La rigueur salariale est la ligne de conduite du patronat et des différents gouvernements depuis 25 ans. Au nom de la compétitivité, de la concurrence, du maintien de l’emploi, la pression sur les salaires n’a cessé de paupériser le salariat dans son ensemble.
L’exemple de la répartition de la valeur ajouté l’illustre : la part des salaires dans la richesse créée a diminué de près de 10 points depuis 1983. Pour la Fonction publique, avec la baisse de la valeur du point d’indice (-13 % par rapport aux prix entre 2000 et aujourd’hui), ce sont tous les salaires des fonctionnaires qui baissent.
Les différents gouvernements théorisent le fait que le point d’indice ne doit pas suivre l’évolution des prix et, au prétexte de la crise, reconduisent d’année en année le gel du point d’indice décidé en 2010. C’est ce mécanisme qui affaiblit pour l’essentiel les salaires.
Ce choix politique va de pair avec les mécanismes d’accentuation de l’individualisation des rémunérations, de la rémunération au mérite et de la précarisation. Hier au nom du « travailler plus pour gagner plus », aujourd’hui au nom de la lutte contre les déficits.
**L’individualisation
toujours à l’œuvre
Ces mécanismes d’individualisation (recours aux heures supplémentaires, politique indemnitaire, intéressement collectif lié à la performance, mérite…) deviennent la règle dans la Fonction publique.
La mise en place de la GIPA l’illustre : le maintien du pouvoir d’achat doit être mesuré à l’aune de la carrière de chacun et non à l’évolution du point d’indice commun à tous. Cette politique salariale a des répercussions, bien entendu sur les pensions.
La part des primes augmente régulièrement. Elles représentent globalement 23 % des traitements indiciaires dans la fonction publique d’État.
Le taux le plus faible est de 8 % (les enseignants notamment) et le plus élevé de 68 % pour les ingénieurs des grands corps, 64 % pour les personnels de direction. C’est ce qui fait la différence en termes de rémunérations entre fonctionnaires de même catégorie.
Cette logique, qui se construit bien entendu contre la grille indiciaire, répond aux besoins de diviser les personnels dans la conception libérale qui ne conçoit pas d’autres moteurs que la mise en concurrence, la pression et la baisse tendancielle des dépenses.
Elle a atteint son paroxysme avec la création de la Prime de Fonction et de Résultats (PFR) à partir de 2009 mais se poursuit avec la non-réforme engagée par le gouvernement Ayrault qui lance son Indemnité de fonctions, d’expertise et d’engagement professionnel (IFEEP)
Malgré des grilles qui ne distinguent plus les sexes, notre combat pour l’égalité salariale entre hommes et femmes est mis à mal par ce poids de l’indemnitaire et des heures supplémentaires qui profitent avant tout aux hommes, par la reconnaissance difficile des qualifications de métiers très féminisés : infirmières classées en « petit A », assistantes sociales en NES…
**Plus actuels que jamais
L’augmentation du point d’indice, qui reste le premier combat, est la grande absente, une fois encore, des négociations en cours et cette absence de perspectives collectives entraîne des dérives, des replis catégoriels vers des solutions qui paraissent plus accessibles et qui sont bien en deçà des mandats unifiants fédéraux.
Par exemple, le SNES revendique le doublement de l’ISOE (indemnité de suivi et d’orientation des élèves) « en attendant »…au lieu d’une réelle bataille pour les 50 points pour toutes et tous…
La tentation est grande au SNUipp de réduire la bataille nécessaire pour l’augmentation des traitements à une meilleure ISAE (indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves)
Bien sûr, parallèlement, c’est la réduction de l’indemnitaire qui est en jeu puisque c’est sur son rôle croissant dans le traitement (tandis que diminue le poids de l’indiciaire) que reposent les différenciations salariales de plus en plus importantes et opaques.
En toute logique, il y a un combat à mener pour une « égalité » de l’indemnitaire dans et entre les corps et les FP ainsi que son intégration dans le traitement indiciaire en réduisant au maximum sa part.
La reconstruction des grilles, dans la bataille globale pour la valeur du travail salarié, est essentielle. Asseoir notre réflexion fédérale sur le SMIC, porté à 1700 euros net comme minimum de traitement, est, d’une part, une affirmation de l’unité du salariat contre le piège de l’opposition privé/public mais, d’autre part, une façon de porter le débat sur le fait que le salaire doit assurer au moins, à celles et ceux qui vendent leur force de travail, des conditions de vie confortables et non une réponse au strict minimum.
Finalement, la question qui se pose à nous, plutôt qu’un minimum Fonction publique à 120 % du SMIC, serait de savoir si 1700 euros permettent effectivement les conditions de vie auxquelles nous aspirons pour tous.
**Une grille pour les unir tous
Au contraire de ce que l’on retrouve dans le rapport Pêcheur, cette reconstruction doit aussi permettre d’une part, l’accès de tout un corps aux grades terminaux, mais aussi la réduction de l’éventail des traitements indiciaires (pas de hors classes, hors échelles et autres GRAF…).
D’autant qu’avec les échelons spéciaux qui ne sont accessibles qu’à certains dans un corps ou qu’à certains corps, ce sont avant tout les fonctions d’encadrement, largement attachées au management par les résultats, les chiffres et la mise en concurrence, qui sont valorisées.
S’il va de soi que le rapprochement des pieds de grilles C, B, A sous l’effet du gel du point d’indice est inadmissible, une aspiration à des écarts limités reste tout à fait pertinente, de même qu’une évolution de carrière propre à chaque catégorie qui prendrait en compte les acquis de l’expérience, de même que les besoins réels de chaque âge (débutant ou fin de carrière).
L’existence même de la catégorie C est mise en question par des mandats de syndicats nationaux de la FSU. Vaste problème dans lequel il faut reconnaître que les tâches d’exécution stricte sont rares, que des agents classés en C exercent souvent des responsabilités de B.
Mais il faut aussi garantir l’accès des personnes qui ne possèdent pas le diplôme du bac à la Fonction publique dans un cadre statutaire, contre la multiplication des situations « contractuelles » ou de précarité.
C’est un enjeu dans notre refus de participer à la fuite en avant qualification/diplôme/rémunération qui renforce le tri social des fonctionnaires.
Dans toutes ces problématiques, il faut aussi donner sa place au concours et à la formation professionnelle initiale et continue. De ce point de vue, il doit y avoir, entre autres, un questionnement sur le recrutement sans concours en C : c’est une forme de dévalorisation de la C.
Cela empêche-t-il que les titulaires d’un diplôme infra-bac soient écartés par un concours trop sélectif du fait de la participation de candidats détenteurs du bac et voire plus ? Le problème étant que le recrutement direct favorise le clientélisme et qu’on peut supposer, sans trop de risque de se tromper, que les employeurs recrutent de préférence au niveau bac et post bac aussi…
Dans l’urgence, nous devons pouvoir penser des évolutions facilitées de la C vers la B mais également une véritable carrière de catégorie C avec bien sûr, la réduction du nombre de grades et un échelon terminal bien plus élevé qu’actuellement.
La B et la A doivent se placer en conséquence, dans le respect de la reconnaissance des qualifications et de l’expérience mais sans écraser les fonctions dites d’exécutions et survaloriser celles de conception ou d’encadrement.
Dans cette période de crise où le travail est désigné comme un coût à réduire, la Fonction publique comme une dépense économiquement mortifère et le financement de la Sécurité sociale comme un luxe qui n’est plus accessible à nos sociétés, la bataille des salaires, comme celle de l’emploi, est primordiale et unifiante.
Avec son regard particulier, l’École émancipée a beaucoup à apporter à cette lutte et doit poursuivre collectivement une réflexion sur ses enjeux.●
Edwige Friso
Springsfields Marin
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Les fondamentaux de l’école émancipée
Dans le cadre des grilles salariales régissant les corps de la Fonction publique, nous avons toujours revendiqué des carrières cylindriques (c’est-à-dire que tout le monde commence et termine au même indice), contre des carrières pyramidales (existence d’une hors classe dont l’accès n’est pas garanti à tous).
De même, nous avons toujours considéré que la grande différenciation salariale favorisait la hiérarchie sociale et était source de division et de reproduction.
L’école émancipée avance des revendications uniformes (même chose pour toutes et tous…) qui permettent l’écrasement de la hiérarchie salariale. Elle situe cela dans le cadre d’une démarche unifiante, rassemblant tout le monde, afin de ne pas diviser le salariat encore plus et permettre les mobilisations engageant le plus grand nombre plutôt qu’une catégorie au détriment d’une autre.
C’est le sens de la revendication d’une augmentation de 70 points d’indice pour tous, avancée depuis 2010 au sein de la FSU. C’est aussi pour cela que nous demandons l’abrogation du système d’avancement au choix.
Dès ses origines, l’école émancipée se prononçait pour des revendications salariales unifiantes, non hiérarchisées, en particulier entre les hommes et les femmes chez les instituteurs, dont les grilles (1905) différaient après la première classe !
Le concept de traitement unique apparaît dès les années 1920, bien que n’étant pas considéré comme une revendication immédiatement réalisable. Il apparaît surtout comme un objectif qui détermine la nature des revendications.
Le Manifeste de l’éé de 1954 reprend d’ailleurs cette approche en dénonçant « une hiérarchisation au sein des classes exploitées par une catégorisation qui devient un instrument de division et de discorde favorable à la domination de classe…
D’où l’opposition irréductible du syndicalisme révolutionnaire à l’ouverture de l’éventail des salaires, à la création factice de fonctions et de titres ».
Aujourd’hui, l’éé porte toujours des revendications unifiantes en matière salariale (pas d’indemnités différentielles, augmentations uniformes en points d’indice, rétrécissement des amplitudes de carrière…).
À cet égard, dans l’optique d’aller vers un traitement unique, il faudrait réfléchir à l’amplitude de carrière envisageable au sein d’un corps (x 1.5 ou x 2 par exemple).
Dans la FSU, au vu des positions différentes sur la priorité à donner à des augmentations en pourcentage (qui maintiennent donc la stratification salariale) ou bien à des augmentations uniformes (qui contribuent au tassement de cette stratification), un accord s’est fait pour avancer l’indexation du point d’indice sur les prix, le rattrapage de la valeur du point d’indice, une mesure immédiate de 50 points d’indice pour tous, la reconstruction des grilles qui reconnaissent entre autres les qualifications des agents.
C’est donc un « mix » de pourcentage et d’uniforme… Il faut ajouter à cela la demande d’un SMIC porté à 2000 euros brut (1700 net), l’intégration des primes et des indemnités dans le traitement, sous forme de bonification indiciaire (ce qui permet une prise en compte dans le calcul des pensions).)]