L’enseignement devenu optionnel de l’histoire-géographie en terminale S sert d’écran de fumée masquant de profondes attaques contre une certaine vision de l’enseignement de l’histoire. Au collège, les contenus enseignés font l’objet de multiples instrumentalisations.
Parfois enseigner l’histoire-géographie donne la désagréable impression d’être assailli jusque dans sa salle de classe. Ces derniers temps, cela est devenu une certitude.
L’Histoire en lycée :
restriction et salmigondis
En effet, l’histoire enseignée a souffert de la réforme du lycée. D’une part, son enseignement a été rendu optionnel en Terminale S. Puis, les programmes ont été réécrits selon un processus opaque et au mépris de l’avis des enseignants, leur laissant le sentiment légitime d’être ignorés. Or, les nouveaux contenus sont discutables de par les focales adoptées. En seconde, ils optent pour une vision très européano-centrée. A cela s’ajoutent des choix historiographiques et thématiques déséquilibrés (poids de l’histoire religieuse, absence d’histoire sociale). Ces programmes de lycée ont une architecture souvent confuse : en seconde, on commence par le peuplement du monde au XIX° siècle pour enchaîner avec l’Antiquité grecque. Enfin, ils ne parviennent pas, particulièrement en première, à faire les choix nécessaires qui les rendraient opérants intellectuellement pour les élèves, et réalisables pour les enseignants chargés de préparer certaines classes à l’épreuve anticipée de fin de 1ère. Par exemple, il faudrait qu’un élève puisse se saisir des problématiques de la guerre froide en étudiant Berlin, Cuba et le Vietnam en 3-4 heures ! Professeurs et élèves, piégés entre le zapping et le pari perdu d’avance, sont acculés à partager un enseignement sans saveur, refroidi car condamné à être livré prêt à l’emploi en vue de l’examen.
Au collège la volonté
d’instrumentaliser
Au collège, les programmes sont devenus l’objet d’une instrumentalisation politique tous azimuts. Ils sont marqués par des prescriptions contraignantes : l’invasion des études de cas, qui « people-isent » les thèmes par l’exemple d’un personnage, ou les patrimonialisent par des exemples d’œuvres d’art ou de monuments. Ils ont intégré certaines demandes de groupes de pression traditionnels (anciens combattants, résistants, tenants de l’histoire religieuse) et les prescriptions des lois mémorielles (loi Taubira sur l’esclavage). Ils présentent quelques ouvertures sur l’étude de civilisations extra-européennes (6 heures sur tout le cursus du collège pour l’Inde ou la Chine Antique et l’Afrique Médiévale) et sur l’histoire d’acteurs collectifs (le peuple ou les femmes dans la Révolution, l’immigration au XX°siècle). C’est en s’appuyant sur ces rares ouvertures qu’un groupe emmené par D. Casali promeut une vision totalement réactionnaire et nationaliste de l’histoire enseignée, fortement relayée par les médias tout en tirant à vue sur des programmes qui « sacrifient nos grands hommes (Louis XIV et Napoléon) » au profit de « l’histoire du Monomotapa et de la traite », pétris qu’ils sont, selon eux, de repentance, et de bien-pensance.
Ajoutez à cela les différentes lubies présidentielles qui sont entrées de façon intrusive dans les programmes (Guy Môquet, « faites adopter un enfant de la Shoah par vos élèves », l’histoire des arts, etc.) sans oublier les finalités civiques que l’on fait porter à l’enseignement de cette discipline (les savoir-être du socle commun, l’éducation à la défense, la fabrication du bon européen) et vous comprendrez pourquoi l’enseignant d’histoire-géographie finit par se demander si on le laissera un jour faire sereinement son travail.
Pour un enseignement
qui forme des citoyens !
Coincé entre les prescriptions politiques et les tenants d’une histoire mise au pas pour la « grandeur de la France », pourra-t-il encore vous dire à quel point cette discipline est vivante et renouvelée par les recherches, à quel point il est temps de sortir du roman national et des « grands hommes » pour réintroduire dans nos contenus d’enseignement de l’histoire sociale, de l’histoire des anonymes, de l’histoire partagée et aux contenus renouvelés. Il vous dira aussi que traiter des questions « vives » (colonisation, esclavage, Shoah, génocides), c’est difficile, mais qu’avec son expertise c’est sans doute plus formateur à des modes de raisonnements critiques et historiens, que de dresser la liste des victoires de Napoléon 1er. Les mésusages de l’histoire ne peuvent pas nous laisser perdre de vue ces combats. ●
Véronique Servat