16 janvier, 12 mars, 22 mai, 4 juin, 14 juin, 16 juillet, 20 juillet, 25 juillet… ce n’est pas le calendrier d’actions que propose l’Ecole Emancipée, mais tous les moments où Blanquer a distillé pas à pas les grandes lignes de son projet de réforme du recrutement et de la formation. Et ce qu’on a pu appeler des « rumeurs » se sont précisées, jusqu’à la parution du rapport sénatorial Brisson-Laborde de Juillet.
Nous sommes face à la technique classique pour imposer une réforme explosive : laisser fuiter quelques pistes, vérifier que les réactions sont faibles, puis les présenter comme fruits de la concertation après quelques échanges formels avec les organisations syndicales, le tout dans des délais très courts, puisque le ministre envisage une mise en place de sa réforme à la rentrée 2019 !
Le risque est grand que les organisations syndicales, y compris la FSU, se positionnent à retardement et en ordre dispersé, alors que face à la hauteur et à la cohérence des attaques, il faudrait au contraire avoir quelques coups d’avance sur notre ministre.
Un premier coup d’avance serait d’analyser finement la cohérence politique libérale de ce projet.
Or, dans le texte U&A, on peut lire : « Pour le SNES-FSU il est hors de question que cela se traduise par une diminution du niveau de recrutement qui serait porté à la licence. »
Nous ne sommes pas sûrs de comprendre : le ministre ne projette pas de recruter à la licence, non. Dans le 1er degré, il envisage de placer l’admissibilité en L3 et l’admission en M2. Dans le 2nd degré, de repousser le concours en M2. Dans les deux cas donc, les enseignantes et enseignants seraient recruté-es au M2, ce qui ne correspond à aucune diminution du niveau de recrutement.
Alors si ce sont bien des projets de Blanquer dont nous parlons, et non du mandat EE, s’il s’agit bien d’analyser leur cohérence politique en lien avec les politiques éducatives libérales, il nous semble que cette phrase doit disparaître, et qu’il faut plutôt pointer 4 éléments principaux :
- l’appauvrissement de la formation par l’élimination des formateurs et formatrices ESPE, et la réduction de la formation aux « fondamentaux » nécessaires à la « prise de poste », pour reporter le reste sur une formation continue en berne. Une formation-survie, donc.
- la mise sous tutelle de la formation par les rectorats, les inspections et le ministère au moyen d’un cahier des charges rectoral et d’indicateurs d’évaluation. Car mettre sous tutelle la formation permet de mieux mettre sous contrôle les enseignantes et enseignants, réduits à des exécutants voué-es à imiter leurs tutrices et tuteurs, et à appliquant les lubies pédagogiques institutionnelles.
- L’entrée dans le métier par la précarité et la casse du statut par les « pré-recrutements » à la sauce Blanquer correspondent en réalité à disposer d’une main d’œuvre bon marché et à afficher qu’il y aura peu de classes sans prof en embauchant des AED ayant des missions d’enseignement (de « répétiteur-rice » en L2 à banals remplaçant-es en M1).
- La fin du mouvement national par le calibrage académique des concours du 2nd degré : il permettrait aux lauréat-es bien classé-es et/ou avec une situation familiale à faire valoir de choisir leur académie, pour l’année de stage et pour la première affectation de titulaire. C’est bien le mouvement de mutation qui est dans le viseur, alors que ce système est une protection pour les usagers, garantie de service public rendu sur tout le territoire et d’égalité de traitement.
Ces quatre axes nous semblent permettre d’analyser la cohérence globale de ce projet de réforme du concours et de la formation. C’est le premier coup d’avance.
Mais après cela, il faut rapidement porter les autres coups, qui passent par des actions urgentes compte-tenu des délais infernaux imposés par le ministre.
Urgence à organiser un travail fédéral d’ampleur à ce sujet. Ce qui suppose de ne pas laisser de côté le mandat de non-décrochage 1er et 2nd degrés.
Urgence à travailler à la co-construction d’une riposte avec les étudiants et étudiantes, les stagiaires, les formateurs et formatrices.
Urgence à chercher à constituer un arc syndical qui soit le plus large et uni possible, et s’inscrire dans les luttes qui auront lieu sur les sites de formation.
Tout cela afin de ne pas laisser Blanquer décider tout seul d’une réforme de l’entrée dans le métier qui s’intégrerait à la perfection dans le projet gouvernemental de privatisation du fonctionnement de l’école comme des autres services publics : casse du statut et mise sous contrôle des enseignant-es, via l’augmentation et l’annualisation du temps de travail, le recrutement local et sur profil, le développement des hiérarchies intermédiaires, la déréglementation des horaires et contenus d’enseignements sous couvert d’autonomie des établissements, l’individualisation (au mérite) des rémunérations comme des apprentissages…… Ce dont Fillon rêvait déjà en 2005 !
Marie Haye, secrétaire nationale du SNES-FSU pour l’ÉÉ.