Le 21 janvier 2015, la victoire de Syriza aux élections grecques a marqué un tournant dans le cycle ouvert par l’éclatement de la crise économique en 2007-2008 qui avait vu la systématisation des politiques d’austérité.
Le 13 juillet 2015, l’accord entre Tsipras et l’Eurogroupe pour la mise
en œuvre du 3ème Mémorandum a fermé la brèche ouverte le 21 janvier.
Et nos regards sont passés de la Grèce à l’État espagnol (avec l’émergence de Podemos) et plus récemment au Portugal, où les forces anti-austérité (le Bloc de Gauche et le PCP) ont réussi avec 20 % des votes à imposer un accord au PS pour répondre à l’urgence sociale dans le domaine des salaires, des retraites, de l’emploi, de la fiscalité et des services publics.
Deux nouvelles brèches dans le carcan de l’austérité en Europe ? Il est trop tôt pour le dire. Nous sommes dans un reflux des mouvements sociaux à l’échelle européenne et les processus électoraux sont l’expression de cette situation sur la défensive. Le tournant rapide que nous avons connu dans la situation grecque montre la fragilité des espoirs ouverts.
La soumission de Syriza aux diktats de la Troïka a placé au centre du débat sur les alternatives la question de la sortie de l’Euro. Mais du coup, ce débat a parfois occulté des questions pourtant fondamentales qui sont, quelle que soit la devise : quelle réponse donner à l’urgence sociale et comment construire des espaces ouverts de consultation et de décision démocratique ? Quelle mise en œuvre d’un moratoire sur les paiements de la dette et leur audit ? Et enfin quel système bancaire et quelle mise sous contrôle public des finances. ?
L’Europe, telle quelle est, ne tient pas debout. Les politiques néolibérales ne servent qu’à accélérer la spirale de la crise sans fin. Pourtant, des résistances s’organisent : la victoire de Corbyn dans le Parti travailliste au Royaume-Uni, la poussée d’une alternative à l’austérité au Portugal le 4 octobre, la mobilisation réussie du 12 novembre dernier en Grèce contre le 3ème mémorandum…
Mais pour que ces aspirations, à sortir du cauchemar néolibéral, deviennent réalité, la construction de la solidarité européenne avec les peuples soumis au chantage par les institutions européennes est plus urgente que jamais.
État espagnol :
au-delà des élections
Sur fond de crise économique et sociale d’une ampleur historique, ce qui caractérise la situation dans l’État espagnol c’est, surtout, la gravité de la crise politique : la crise de la représentation politique, crise de l’organisation territoriale de l’État et crise du régime de 1978 issue de la chute de la dictature.
La crise de la représentation politique est palpable : jusqu’aux élections européennes de 2014, les principaux partis du régime (la droite extrême du Partido Popular et le PSOE-social-liberal) monopolisaient 80 % des voix et alternaient entre eux depuis la chute de la dictature. Aux élections européennes de 2014, ils n’ont pas réussi à dépasser 50 % des voix (PP : 26.06 % ; PSOE : 23 %) et aux élections municipales (mai 2015) ils ont juste dépassé les 50 % (PP : 27.05 % ; PSOE : 25.02 %). Pour les prochaines élections législatives (le 20 décembre, 20D), selon le sondage publié par Publico le 04/11/2015, le PP obtiendrait 28 % des voix et le PSOE 18 %. Cette crise de la représentation est autant due aux politiques néolibérales promues par ces deux partis, qu’à la corruption sans fin qui touche tout l’establishment politique espagnol.
Or, jusqu’au début de cette année, c’était Podemos qui profitait de l’hémorragie du PP et du PSOE. L’émergence de Ciudadanos (C’es), directement conçu et promu pour les entreprises de l’Ibex 35 (équivalent au CAC40 en France) pour faire face à l’effondrement des deux partis systémiques avec 19,7 % des votes, relègue Podemos à la quatrième place avec 14,8 % des voix, ce qui enlève toute perspective de changement radical après le 20 décembre.
Crise territoriale de l’état
La résolution du Parlement catalan du 9 novembre 2015 (juste un an après que 2,3 millions de personnes aient voté en faveur de l’indépendance, même si l’État avait interdit la consultation) qui proclame la souveraineté des institutions catalanes et la désobéissance aux institutions de l’État espagnol est, à l’heure actuelle, l’expression la plus claire de la faillite de l’État de l’autonomie, l’une des clés de voûte pourtant de la soi-disante « réforme de régime ». D’autant que la Catalogne représente 15 % de la population de l’État espagnol et 20 % du PIB. Et aujourd’hui, 36 ans après l’adoption de la Constitution, toutes les forces politiques parlent de la nécessité de la réformer, mais évidemment pas dans le même sens.
Cette crise se développe sur toile de fond d’une profonde crise sociale et la trace laissée par le mouvement 15M, qui a mis en cause aussi bien l’injustice sociale écrasante (le chômage, l’insécurité, les coupures, les expulsions, la pauvreté et l’enrichissement obscène des élites économiques et des scandales de corruption partout) que la collusion et la subordination des institutions politiques (et les partis eux-mêmes) aux pouvoirs économiques et financiers.
Les principaux syndicats ont été particulièrement absents, inaudibles, passifs, ce qui explique l’émergence de mouvements, de nouvelles plates-formes en défense des droits sociaux et démocratiques : la Plate-forme contre les expulsions du logement, les « marées » dans la défense de la santé et l’éducation publique, les marches pour la dignité… ainsi que des manifestations massives comme celle tenue à Madrid le 4 novembre avec environ 300 000 personnes contre les agressions sexistes. Tous ces mouvements sont construits pour l’essentiel en marge du mouvement syndical.
Tel est le contexte dans lequel vont se dérouler les élections le 20 décembre prochain. L’élément dominant sera la rupture du bipartisme et l’ouverture d’une période d’instabilité politique. Même si les partis du système peuvent constituer une majorité parlementaire pour gouverner (les formules peuvent varier : de PP + C, du PSOE + C, PP-PSOE…), la crise du régime et l’aggravation de la crise sociale constituent une bombe à retardement : ni le Parti Populaire, ni le Parti socialiste et C’es ne sont des réponses.
Portugal : un gouvernement contre l’austérité ?
Les résultats des élections du 4 octobre (1) ont abouti à une situation particulièrement instable. Aucune force n’a la majorité (ni la droite gouvernementale, ni la social-démocratie) mais, surtout, les forces contre l’austérité (Bloco et PCP) ont connu une augmentation significative : ensemble, elles font près de 20 % des voix.
Avec ce résultat, le PSP a été confronté à un grand dilemme : s’allier avec la droite (comme elle l’a déjà fait avec des géométries variables ces quarante dernières années) en laissant tout le champ à gauche pour le Bloco et le PCP ou s’allier avec le PCP et le Bloco, ce qui signifie renoncer à des parties importantes de son programme à « l’austérité » plus douce que celle du PSD/CDS, mais totalement respectueux des exigences de l’UE.
Une alliance avec la droite, dans un pays dévasté par des politiques d’austérité et qui en septembre 2014, a connu une des plus grandes manifestations contre la Troïka en Europe (organisée par le collectif Que se lixe a troïka – Allez-vous faire f… la troïka) pourrait marquer une « Pasokización » de la social-démocratie portugaise. Par conséquent, la seule alternative viable était de parvenir à un accord avec la gauche pour essayer de sauver les meubles.
Une gauche qui, depuis le début, a bien compris qu’il était nécessaire d’arriver à un accord avec le PS pour mettre fin au cycle de gouvernements ultra-austéritaires. Ce qui a débouché sur un accord entre les trois formations.
Quel est son contenu ? La fin des privatisations (comme celle de l’eau), le retour sur d’autres déjà accomplies (telle que les transports), l’augmentation des salaires et des retraites (qui bénéficiera à 4,5 millions de salarié-es et plus de 2 millions de retraité-es) ainsi qu’une réforme fiscale pour plus de progressivité, l’augmentation du salaire minimum (passer de 505 € à 600 d’ici la fin de la législature), l’interdiction des expulsions pour non-paiement de l’hypothèque, etc.
C’est-à-dire un ensemble de mesures anti-austérité. Même s’il est vrai que l’accord ne comprend pas de mesures de lutte contre la dette ou la rupture avec le pacte de stabilité européen, il y a peu de doutes que mettre en œuvre cet accord amène à une confrontation directe avec les politiques européennes.
À l’heure actuelle, le Président de la République refuse de donner au PS la possibilité de former un gouvernement et, du coup, place le pays dans une véritable impasse, alors que la tension politique monte chaque jour.
Cette situation montre qu’on fait un pas de plus vers une prise en main, une extorsion politique par les autorités européennes. D’ores et déjà, il faut envisager une réaction, la construction d’un mouvement de solidarité avec le peuple portugais et défendre son droit démocratique à décider de ses choix politiques. ●
Sophie Zafari,
le 17 novembre 2015.
1) La coalition au pouvoir, PSD/CDS : 38, 5 % ;
le Parti socialiste (PS) : 32 % ;
Bloco de Esquerda (Bloc de gauche) : 10,2 %
et le Parti Communiste (PCP) : 8,3 %.