Interview Cédric Herrou

Devenu le symbole de l’aide et de la défense des migrant-es de la vallée de la Roya, à la frontière franco-italienne, l’agriculteur Cédric Herrou, 37 ans, est fréquemment interpelé et poursuivi pour l’aide qu’il apporte, avec d’autres, aux migrant-es arrivant en France par la vallée.


➤ Que penses-tu du projet de loi « asile et immigration » ?

L’État n’est pas à l’écoute des critiques de l’OFPRA(1), ni de la CNDA(2) notamment quand leurs personnels se mettent en grève. L’État veut réduire les délais [de traitement des dossiers d’asile] alors que ce n’est pas possible. Les délais légaux entre la PADA(3) et la préfecture devraient être de 5 jours. Or on en est à deux mois. L’État n’arrive déjà pas à tenir ces délais légaux aujourd’hui, comment les tiendrait-il en les réduisant ?
Ce qui est choquant, c’est qu’on demande aux demandeurs d’asile où ils sont passés. S’ils ont évité un PPA(4), cela devient du pénal : ils risquent dix mois de prison ferme et 3750 euros d’amende ! C’est une criminalisation de personnes non coupables mais qui sont victimes. On mélange gestion migratoire et gestion de l’asile alors que ce sont deux choses différentes.

➤ Tu accueilles régulièrement des migrant-es sur ton terrain. Comment cela se passe maintenant ?

En 2016, on a fait beaucoup d’accueil d’urgence et de l’accompagnement juridique avec accès à la demande d’asile et à la prise en charge pour les mineur-es isolé-es. On a été débordé en 2017 parce que le bouche à oreille a fait que la moitié des gens qui passaient la frontière passaient à la maison et c’était difficile à gérer. On s’est retrouvé responsable de la frontière franco-italienne ! L’ambition actuelle est de faire de l’hébergement sur du long terme pour accompagner les personnes dans leurs procédures et monter des projets avec celles qui ont le statut d’exilé, qui sont en règle, qui peuvent travailler.

L’État est dans l’illégalité, les troubles à l’ordre public sont de sa responsabilité : non prise en charge, non respect des protocoles dans l’espace Schengen sur les demandes d’asile, reconduction illégale des mineur-es en Italie… C’est cela qui crée un trouble à l’ordre public. Lorsqu’on trouve des personnes en perdition, on leur vient en aide, c’est un devoir de donner assistance à une personne en danger. On veut montrer la possibilité d’inclusion dans des vallées, des villages et des villes de personnes avec des compétences. L’idée est de monter une SCOP où les personnes seraient aussi formées pour être formatrices, avec un maçon, un électricien, un avocat… qui ne fassent pas le travail pour les gens mais qui les conseillent pour qu’ils le fassent eux-mêmes. La Roya est une vallée assez pauvre où des gens ne peuvent réparer leur voiture ou refaire l’électricité chez eux parce qu’ils n’ont pas l’argent. On pourrait former les gens grâce aux exilé-es pour faire eux-même leurs travaux et créer aussi un bar associatif, un restaurant, un espace de vie où différents horizons se retrouvent sur un lieu.

➤ Tu as créé une nouvelle association Défends Ta citoyenneté (DTC) qui a pour but de pouvoir monter ces projets.

On a monté cette association pour être plus réactifs que Roya citoyenne, avec qui on est toujours en lien, sur le terrain sur le plan juridique et sur le long terme. Roya citoyenne s’occupe toujours de l’urgence, de financer des maraudes, de participer au financement de la nourriture chez les particuliers qui font de l’hébergement. DTC sera plus dans l’accompagnement à long terme des personnes en cours de demande d’asile(5).

➤ Comment tu vis l’acharnement judiciaire que tu subis ?

C’est au-delà de la problématique des migrant-es. L’acharnement ne se fait pas parce que j’aide quatre Noirs à accéder à leurs droits ou à faire du passage. Ce qui les dérange, c’est qu’il y a des personnes qui s’opposent à un système d’état. Ils font tout pour que je m’arrête. Il y a eu 40 gendarmes mobiles qui étaient postés autour de mon domicile, jour et nuit, à me filmer et à bloquer des gens pour les empêcher d’accéder à mon terrain, pour empêcher des personnes d’accéder à leurs droits parce que tous ceux qui arrivaient chez moi finissaient avec une demande d’asile et étaient donc en situation régulière. Que le préfet mette en place ce dispositif est une atteinte à la démocratie, au fait qu’une minorité peut s’opposer et agir en fonction de ce qu’elle pense. La démocratie ce n’est pas que le représentatif. Ce n’est pas voter puis laisser gérer les autres, c’est aussi agir dans l’espace public. ●

Propos recueillis par Olivier Sillam

1) Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides
2) Cours Nationale du Droit d’Asile
3) Plateforme d’Accueil des Demandeurs d’Asile
4) Point de Passage Autorisé. Officiellement, il s’agit de lutter contre le terrorisme. Dans la réalité cela sert à empêcher les migrant-es de passer en mettant en place des check points.
5) Pour faire un don et financer ces projets vous pouvez aller sur la page https://defendstacitoyennete.fr/