C’est en se penchant donc sur le détail des recommandations du PAP qu’on commence à entrevoir le mépris, la non reconnaissance professionnelle, voir l’imbécilité crasse des technocrates qui écrivent ces textes. Inutile de faire un long florilège, mais voici quelques préconisations :
– En maternelle : « Visibilité et clarté des affichages », « Accepter des modes d’expressions spécifiques de l’élève (mots, gestes, etc.) »…
– En élémentaire : « Surligner les énoncés ; surligner une ligne sur deux », « Évaluer les progrès pour encourager les réussites », « Laisser compter sur les doigts »…
– Au collège : « Utiliser le surligneur », « Donner moins d’exercices à faire »… tout ça est quasiment révolutionnaire !
Ces adaptations doivent être établies, à partir des préconisations, mais ce n’est pas fermé (on peut toujours trouver plus ridicule, sans doute) par le directeur ou le chef d’établissement après avoir réuni l’équipe éducative !
Il ne faut donc pas demander des moyens pour mettre en place ce PAP, ce PAP est lui-même un outil pour économiser des moyens, d’un côté en vidant les RASED d’une partie de leur public en externalisant et médicalisant l’aide ; de l’autre, en rendant l’accès à la MDPH inutile, donc, en traitant le « trouble » sans les moyens accordés au handicap.
C’est donc résolument que nous devons nous opposer à ce nouveau dispositif, pas « en l’état » mais sur le fond et « poursuivre la réflexion sur cette problématique des troubles spécifiques des apprentissages, de même que celle sur la distinction entre situation de handicap et grande difficulté scolaire », comme nous y invitent les mandats du SNUipp-FSU.
[/Pascal Prelo, Jérôme Falicon/]