Snarky Puppy est un groupe de jeunes gens – apparemment sans une fille – enthousiastes et pleins d’une ardeur qui manque cruellement à la plupart des groupes actuels.
Il a été créé – et est toujours dirigé – par Michael League, bassiste et compositeur.
Au départ une bande de joyeux drilles étudiants à l’Université de North Texas, actuellement un orchestre professionnel quelquefois pléthorique et salué comme tel par toute la presse spécialisée et au-delà. Un beau parcours depuis 2005.
Leur troisième album – si j’ai bien compté – « Sylva » est une rencontre avec un orchestre symphonique, le « Metropol Orkest » pour une musique qui mélange allègrement les références classiques, contemporaines, jazz, soul, pop et j’en oublie vraisemblablement.
Il arrive, sur scène comme sur l’album, de ressentir une impression de trop plein. On aimerait plus de silence, plus de respiration. C’est vrai que l’air de notre temps aime la vitesse, le courtermisme, le bruit, l’agitation, l’accélération d’un temps asphyxié.
Le label vaut aussi le détour. « Impulse » est en train de renaître de ses cendres. Ce fut, par le biais du producteur Bob Thiele, le label de Coltrane décidé à créer de nouvelles structures, à transgresser les limites du jazz pour l’outrepasser une fois encore.
Le groupe sera présent dans les festivals de jazz de cet été « Sylva », Snarky Puppy & Metropol Orkest, Impulse/Universal.
**D’un festival imaginaire…
Gary Peacock, contrebassiste, privé du trio par Keith Jarrett, poursuit une route poétique qui transgresse tous les genres, toutes les catégories.
Keith, lui, revient à une carrière solo. Le trio, Gary et Jack Dejohnette, a fait visiblement son temps. C’était la question que j’avais posée à Jack Dejohnette lorsqu’il était venu à Coutances avec son nouveau trio, John Scofield à la guitare et Larry Goldings à l’orgue.
Le concert avait été raté, Larry n’étant pas au mieux de sa forme ; il venait juste d’arriver de Los Angeles [[Pour la petite histoire, le voyage Paris-Coutances en voiture lui avait semblé le plus long et le plus inconfortable.]] et avait nié tout arrêt du trio… bien que les enregistrements montraient que le trio tournait un peu en rond.
Le CD « Creation » (ECM bien sur) témoigne de cette orientation du pianiste. Keith se laisse aller à une sorte de musique d’escalier ou « marabout bout de ficelle », déstructurée sans cohérence sinon la répétition d’un petit air, une ritournelle sans plus.
Les a priori sur le génie du pianiste prennent souvent le pas sur l’écoute de la musique. En public, le fil invisible qui unit ces parties est, peut-être, accessible au public mais ce n’est pas le cas à l’écoute de l’album.
Keith a choisi certaines improvisations pour en faire une œuvre, un procédé qui ne permet pas au disque d’avoir une logique qui saute aux oreilles.
Pour fêter ses 70 ans, Manfred Eicher, producteur du label ECM, a ouvert une nouvelle période de travail du pianiste.
Gary Peacock sera lui aussi présent dans les festivals avec un nouveau trio. Le pianiste Marc Copland fera la démonstration de sa capacité à dessiner un univers original qui n’oublie rien des pianistes du passé – Bud Powell et Bill Evans en particulier – avec Joey Baron, tout en subtilité cette fois, pour une conversation de tous les instants avec le bassiste.
« Now this » est un titre bien choisi. Le festival « Au grès du jazz » accueillera le trio le 8 août, avec Mark Ferber à la batterie.
- « Now this », Gary Peacock trio, ECM/Universal.
Il est de bon ton, vous l’avez, sans doute, remarqué de fêter les anniversaires. Le 70e anniversaire du débarquement puis cette année, celui de la Libération ont donné lieu à des commémorations qui, sous prétexte de « devoir de mémoire » – une invention venue sans doute d’un charlatan en mal de spectacle – laisse de côté le travail de mémoire et l’Histoire pour se servir du passé décomposé et recomposé pour justifier le présent.
Il est pourtant des anniversaires qu’il faut fêter : le 100e anniversaire de Billie Holiday, née le 7 avril 1915 à Baltimore, en fait partie. Ce génie de la musique, cette femme qui voulait se libérer de ses chaînes sans jamais y réussir, fait partie des « héros » souvent oubliés du 20e siècle dont elle est une voix inoubliable.
Il faut encore et toujours écouter Billie Holiday pour découvrir les horizons qu’elle dégage, les nuits ensoleillées dont elle a conservé le secret.
Stanley Cowell, un des grands pianistes de notre temps, né le 5 mai 1941 à Toledo dans l’Ohio, sur les instances du producteur Philippe Ghielmetti a composé une suite « Juneteenth », fête traditionnelle des Afro-Américains en l’honneur du 19 juin 1865, jour de la fin de l’esclavage des Noirs du Texas.
C’est une fête de la liberté encore célébrée aujourd’hui. L’élection d’un Président noir n’a pas changé grand chose à la situation des Noirs dans les Cités. Les dernières émeutes l’ont montré. Les policiers blancs s’octroient le doit de vie et de mort.
Seul devant les 88 touches de cet instrument difficile à dompter, Stanley Cowell évoque à demi-notes – comme on dit à demi-mot – les thèmes de cette guerre de Sécession qui a profondément marqué les Etats-Unis.
Les traces en sont encore visibles de nos jours, dans d’autres musiques – « Dixie » notamment devenant après la guerre un hymne du Sud – qui construisent la mémoire des Etats-Unis dans lesquels une grand part du patrimoine tient de l’oralité contrairement à la France.
« Juneteenth » fait aussi référence au 150e anniversaire de la libération des esclaves sans que l’égalité des droits soit encore réalisée. Le livret de 40 pages permet une plongée dans ce travail de mémoire essentiel.
Le passé fait partie de notre compréhension du présent à partir du moment où l’avenir se profile. Cet avenir de lutte vise à imposer l’intégration dans une société américaine profondément blessée par un racisme aux racines sociales, historiques liées aux vicissitudes de sa naissance comme formation sociale spécifique.
Les états-uniens ont encore du mal à faire face à leur Histoire et à leur mémoire. Comme l’écrit Etienne Barilier, « l’écoute naïve ne perçoit pas les récurrences ou les permutations.
C’est la mémoire qui donne son profil et sa réalité à l’événement musical. » dans le jazz plus encore que dans les autres musiques…
- « Juneteenth », Stanley Cowell, Vision Fugitive distribué par Harmonia Mundi.
**…aux festivals physiques.
La culture, de manière générale, est menacée. Les subventions publiques sont orientées à la baisse, une baisse drastique.
Beaucoup de festivals sont en train de disparaître ou ont disparu. Ils sont souvent remplacés par d’autres qui réclament, à une plus petite échelle, soit plus de bénévoles pour une offre de programmation plus réduite, soit des financements privés qui se traduisent par l’exigence d’un public important pour dorer l’image de marque de ces sponsors – pardon « partenaires ».
Le « toujours plus » d’audience devient le seul credo. La programmation du festival de Vienne est révélatrice de cette orientation malheureusement logique, qui s’impose aux programmateurs et aux responsables de festivals.
Même la conférence sur le climat de fin décembre à Paris sera financée en partie par des sponsors privés. Mauvaise augure pour les décisions à prendre…
Il reste cependant des « petits » festivals qui essaient de survivre à contre-courant de ces marées financières. C’est le cas de « Crest Jazz Vocal » dans la Drôme, qui fête ses quarante ans du 31 juillet au 8 août, tout comme du festival « Sim Copans », à Souillac, dans le Lot, du 18 au 25 juillet.
Si vous passez par là, n’hésitez pas : je serai à Crest dans le cadre du festival pour une série de conférences, du mardi 4 août – anniversaire de l’abolition des privilèges – au samedi 8 août, à la médiathèque, sur le thème « Les villes du jazz » (Chicago cette année), de 15h30 à 16h30 et plus si affinités, et sur le film « L’homme au bras d’or » le mardi.
Beaucoup d’autres festivals vous ouvrent les bras : « Junas »,
dans le Gard, du 16 au 25 juillet, par exemple… ●
Nicolas Béniès