Pour résumer en quelques mots ce qui en nécessitera un peu plus, on pourra dire que l’ensemble des déterminants de la politique éducative de notre ministre vise à l’assujettissement des pratiques enseignantes afin qu’elles participent de l’augmentation des inégalités scolaires et de poids des déterminismes sociaux dans la réussite scolaire.
Nous assistons à un phénomène de prolétarisation de nos métiers, au profit d’une politique éducative ségrégative.
Pourquoi employer ce mot de prolétarisation : il décrit une réassignation profonde de nos métiers, à qui les savoirs professionnels agissants sont enlevés, transférés et réagencés dans le process de travail. Un nombre conséquent d’autres métiers dit intellectuels subissent les mêmes transformations. C’est aussi cette même logique qui au XIXe siècle et début du XXème, a conduit aux déplacements des savoirs des métiers dits manuels vers les machines.
Pour mener à bien cette tâche, notre ministre emploie les gros moyens :
Il a multiplié le prescrit : évaluations nationales standardisées articulées à une imposition des dispositifs de remédiation, directives sur les contenus et les pratiques d’enseignement, sur les animations pédagogiques et les formations. Prescrit qui se déploie aussi dans les outils numériques, notamment dans le secondaire.
Il a installé des groupes d’experts chargés de l’élaboration de bonnes pratiques que les enseignant-es doivent appliquer, largement inspirées par des tenants d’une neuropédagogie connivents avec ses orientations politiques, et dont l’efficacité est loin d’être démontrée et les risques patents.
Il a poursuivi le processus de démantèlement de la formation des enseignants, initiale et continue, affaiblissant de fait les savoirs professionnels enseignants.
Il a renforcé le pouvoir de l’appareil hiérarchique et son exercice de contrôle de l’agir enseignant, quitte même à envisager la création de hiérarchies nouvelles avec par exemple les projets concernant la direction d’école.
S’il fallait un exemple concret de ce processus de prolétarisation de nos métiers au service d’une politique éducative inégalitaire, nous pourrions regarder ce qui se passe dans les CP et CE1 dédoublés en REP et REP+. Blanquer a concentré des moyens substantiels sur ce dispositif. L’armada évaluative a été mobilisée. Et les enseignants de ces niveaux sont sous le contrôle régulier d’une hiérarchie qui doit bégayer des injonctions pédagogiques largement en contradiction avec l’ensemble des champs de savoirs permettant de penser la démocratisation du système scolaire. Et les résultats sont là. Dépossession de la maitrise du travail d’un côté, avec son corolaire de souffrance, augmentation des écarts de performance entre REP et hors REP en CE1.
Nous saluons le retour dans le texte du concept de prolétarisation de nos métiers, pas tant par fétichisme que parce qu’il montre que nous nous accordons collectivement sur la hauteur des processus de transformations de nos métiers, assujettis pour que les inégalités perdurent et croissent.
Il y a maintenant devant nous un travail important. Il nous faut donner à notre outil syndical une épaisseur nouvelle, en lien avec les mouvements et les chercheurs portant un projet émancipateur pour l’école, afin qu’il soit à même d’armer nos professions pour qu’elle prenne part à cette « nouvelle » guerre scolaire, dont les victimes si nous la perdons seront encore une fois d’être les élèves des classes populaires. L’agir enseignant est au cœur de cette guerre. Organisons des collectifs locaux, permettant que nos professions soient fortes de l’ensemble des savoirs nécessaires à la démocratisation du système scolaire et par là-même capables de résister concrètement, de façon individuelle et collective, dans chaque acte, à la prolétarisation de nos métiers. Nous devons traiter ce point très sérieusement, pour enrayer les mécanismes qui entendent faire de nos métiers ceux de la relégation scolaire des élèves des classes populaires.
Adrien Martinez