S’appuyant sur le « manque d’attractivité du métier » et ses difficultés, le ministre compte remettre sur le métier la formation initiale des enseignant-es, tout en réalisant au passage de belles économies.
R éforme annoncée en janvier, puis distillée sous forme de « rumeurs » jusqu’au rapport sénatorial (1) publié fin juillet, nous sommes face à la technique classique pour imposer une réforme à haut potentiel explosif : laisser fuiter quelques pistes, vérifier que les réactions sont faibles, puis les présenter rapidement comme fruits de la concertation après quelques échanges formels avec les organisations syndicales. Subterfuge qui cache mal le pot aux roses tant les délais sont courts : clôture des discussions avec les syndicats en octobre pour une mise en place à la rentrée 2019 !
Le risque est grand que les organisations syndicales, y compris la FSU, se positionnent à retardement et en ordre dispersé, sur des éléments vus par le « petit bout de la lorgnette », au lieu de travailler à la co-construction d’une riposte avec les étudiant-es, stagiaires, formateurs et formatrices et collègues à la hauteur de l’ampleur et de la cohérence des attaques. Cette réforme est en effet construite autour de quatre axes : mettre en place des « prérecrutements », modifier la place du concours, « faire évoluer » les contenus de formation et changer les règles d’affectations. Quelles conséquences pour les futur-es enseignant-es ?
Mettre en place des « pré-recrutements » dès la L1
Si les objectifs affichés sont de résoudre la crise du recrutement et de favoriser l’accès au métier des jeunes issu-es des milieux populaires, il ne faut pas se laisser prendre au piège des éléments de langage du gouvernement. Car il y a « pré-recrutements » et pré-recrutements. Les « pré-recrutements » à la sauce Blanquer correspondent en réalité à un « contrat de pré-professionnalisation », soit une entrée dans le métier par la précarité, les étudiant-es devant travailler pour percevoir une rémunération. Nous sommes loin de ce que porte la FSU : des étudiant-es rémunéré-es (avec prise en compte pour la retraite et le reclassement) pour faire leurs études, sans contrepartie de travail. Il s’agit surtout d’une entrée par « le faire », comme si cela suffisait pour apprendre le métier. Et, c’est la cerise sur le gâteau, qui permet de bénéficier d’une main d’œuvre bon marché et d’afficher qu’il y aura peu de classes sans enseignant-es, les prérecruté-es ayant des missions d’enseignement allant de « répétiteur-répétitrice », en l’absence de leur enseignant-e en L2, à remplaçant-e en M1.
Modifier la place du concours
L’affichage est de « tendre vers une plus grande professionnalisation », ou de « favoriser l’accès au métier des étudiant-es issu-es de tous les milieux sociaux ». En réalité, dans le 1 er degré, l’admissibilité en L3 et l’admission en M2 permettraient des économies substantielles puisque, pendant ces deux années, les admissibles ne seraient pas stagiaires. Ce tour de passe-passe, faisant peser le poids de deux années d’incertitudes supplémentaires quant à la réussite du concours, hors statut protecteur de fonctionnaire stagiaire, permettrait par la même occasion d’économiser 25 000 postes de stagiaires, soit exactement ce que Bercy devrait réclamer à l’Éducation. Une aubaine ! Dans le 2 nd degré, repousser le concours en M2 correspond en fait à ce que Darcos avait fait en son temps. Ces projets signent le décrochage 1 er /2 nd degré contraire aux mandats FSU. Mais, ce qui pourrait remettre un peu de commun dans la contestation à venir, c’est que Blanquer aura bientôt toute latitude pour utiliser ces étudiant-es en master comme moyen d’enseignement, et pour remettre tou-tes les stagiaires à temps plein, l’année de stage ayant lieu après la formation.
« Faire évoluer » les contenus de la formation
Partant du constat d’une formation trop coupée du terrain, Blanquer entend mettre la formation sous tutelle (cahier des charges rectoral, avis des inspections, enquêtes de satisfaction, indicateurs d’évaluation, nomination des directeurs par le ministre…). Il projette aussi d’éliminer les formateurs et formatrices ESPE et de les remplacer par quelques universitaires prêté-es par les autres UFR, et surtout, par des formateursformatrices en temps partagé. Enfin, il compte réduire la formation aux « fondamentaux » nécessaires à la « prise de poste », pour reporter le reste sur une formation continue en berne. Une formation-survie, donc, assurée par des formateurs-formatrices, elles et eux aussi formé-es sur le tas, qui nie la complexité du métier d’enseignant-e. Loin de répondre au manque de temps et de moyens que nécessite une formation initiale de qualité, le gouvernement affiche sa volonté de renforcer le contrôle qu’il a sur l’agir enseignant en les réduisant à de simples exécutant-es.
Changer les règles d’affectations
Pour les « rendre plus justes » et en finir avec le « bizutage institutionnel », la solution envisagée serait le calibrage académique des concours du 2 nd degré : il permettrait aux lauréat-es (celles et ceux bien classé-es et/ou avec une situation familiale à faire valoir) de choisir leur académie, pour l’année de stage et pour la première affectation de titulaire, sans passer par un mouvement national. C’est bien le mouvement de mutation, « illisible » et dont les règles seraient « contournées », qui est dans le viseur, alors que ce système est une protection pour les usager-es, garantie de service public rendu sur tout le territoire et d’égalité de traitement.
Cette réforme de l’entrée dans le métier s’intègre donc à la perfection dans le projet gouvernemental de privatisation du fonctionnement de l’école comme des autres services publics, en enfonçant plusieurs coins dans le statut des enseignant-es, en appauvrissant leur formation pour mieux les mettre sous contrôle… Ce dont Fillon rêvait déjà en 2005 !
CHARLOTTE BOURGOUGNON, MARIE HAYE, VINCENT CHARBONNIER