« La statistique est au statisticien ce que le réverbère est à l’ivrogne :
elle sert plus souvent d’appui que d’éclairage ». Cette maxime,
que l’on pouvait lire sur un mur du service des études et des statistiques de l’ancienne direction générale de l’ANPE, n’est pas sans fondement.
En France, deux sources d’information concernant la statistique
de l’emploi existent et ce n’est qu’en les confrontant
que l’on touche la réalité.
Une des missions de Pôle emploi, est de produire des données chiffrées sur le marché du travail et le chômage indemnisé, pour l’Etat et l’UNEDIC. C’est sur celles-ci que le gouvernement s’appuie pour communiquer chaque mois sur le taux de chômage en France. Les dernières font état d’une hausse de 3 % sur un an du nombre de chômeurs, portant leur nombre à 2 780 500 personnes à fin septembre 2011, chiffre jamais atteint depuis plus de 10 ans. Mais cette donnée est loin de la réalité, car elle ne comptabilise que la seule catégorie A, c’est-à-dire le nombre de demandeurs d’emploi en France Métropolitaine n’ayant exercé aucune activité. Ne sont donc pas considérés comme chômeurs les personnes résidants dans les DOM et celles exerçant une activité réduite (ne serait-ce que quelques heures par semaines). En additionnant les catégories A, B et C, leur nombre est porté à 4 441 600 (DOM compris). Chaque trimestre, l’INSEE publie une statistique à partir de l’enquête emploi. L’intérêt de cette étude est qu’elle mesure le chômage, mais aussi le sous-emploi selon des concepts internationalement reconnus. Il convient donc de confronter la statistique de Pôle emploi à celle de l’INSEE pour avoir une vision fine de l’état de l’emploi en France.
Le Collectif ACDC
« Autres Chiffres du Chômage »
C’est exactement l’objectif que se sont fixés des syndicalistes de Pôle emploi, de l’INSEE et de la DIRECCTE(1) lorsqu’ils ont décidé de créer le collectif ACDC.
Dans sa dernière étude, produite en septembre 2011, portant sur les flux d’entrée et de sortie du chômage, ACDC démontre qu’il y a moins de retour vers l’emploi et plus de sorties « administratives ». Cette conclusion s’impose au regard de quatre constats :
– La précarité de l’emploi est aujourd’hui le principal motif d’entrée sur les listes de Pôle Emploi. En juillet 2011, 53,6 % des inscriptions faisaient suite à la fin d’un CDD ou d’une mission d’intérim, contre 49,6 % un an plus tôt. Cette hausse reflète la montée des contrats courts (CDD de moins d’un mois) qui sont désormais devenus le mode privilégié de recrutement des entreprises (61,8 % des embauches début 2011 contre 46,6 % début 2000).
– Sortir des listes de Pôle Emploi signifie de moins en moins retrouver un emploi. C’était le cas de moins de 45 % des chômeurs en 2010 (contre 51 % en 2008). Ce taux de reprise d’emploi est le plus faible enregistré au cours des dix dernières années. Et l’emploi retrouvé est de moins en moins un emploi stable. La part des CDI dans les reprises d’emploi était de 30,6 % en 2010, en diminution régulière depuis 2001-2002 (36,2 %).
– En fait, de plus en plus de sorties de Pôle Emploi sont le fruit de décisions administratives. La part des radiations administratives et des « absences au contrôle » dans les motifs de sortie a atteint aujourd’hui un niveau record, en hausse quasi constante depuis près d’un an.
– Les bouleversements organisationnels de Pôle emploi, influent sur les données statistiques que l’établissement public fournit. En juillet 2011, le nombre de radiations administratives a augmenté de 25 % en un mois et la « dématérialisation » des courriers pourrait y avoir une bonne part. On avait constaté dans la première année d’existence de Pôle emploi une croissance, sans diminution depuis, des inscriptions pour «autres motifs ». Mais sur les nombreux rapports parus en 2011, sur le résultat de la fusion de l’ANPE et des Assédic, seul le rapport du Sénat aborde brièvement cette mission, à travers la question de l’échelle des sanctions des demandeurs d’emploi. Cette absence marquée d’intérêt pour la qualité de ces chiffres contraste singulièrement avec l’usage médiatique qui en est fait.
La profondeur de la crise économique que nous traversons, avec des prévisions de croissance très faibles, ne va pas améliorer cette situation. Au contraire, les projections de l’INSEE portent le taux de chômage à 9,7 % de la population active (DOM compris) en fin d’année, contre 9,6 % actuellement. ●
Emmanuel M’hedhbi, SNUTEFI-FSU
1) Directions Régionales des Entreprises,
de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi