La Guyane, département d’outre-mer depuis 1946, territoire jusque-là méconnu, a enterré le quinquennat Hollande avec un mouvement social sans précédent
et s’est invitée dans le débat présidentiel.
Cette crise de grande ampleur qui a duré plus d’un mois a connu différentes formes : manifestations, grèves,
collectifs, déclarations, sommations, plateformes
de revendications, débats, AG, barrages…
Après des décennies de total délaissement, la Guyane s’est réveillée et s’est mise debout, tous les citoyens réunissant leurs forces et unissant leurs voix dans des manifestations d’envergure, avec un objet commun : frapper ensemble sur le gouvernement, refuser de demeurer des citoyens de seconde zone, obtenir des investissements à la hauteur des besoins notamment dans les services publics. Ce mouvement est l’expression d’une colère légitime, très largement partagée, liée à l’extrême pauvreté du territoire et à son abandon de longue date par l’État.
En Guyane, 44 % de la population guyanaise vit sous le seuil de pauvreté mais le taux d’impôts sur la fortune à Cayenne est le 3ème de France, 60 % des jeunes sont sans diplôme, 50 % sont sans travail. La société guyanaise est très complexe, multiculturelle, multi-ethnique, traversée par des intérêts fort différents.
Une insécurité importante, un nombre d’homicides inquiétant, sont à l’origine d’une première manifestation en février organisée par un collectif naissant : « les 500 frères contre la délinquance ». Leurs revendications sont alors sécuritaires, radicales, faisant l’amalgame entre immigration et insécurité ; elles ne correspondent pas aux valeurs de la FSU. Ce groupe d’hommes musclés et cagoulés qui théâtralisent leurs interventions parviennent tout de même à fédérer les mécontentements, à contenir les foules et à interpeller la métropole. Le blocage du centre spatial et la fusée clouée au sol finissent de réveiller Paris. Les syndicats de l’éducation se réuniront à l’initiative de la FSU Guyane, pour rendre visibles des revendications éducatives, réponses primordiales au constat commun d’insécurité. Le point culminant de ce mouvement populiste a été incontestablement la grande vague de manifestations du 28 mars.
Le collectif « Pou Lagwyiann dékolé » (Pour que La Guyane décolle) se constitue dès le lendemain, pour regrouper les revendications ; il s’organise en pôles pilotés par le syndicat UTG, affilié à la CGT et proche du MDES (Mouvement de Décolonisation et d’Émancipation Sociale).
Face à la détermination d’une population mobilisée de façon massive, dans un respect mutuel, dans toutes les communes, l’État français a été contraint de dépêcher des ministres récalcitrants pour négocier. Ces discussions ont débouché sur un plan d’urgence pour la Guyane, financé par l’État à hauteur de 1,086 milliard d’euros. Concernant l’Éducation, ces mesures devraient permettre la construction, sur 10 ans, d’écoles, collèges et lycées. Cependant la FSU Guyane estime qu’il manque au moins 250 millions d’euros pour rattraper le retard structurel et des dotations conséquentes pour scolariser dignement tous les jeunes.
Ce mouvement auto-qualifié de « populaire » a sciemment mis de côté les élus, bafoué les institutions et refusé la représentativité. Chacun s’est auto-proclamé représentant, responsable, président, porte-parole d’un groupe, d’un pôle, d’une cause… À partir de là, les négociations se feront de façon très inégale, les mieux armés signeront des accords sectoriels comme nous l’avions prédit, les autres rameront.
Malgré les multiples interventions de la FSU Guyane lors des AG, les négociateurs du pôle éducation ont rejeté les OS représentatives et persisté dans une stratégie vouée à l’échec : un représentant issu du privé, et adhérent à un syndicat représentant 2,7 % des enseignant-es, une non connaissance des dossiers, une plateforme de revendications peu cohérente.
Les représentant-es de l’État ont profité de cette faille pour réduire à la portion congrue la demande légitime de la population notamment dans sa partie éducative. Dans un même temps, via le pôle économique, le MEDEF a négocié des allégements fiscaux correspondant à plus de 2 milliards d’euros sur 10 ans !
Profitant de ces mobilisations sans précédent, certains responsables du collectif « Pou Lagwiyann Dékolé » ont choisi délibérément d’inverser l’ordre des priorités et de coupler les demandes légitimes de la population à l’évolution statutaire, revendication centrale pour l’UTG et le MDES.
La FSU Guyane a fermement dénoncé les manipulations de la parole publique, favorisées par une classe politique étrangement silencieuse, au profit de valeurs portées par la grande bourgeoisie locale dominante asservie à la bourgeoisie nationale. ●
Fabienne Rochat,
co-secrétaire du SNUipp-FSU Guyane.