Il y a un avant et un après les attentats des 7 et 9 janvier. La violence des assassinats à Charlie et au supermarché casher a plongé le pays dans une profonde compassion, au sens propre, poussant chacun-e à « souffrir avec », à s’identifier aux victimes, à être Charlie au-delà des différences, certain-es se prétendant policier-e, musulman-e, juif-ve, tou-tes Charlie, endossant tour à tour ou simultanément les identités multiples des victimes. C’est ainsi par millions que les citoyen-es de ce pays ont voulu exprimer leur refus de toute atteinte aux libertés.
Au sein des manifestations citoyennes, nous étions nombreux-ses à défiler en hommage aux victimes du terrorisme, pour la liberté d’expression, contre l’antisémitisme, contre toute islamophobie, contre le tout sécuritaire, pour qu’on prenne enfin au sérieux l’abandon des quartiers populaires et l’exigence d’égalité.
L’état de notre société avant ce séisme pouvait laisser craindre une autre réaction construite sur le terreau de l’extrême droite. Et la, point d’expression populaire anti immigrée, anti musulmane, anti solidarité dans les manifestations…
Pour autant, la volonté d’instrumentalisation par le gouvernement de ce mouvement largement spontané, les appels à l’unité nationale et la présence de dictateurs et des bourreaux du peuple palestinien, dénoncés à juste titre par beaucoup, annoncent une volonté de mettre en place des mesures liberticides auxquelles il faudra s’opposer.
Gageons que ce mouvement-là a réuni sur des valeurs humaines et qu’il sera un socle important pour faire échec à l’extrême droite et à tous les racistes le moment venu…
Mais, l’avant Charlie n’a pas disparu au soir du 11 janvier, le rassemblement n’ayant pas apporté les réponses aux maux de notre société. La violence n’est pas que le fait des terroristes : elle est institutionnelle aussi dans le traitement qu’elle réserve aux exclus du pacte social, du monde du travail, de l’accès aux droits élémentaires. Elle est aussi le fait de la crise qui plonge des populations entières dans une pauvreté et une désespérance grandissantes. Elle est ordinaire, quotidienne : les politiques libérales sévissent toujours, les mesures d’austérité n’ont pas été abandonnées, les injustices sociales sont toujours de mise. De ces violences, et de celles qui sont perpétrées sur la scène internationale lors de guerres sans merci, se nourrissent les incitations à la haine sur fond d’intégrisme religieux. Mais c’est aussi ce qui permet aux discours populistes d’emporter l’adhésion, aux idées d’extrême droite de prospérer, et aux politiques sécuritaires et liberticides de tout bord de trouver preneur dans l’opinion publique. Mais aussi par une poussée de violences racistes, à l’encontre d’une communauté jugée « coupable ». Ou encore, en retour, par une montée de la haine de la population discriminée.
Alors en effet, les priorités ne sont plus tout à fait les mêmes, mais la société n’a pas basculé dans une même communauté d’idées, loin s’en faut. L’oublier serait ouvrir la porte à de nouvelles régressions. ●
Véronique Ponvert