Voici deux articles de Daniel Schneidermann sur le sujet, lus sur le site Rue89 :
**Sur l’idée de la prime de 1.000 € :
[(On pourrait croire que ça va de soi, mais il semble que non. Il faut donc le répéter : la prime de 1.000 euros payée par les entreprises qui font des bénéfices, vous ne la toucherez jamais. Ni vous, ni personne. C’est un mot, du vent, un slogan, de la politique virtuelle, rien du tout.
Vous pensez bien, comme les patrons vont s’empresser de voler au secours d’un pouvoir en perdition, en faisant ce cadeau à leurs salariés. Mais elle ne sert pas à être payée. Elle sert à faire du bruit, de l’agitation, à remplir du temps d’antenne.
Si elle indigne le Medef, et inspire au Figaro quelques unes offusquées, c’est encore mieux : le gouvernement apparaît ainsi comme l’allié des petites gens, des salariés en quête tellement légitime d’augmentation de leur pouvoir d’achat, contre les méchants patrons. Parfait. Banco. C’est de la « téléconomie », comme il y a de la « télécologie ». Et quand je dis de la téléconomie : c’est aussi de la radioconomie.
Et tous les journalistes de la radio et de la télé, qui (des enquêtes sérieuses ont été effectuées) n’ont pas moins de neurones que vous et moi, le savent comme tout le monde. La question, la seule, vertigineuse, est donc : mais pourquoi font-ils semblant ?
Tiens, Hélène Jouan, ce vendredi matin, sur France Inter, répétant plusieurs fois au patron de FO, Jean-Claude Mailly : « Mais c’est mieux que rien, cette prime, non ? ». Bonne journaliste, Hélène Jouan, pas dupe, sceptique, indépendante, habituée à décrypter, on ne la lui fait pas. Alors ?
Il s’agit en effet de signifier au public que vous ne pensez nullement ce qu’on pourrait penser que vous pensez, et il en reste un halo, un vague souvenir, le vague sentiment que cette prime de 1.000 euros pourrait avoir, un jour lointain mais plausible, un début de commencement de réalisation. Bref, on vous prend pour des billes (…)
Au-delà, cette proposition soulève deux grandes difficultés qui font sérieusement douter de son application :
– elle revient d’abord à introduire une nouvelle inégalité, dans un pays qui n’en manque pas, cette fois entre salariés : entre ceux qui ont la chance d’appartenir à une entreprise versant des dividendes et tous les autres. Parmi ces derniers, évidemment l’ultra-majorité (plus de 80%) des TPE et PME mais aussi de nombreux grands groupes.
Ainsi, l’an passé, Renault, PSA ou encore EADS n’ont versé aucun dividende. Une pensée pour les salariés d’Alcatel qui, dans ce dispositif, n’auraient reçu aucune prime depuis 2003, le groupe n’ayant versé aucun dividende sur la période ;
– la proposition entretient enfin une confusion grave entre revenus et salaires, et le rôle économique clé de ces derniers. Bien entendu, il existe des sources multiples de revenus complémentaires : réductions ou services gratuits réservés aux salariés, plans de participation et d’intéressement, primes de résultat…
S’ils sont toujours bienvenus, ils ont néanmoins un caractère temporaire et incertain. Impossible de les intégrer dans le calcul d’une acquisition ou d’un prêt, de les utiliser pour justifier de ses revenus dans une location… C’est bien la grande différence avec les salaires, un engagement contractuel garanti sur un niveau de rémunération en échange d’un travail et d« un effort.
La logique est radicalement différente de l’actionnaire qui dépend des résultats incertains et variables. L’idée de l’actionnariat salarié brouille cette frontière et entretient la confusion. Une prime liée aux dividendes va exactement dans le même sens, banalisant le rôle des salaires.
Mais on l’a compris, ce n’est plus là l’important. Nous sommes entrés en période (pré- ?) électorale et la course aux promesses est lancée. Qu’importe alors de confondre profits et valeur ajoutée, salaires et revenus, CAC 40 et PME…)]
**Sur la contre-réforme de l’ISF :
[(C’est étrange : de cette autre prime, on parle nettement moins. Elle est pourtant plus généreuse que laprimedemilleeuros. Cette fois, l’Etat n’a pas lésiné.
Cette prime discrète se monte à 160.000 euros. C’est le montant de l’économie que réaliseront quelque 1.900 foyers fiscaux déclarant un patrimoine de plus de 16 millions d’euros, grâce à la réforme prévue du barême de l’ISF. Entre 2,5 et 4 millions de patrimoine, la prime sera un peu moins généreuse : 5.500 euros. Entre 1,3 et 2,5 millions, elle sera carrément mesquine : 1.700 euros.
Les calculs sont de l’économiste Thomas Piketty, cité par le blog du Monde, Contes publics. Piketty est par ailleurs le concepteur d’une vaste réforme fiscale inspirant le projet socialiste, et l’inventeur d’un joujou que vous connaissez certainement déjà, et sur lequel chacun, depuis quelques mois, peut s’amuser à calculer le montant de ses impôts dans tous les systèmes possibles.
L’incompréhensible silence du gouvernement…
Pourquoi en parle-t-on moins ? Bizarre ! Logiquement, le gouvernement devrait communiquer. Voilà une belle et bonne réforme, celle de l’ISF, qui contrebalance la piteuse capitulation sur le bouclier fiscal. Une belle et bonne réforme, qui va enrayer la fuite à l’étranger des cerveaux, des talents, des emplois, des forces vives et qui, au total, profitera à la croissance, laquelle générera des emplois et une hausse du pouvoir d’achat. Baroin, Lagarde, devraient se succéder aux micros d’Aphatie et d’Elkabbach pour s’en féliciter. Bizarre.
Même Le Figaro est discret. Le journal devrait pourtant se féliciter de cette mesure sociale qui réjouit le cœur de son lectorat. Il avait une occasion en or : il est allé rendre visite à Liliane Bettencourt. Une visite pleine de sollicitude.
« Comment vous portez-vous ? »
« On vous a vue assister à des collections de couture, et participer à des manifestations. Aimez-vous toujours sortir et voir des amis ? »
« Vous avez également pu retrouver vos petits enfants… »
« Avez-vous régularisé votre situation avec l’administration fiscale ? »
Que des questions délicates et attentionnées. Mais hélas, la question qu’eût dicté l’actualité, la seule, n’a pas été posée :
« Le gouvernement va supprimer le bouclier fiscal, qui vous avait permis de vous faire rembourser 30 millions d’euros en 2008. Vous avez dû en concevoir du chagrin, voire de la déception. L’allègement de l’ISF vous a-t-il consolée ? »
Incompréhensible pudeur…)]