A l’heure où la loi d’orientation instaure que « le redoublement
d’une année scolaire doit être exceptionnel »
et que la FSU se dote de mandats allant dans le même sens,
il nous faut mener une réflexion sur cette question.
Selon l’étude PISA de 2009, la France est le pays de l’OCDE dont la proportion d’élèves ayant déjà redoublé à l’âge de 15 ans est la plus importante (36,5%). Cependant, cela a beaucoup diminué depuis 50 ans. En 1960, 52% des élèves de CM2 avaient redoublé au moins une fois. En 2000, le chiffre n’était plus que de 19,5%.(1)
Le redoublement :
une solution efficace ?
La lecture d’un rapport remis au HCCE(2) par l’IREDU(3) en 2004, amène à plusieurs conclusions :
– Le redoublement, sans affirmer qu’il ne sert à rien, n’est pas une solution suffisante pour aider un élève en difficulté. Ayant redoublé, ce dernier restera, le plus souvent, en difficulté. Les études montrent même qu’à niveau égal, les élèves qui redoublent progressent, en moyenne, moins que les élèves qui passent dans le niveau supérieur. Le redoublement ne joue donc pas le rôle de remédiation qu’on veut lui assigner.
– Ceci est vrai pour le primaire, mais plus nuancé en collège, et surtout en lycée. Apparemment, plus les élèves avancent en âge et plus cette solution a des chances de ne pas être inutile (surtout à partir de la 4ème). De plus, redoubler précocement est une hypothèque pour la poursuite d’études au lycée, car cela consomme une possibilité de « pause » utile par rapport à l’orientation.
– Le redoublement est injuste socialement : il touche plus les élèves de milieux défavorisés. En outre, les milieux favorisés savent mieux l’utiliser dans une visée stratégique, pour obtenir la filière voulue en lycée, par exemple. Enfin, sans pouvoir trancher si le fait de redoubler influence le destin scolaire, on sait que les élèves qui redoublent tôt, sortent plus souvent du système scolaire sans diplôme.
– Le redoublement a des effets négatifs sur la motivation, l’image de soi et l’« ambition » scolaire.
Alors pourquoi continue-t-on ?
Malgré ces constats en défaveur du redoublement, il jouit encore en France de l’approbation d’une majorité d’enseignants, mais aussi de parents d’élèves.
Tous les enseignants ont connu des cas de « redoublement positif ». Ainsi, pour les enseignants, maintenir un élève dans sa classe n’est pas une sanction, mais un moyen de lui offrir une « seconde » chance, de consolider ses acquis, de surmonter son handicap.
D’autre part, et c’est assez contradictoire, une idée répandue est que sans cette menace, les élèves n’apprendraient plus. Ce qui est bien sûr démenti par les résultats des élèves dans les systèmes où cette possibilité n’existe pas…
Plus profondément, le redoublement semble être le lieu symbolique de l’autorité des enseignants et de l’école. Pour certains, il semble que, sans lui, le métier d’enseignant perde de son sens. Qui a-t-on vu contester la logique des cycles en primaire et rétablir une décision à la fin de chaque année scolaire ? Fillon en 2005 et Darcos plus tard, ceux là même pour qui enseigner, c’est d’abord savoir tenir sa classe pour pouvoir délivrer la bonne parole. Tout le reste n’étant que pédagogisme démagogique.
Et pourtant, l’un et l’autre savaient le coût du redoublement : environ 2,2 milliards d’euros en 2005.
Il est sans doute besoin d’élargir le débat. Parler du redoublement, c’est envisager la question de l’hétérogénéité des élèves : pour apprendre, chaque élève emprunte un chemin différent, selon son histoire, sa personnalité, ses connaissances « déjà là »… Tous les élèves ne vont pas au même rythme, et n’ont pas besoin des même apports, des mêmes aides au même moment.
Si les enseignants ont tant recours au redoublement, c’est parce qu’aucune autre possibilité d’aide réelle n’existe. Supprimer le redoublement ne fera pas disparaître les nombreux obstacles à l’apprentissage. De grands chantiers de réflexion s’offrent à nous : comment sortir de la conception de l’apprentissage comme accumulation de savoirs, sur laquelle repose l’idée du redoublement ? Comment mettre en œuvre une réelle pédagogie de cycles, de continuité, de progressivité des apprentissages ? Dans cette logique de cycles, quelle aide apporter aux élèves (structures type Rased, effectifs réduits, co-intervention…) ? Enfin, comment définir un « élève en difficulté » ? Il semble bien qu’aujourd’hui, le système scolaire, à son corps défendant, crée lui-même l’échec de certains de ses élèves. ●
Loïc Saint Martin
1) Source: Education et Formation (2003).
2) Haut Conseil pour l’Evaluation de l’école.
3) Institut de Recherche sur l’ÉDucation de l’Université de Bourgogne.